L’édition de ce matin du quotidien ivoirien Le Patriote (journal fondé par des proches de Alexandre Ouattara, qui était ces derniers jours à Paris), a publié le Nouvel appel à tous les Ivoiriens et Ivoiriennes de bonne volonté, lancé par le frère de notre voisin le journaliste Guy-André Kieffer (GAK) et relayé avant-hier soir ici-même. Parallèlement, l’épouse du président Gbagbo, Simone Ehivet et l’ancien ministre des Finances Paul Antoine Bohoun Bouabré (aujourd’hui au Plan) se disent prêts à être entendus par la justice française… en Côte d’Ivoire, ce qui laisse perplexes Bernard Kieffer, le frère cadet de Guy-André, et Yves-M. Abiet, du Patriote. Ce dernier se demande si l’attitude de la « Première dame » n’a pas un rapport avec le sort de Rose Kabuye, responsable du protocole rwandais, poursuivie en France…
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Le 16 avril 2008, à l'occasion des quatre ans de la disparition de Guy-André Kieffer, un portrait géant était accroché pour quelques semaines au fronton de la mairie du 20e arrondissement, où il avait élu domicile depuis 1980. C'était il y a près d'un an, déjà
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Ainsi donc, deux des plus proches du président Gbagbo (lire ici « Le système Gbagbo », dans L’Intelligent d’Abidjan), son épouse et son ministre chargé du Plan (il était ministre de l’Economie et des Finances lors de la disparition de Guy-André Kieffer, à Abidjan, le 16 avril 2004) seraient prêts à témoigner. Mais sous conditions. Sous le titre « Kiejman, avocat de l’affaire Kieffer », La Lettre du continent de ce vendredi 26 (N°559), lettre confidentielle hebdomadaire à laquelle GAK collaborait jusqu’à sa disparition, annonce la couleur. La « Première dame » et le ministre d’Etat seraient décidés à parler. Du moins à donner leur vision des choses, leur « part de vérité ».
Depuis le début de la partie française de l’enquête, le juge Patrick Ramaël a effectué plusieurs voyages en Côte d’Ivoire. Il a eu l’occasion d’y entendre plusieurs personnes (même des personnalités) mais ni Simone Gbagbo ni Antoine Bohoun Bouabré. Il souhaitait entendre en France la femme du président et l’ancien ministre du Plan. On se souvient qu’un beau-frère de Mme Gbagbo avait été « inculpé » (c’est le terme technique ivoirien) pour complicité d’enlèvement et assassinat, alors qu’aucun corps n’a jamais été retrouvé, et qu’il avait un temps été emprisonné en Côte d’Ivoire ; en France, il avait été mis en examen pour enlèvement et séquestration. Mais c’est en juillet dernier que Mme Gbagbo et M. Bouabré avaient été convoqués par le juge Ramaël. Convocations que les intéressés avaient démenties. Et ils étaient prudemment restés hors de France. En octobre, après diverses « péripéties », dont un transport de justice au Palais de l’Elysée, la « Première dame », une fois de plus, refusait de venir en France.
« Mme Gbagbo n’a reçu aucune convocation du juge Ramaël. Et puis, elle n’a rien à voir avec ce dossier. Elle ne peut donc se rendre à une quelconque convocation », avait protesté Me Rodrigue Dadjé, l’avocat ivoirien de Mme Gbagbo, parlant d’absence d’un minimum de procédures. Le ministère ivoirien de la Justice disait avoir appris l’information par… la radio française. Et voilà que, selon La Lettre du continent, Simone Gbagbo et Antoine Bohoun Bouabré ont adressé, les 17 et 18 février, des courriers au juge Ramaël. Ils s’y disent prêts « à témoigner si le juge acceptait de se rendre à Abidjan » à nouveau. La Lettre du continent indique que Simone Gbagbo a choisi cette fois pour sa défense Me Pierre Haïk (qui est également l’avocat du Président Gbagbo et celui de Bolloré Afrique, entre autres). Les autres avocats sont, toujours selon La Lettre, George Kiejman (cabinet Kiejman & Marembert) et Pierre Cornut-Gentille (cabinet Cornut-Gentille).
L’avocat habituel de Simone Gbagbo, Rodrigue Dadjé se dit « complètement déconnecté » de cette information, parce qu’il était « en déplacement hors de la Côte d’Ivoire ».
« Signalons que le capitaine Tony Oulaï, soupçonné de faire partie des meurtriers de Guy-André Kieffer, a été arrêté par la police judiciaire, le 13 janvier 2006, à Paris dans le 18e arrondissement [Remis en liberté, il a de nouveau été interpellé le 17 octobre 2007 pour non respect du contrôle judiciaire, note du ouibemaître]. L’une des dernières personnes à avoir vu le journaliste avant sa disparition, est Michel Légré, époux d’une sœur cadette de Simone Gbagbo. Cela a suffi pour établir un lien entre le couple présidentiel et cette affaire. Il a été arrêté le 28 mai 2004. Inculpé par la justice ivoirienne pour «enlèvement et séquestration» de Kieffer, il a été incarcéré à la Maca avant d’être relâché. Tout comme Guédé Pépé Léonard alias James Cenach, responsable de la communication du ministre d’Etat Bohoun Bouabré, qui a été aussi placé en garde à vue le 4 août 2004 à Paris avant de recouvrer la liberté le lendemain. », indique Paulin N. Zobo dans Le Patriote de ce matin. « …soupçonné de faire partie des meurtriers… » ! Etrange expression qui sort près de cinq ans après la disparition de GAK, dans la presse locale, noir sur blanc.
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Bernard Kieffer : « Je précise qu’il s’agit du juge d’instruction français et non celui de la Côte d’Ivoire »
Photo Le Patriote - DR
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Le frère de GAK, Bernard Kieffer, qui tente de relancer une enquête au point mort, il déclare, réservé, au journal : « Je suis satisfait, mais j’émets en même temps des réserves. La première, c’est que dans le courrier qu’elle adresse au juge, Mme Gbagbo exprime toujours qu’elle est l’épouse du Chef de l’Etat et vice-présidente du groupe parlementaire FPI. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’elle pense que cela la met à l’abri de toute poursuite pénale. Son titre de député et vice-président du Groupe peut, peut-être, la couvrir. Mais pas celui de l’épouse du chef de l’Etat. Deuxièmement, je trouve que c’est une bonne idée d’accepter de rencontrer le juge. Mais j’aimerais aussi que le juge Ramaël, quand il sera en Côte d’Ivoire, puisse échanger avec tous les témoins qu’il n’avait pas encore pu entendre. Je cite en exemple MM. Gouaméné et Séri, qui ont été cités dans cette affaire. Je pense également à d’autres membres du commando qui ont enlevé mon frère. Que le juge rencontre Mme Gbagbo et le ministre Bohoun Bouabré, c’est déjà une bonne chose. Mais qu’il étende ces échanges vers d’autres témoins. »
Se demandant si « Des pressions politiques seraient […] à la base de ce revirement », le confrère Edgar Kouassi, sous le titre « Une volte-face salutaire » estime qu’« Il est temps de tirer les choses au clair ». Près de cinq ans après ce sombre 16 avril 2004, c’est le moins que l’on puisse dire…
Fabien Abitbol
⇒ Tony Oulaï déjà arrêté en 2005 pour « un délit de droit commun »
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