Les magistrats français attendus en Côte d’Ivoire la semaine prochaine
En
date du 7 avril, la famille de notre voisin, le journaliste Guy-André Kieffer (GAK), ainsi que des représentants de comités de soutien (le
national, le breton et l’ultramarin) et le secrétaire général de Reporters sans
frontières (RSF) interpellent le président de la République Nicolas Sarkozy, à quelques
jours du 16 avril, date du cinquième anniversaire de l’enlèvement de GAK aux
abords d’un supermarché, à Abidjan
(Côte d’Ivoire). Ce jeudi 16 sont prévus une conférence de presse à Lyon avec la veuve du juge Borrel, un rassemblement freezing à Paris dont le lieu a été modifié à la demande des autorités, et une soirée à La Villette. Puis le juge Ramaël, pugnace, retournera
enquêter en Côte d’Ivoire avec son nouveau coéquipier…
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Guy-André aimait l'opéra. C'est pourquoi le rendez-vous parisien de ce jour était initialement fixé devant l'Opéra-Bastille, jusqu'au refus opposé en fin de semaine. Il est donc reporté à l'esplanade de l'Arsenal
photo DR
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Déposée
le 7 avril à l’Elysée, selon la réalisatrice Osange Silou-Kieffer, épouse de Guy-André, la
lettre ouverte (dont le texte intégral est disponible ici) rappelle à Nicolas Sarkozy qu’il a « bien voulu recevoir la famille Kieffer le 23 août 2007 » [il est
mentionné 22 par erreur, note du ouaibemaître] et lui avait fait « un
certain nombre de promesses qui ont été en partie tenues » ; mais les signataires
n’ont « plus la certitude que ce dossier soit encore une priorité pour la
France », contrairement à ce qui avait été « indiqué lors de cet entretien ».
Cependant,
« malgré le travail exemplaire effectué par les juges français en charge
de cette affaire, son instruction se heurte à d’innombrables obstacles, compte
tenu des personnalités ivoiriennes citées dans le dossier », regrettent
les auteurs de la lettre au président qui disent à Nicolas Sarkozy qu’il porte
« plus que jamais » leurs « espoirs de connaître la vérité sur
le sort de Guy-André Kieffer ». « Vous avez démontré votre capacité à
intervenir positivement dans les plus délicats dossiers internationaux :
celui-ci ne pourra se résoudre qu’avec un accompagnement politique fort de
votre part », estiment-ils.
Ils
demandent ainsi à Nicolas Sarkozy de « replacer ce dossier parmi [ses]
priorités en intervenant auprès des autorités ivoiriennes pour qu’elles mettent
tout en œuvre pour faire enfin émerger la vérité », et demandent la « mise
à la disposition de la justice française » de celui qui est considéré
comme le principal témoin, et qui a déjà été “inculpé” [c'est le terme juridique approprié] en Côte d’Ivoire (y compris pour « assassinat », alors que l'on n'a jamais trouvé de corps) et mis en examen en France, en
l’occurrence un beau-frère de Simone Gbagbo (l’épouse du président, Michel
Legré). Fin octobre 2004, un mandat d’arrêt avait été lancé à l'encontre de Michel Legré.
Les
juges français repartent pour Abidjan
Parmi les « personnalités
ivoiriennes citées dans le dossier » se trouvent notamment Simone Gbagbo (épouse du président ivoirien et députée, voir ici la vidéo de France 24) et Paul Antoine Bohoun Bouabré (ministre des Finances en avril 2004, ministre du
Plan présentement). Dans cette note du 26 février dernier, tous deux se disaient prêts à témoigner. Enfin. Mais
à leurs conditions. En Côte d’Ivoire, et assistés de nouveaux avocats français
en renforts, au rang desquels Georges Kiejman. Et, dans son édition du samedi 4
avril, L’Intelligent d’Abidjan a confirmé une information diffusée la veille par La Lettre du continent (dernier employeur français de GAK), titrée « COTE
D'IVOIRE : Ramaël à Abidjan pour l'affaire Kieffer » et indiquant un déplacement du juge Patrick Ramaël à compter du 20 avril, confirmé par cette dépêche du service anglais de l’AFP. Pour Le Patriote (journal proche de l'opposition) daté du 6 avril, « L’arrivée
du juge Ramaël à Abidjan est une avancée dans la mesure où ces deux pontes du
régime ne voulaient point entendre parler du dossier » (lire ici). « Réticents au départ, Simone Gbagbo et Bohoun Bouabré ont
finalement compris qu`il n`est pas dans leur intérêt de faire de la résistance
avec la justice internationale. Ils ont accepté de se faire entendre en qualité
de témoin par le magistrat français à condition que leur audition se passe à
Abidjan et non à Paris comme souhaité par la justice française.
Pour cette
affaire, Mme Gbagbo et Bohoun Bouabré ont choisi le même avocat, Me Georges
Kiejman. Le cabinet de ce dernier est déjà actif au bord de la lagune
Ebrié », écrivait pour sa part Akwaba Saint Clair dans Le Nouveau réveil (édition du samedi 4 avril). Selon l’Associated Press, relayée ici par Fraternité matin, le déplacement des juges est prévu du 19 au
26 avril.
Quoiqu'il en soit, 19 ou 20 avril, la date est proche. Et ce qui importe, c'est l'audition de l'ancien ministre des Finances et de l'épouse du président Gbagbo. Et l’audition
de Simone Gbagbo est annoncée, elle, pour le jeudi 23 avril. Une semaine après le cinquième anniversaire de la disparition
de Guy-André Kieffer, ce 16 avril 2004 vers 13 heures, alors qu'il avait rendez-vous avec Michel Legré, son beau-frère, à proximité d'un centre commercial… Me Georges Kiejman, l'un des nouveaux avocats de celle que l'on appelle là-bas « la
présidente », « ne voit pas en quoi elle est concernée par cette
affaire ». L’audition de Mme Gbagbo et celle de M. Bohoun Bouabré -en
présence de magistrats ivoiriens- sont conditionnées à trois autres auditions demandées
par les deux magistrats français, qui doivent se dérouler dans les jours qui
précèdent. Parmi celles-ci, celle de Patrice Baï, qui était en avril 2004 le
chef de la sécurité de la présidence de la République ; il aurait été mis
en cause notamment par le témoignage de… Michel Legré (le beau-frère de Simone Gbagbo, toujours… même si, par la suite, il s'est rétracté).
Bernard Kieffer a affirmé à l'AFP n'attendre « pas grand chose » des
auditions de Mme Gbagbo et M. Bohoun Bouabré, qui constituent pour eux un
« affichage pour tenter de se débarrasser d'un boulet qui les
encombre ». « J'attends plus du volet Bailly dont le nom remonte sans
arrêt depuis le début de l'enquête », a-t-il ajouté. Bref, cinq ans plus
tard, l’enquête en reviendrait presque au point de mai 2004, si ce n’est que, entre temps, quelques pistes ont été
écartées, beaucoup de temps a passé (pour la famille comme pour les proches) et
que le juge d’instruction Patrick Ramaël, toujours aussi pugnace, a changé de coéquipier. Ce n’est
désormais plus avec Emmanuelle Ducos (qui était aussi sur le dossier des violences
anti-françaises) qu’il travaille, mais avec Nicolas Blod.
Dans
l’affaire Kieffer, les ralentissements (pour ne pas dire les blocages…) se sont
multipliés en cinq ans. Et la dernière lettre ouverte fait penser à la
« discrète » intervention sur la radio publique de Rachida Dati, que même LCI avait relevée. En décembre 2007, en effet, alors que Bernard
Kieffer, le frère cadet de Guy-André, avait estimé que « l’attitude de la
France » laissait la famille « en plein désarroi », la Garde des
Sceaux lui avait rétorqué sur France Culture que « les autorités françaises » étaient « aux côtés » du juge
d’instruction. C’était avant que le juge Patrick Ramaël n’effectue un transport de justice à l’Elysée. Avant, aussi, que le président Sarkozy ne parle de supprimer le juge d'instruction pour le remplacer par un “juge de l'instruction”, provoquant un courroux, si l'on ose dire,… magistral.
« Le
dossier d'instruction a conduit à pointer du doigt l'entourage du président
Gbagbo. Aucun élément ne permet d'aller dans un autre sens », soutient
Bernard Kieffer, frère cadet du disparu et partie civile. Pour lui, « cela explique
les difficultés du juge : si l'affaire était simplement crapuleuse, anodine,
elle serait sans doute déjà réglée depuis longtemps ». Car la piste “crapuleuse” avait un temps été avancée, par les autorités ivoiriennes. Il s'agissait de faire passer Guy-André Kieffer pour un « affairiste ». Tout comme lors de sa disparition, à Paris, lorsque l'on appelait le Quai d'Orsay pour avoir des nouvelles. Selon les interlocuteurs, soit Kieffer était « inconnu », soit il n'était pas journaliste. Pour l'avoir connu dans la seconde moitié des années quatre-vingt, alors que j'exerçais à la Guadeloupe et que lui avait depuis peu quitté Libération pour La Tribune, pour avoir collaboré avec lui sur quelques sujets sensibles à la faveur de mes fréquents déplacements sur Paris, je ne le connaissais que comme journaliste, au sens de la définition du Code général des impôts comme de la Commission de la Carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP)… Et à ma connaissance, rien n'avait vraiment changé, malgré une parenthèse ivoirienne.
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Cinq ans après, toujours la même exigence de vérité
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Lors de sa
disparition, le 16 avril 2004, voici cinq ans jour pour jour, en milieu de
journée, sur le parking d’un supermarché d’Abidjan, notre voisin enquêtait sur des malversations, notamment dans la filière
cacao, la principale richesse du pays. A l’occasion des fêtes de Pâques, une ONG helvète, La Déclaration de Berne, a eu la bonne idée de ressortir son dossier cacao, de rappeler que la Côte d’Ivoire est le premier producteur
mondial (40 % de la production) de cacao, que les enfants sont exploités, ou encore que le cacao est utile dans les conflits armés.
Et
dire que l’on reconnaît à ce produit des vertus antistress… Vendredi dernier, Arte, dans son magazine Globalmag, a
diffusé un fort éducatif reportage de l’agence Capa intitulé « Chocolat
amer », à visionner ici. Instructif et d’autant plus « amer » que, depuis un
peu plus de deux mois, le directeur général délégué de CAPA n’est autre que… le fils du ministre français des Affaires étrangères !
Mobilisation
à Lyon et à Paris
Ce
jeudi 16 avril, pour commémorer le cinquième anniversaire de la disparition de
Guy-André Kieffer, des actions sont prévues dans deux villes : Lyon, où
travaille Bernard Kieffer, et Paris, où résident Osange Silou-Kieffer et
Canelle Kieffer, la fille que GAK a eue avec Osange, après leur installation
dans le 20e arrondissement.
A Lyon, à 11 heures, au
Club de la presse, un point presse sera fait sur les affaires Kieffer et Borrel. Rendez-vous est donné à 11h00 au 4, rue de la
Charité. Outre Bernard Kieffer et Mme Elisabeth Borrel (magistrate et veuve du
juge Bernard Borrel), sont annoncés Jacques Kieffer, le père de Guy-André, et
Baudelaire Mieu, le journaliste ivoirien qui travaillait avec Guy-André,
correspondant de l’Associated Press, qui a fondé, voici un an, le collectif ivoirien « Vérité pour Guy-André Kieffer » à Abidjan,
et Bernard Nicolas, journaliste ayant enquêté et écrit à la fois sur l’affaire Borrel et sur l’affaire Kieffer. Bernard Nicolas est entre
autres l’auteur de ce documentaire diffusé sur Canal + en mai et juin 2008 (lire ici son interview).
Plus de treize ans après l’assassinat du juge Borrel
à Djibouti et cinq années après l’enlèvement et le très probable assassinat du
journaliste Guy-André Kieffer à Abidjan, un point sera fait sur l’instruction
de ces deux affaires d’Etat(s), et les développements récents qui pourraient
permettre à la vérité d’émerger.
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Le 16 avril dernier, alors que le rassemblement avait lieu pour la première fois dans le 20e arrondissement, que Guy-André et Osange avaient adopté depuis 1980, la députée (PRG) de la Guyane Christiane Taubira-Delannon avait répondu présent
photo F.A.
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A Paris, l’habitude était
de se retrouver chaque année aux Colonnes du Trône, sur la place des Antilles
et de la Nation (trottoir du 11e arrondissement). Mais l’an passé,
le portrait de GAK devait être décroché (cette année, c’est la colonne qui est
en cours de ravalement), et la réunion avait eu lieu dans le 20e
arrondissement, place Gambetta. Le portrait avait été provisoirement posé sur le fronton de la mairie où il avait élu domicile depuis
1980, en présence de la comédienne Firmine Richard, élue du 19e arrondissement et conseillère de Paris (également cosignataire de la lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, es qualité de responsable du comité de soutien de ulramarins), de Christiane Taubira-Delannon, députée de la Guyane, de représentants de RSF, et de quelques habitués du rassemblement annuel. Un mois plus tard, il n’y était plus, mais en souvenir cette photo [prise par le ouaibemaître de ce blogue] figure toujours sur la page Wikipédia de GAK (y compris dans sa version anglaise).
Ce jeudi 16 avril 2009, faute de 11e -en
travaux- et de 20e -déserté- l’idée était de se retrouver devant
l’Opéra Bastille, comme indiqué ici. « Parce que Guy-André aimait l’opéra », précise
Osange. Mais, faute d’autorisation, le lieu de rendez-vous a été modifié en fin
de semaine et est désormais fixé, toujours à 13 heures, pour un freezing vers
13h30, du côté de l’esplanade de l’Arsenal de la Bastille.
Ce
jeudi soir, à partir de 20 heures, une soirée de musique et de poésie aura lieu
dans le 19e arrondissement, au Cabaret sauvage, à La Villette. L’occasion, entre autres, de retrouver Raph et la chanson qu’il avait
concoctée en hommage à GAK (durée : 3 min. 20). Une trentaine d’artistes
sont attendus, parmi lesquels Stomy Bugsy, Aroma, Les Ogres de barback, Dominik Bernard, Mariane Mathéus, Nzongo Soul, Jim et les Magic Beans, Dj Jay, Luna Barbara, Marie-Noëlle Eusèbe, ou l'inusable Joby Valente. Entrée libre. Si vous avez oublié comment on se rend au Cabaret sauvage, c’est par là…
Fabien
Abitbol
è Sur
Simone Gbagbo, lire Femme fatale, dans l’Express du 20 février 2003. Guy-André Kieffer se trouvait
en Côte d’Ivoire depuis un an, où il était parti, prenant un congé sabbatique
du quotidien économique La Tribune.
è Sur
l’assassinat du juge Borrel, lire ce dossier sur le site Assassinat de coopérants et celui-là sur Paradis fiscaux et judiciaires
è Le site Vérité pour Guy-André Kieffer et le blogue de soutien
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