Voici dix ans déjà, le 16 avril 2004, que le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer (plus connu par certains de ses confrères sous l'abréviation de GAK), disparaissait en Côte d'Ivoire, dans des conditions encore non élucidées. Il laissait sans nouvelles son fils Sébastien-Cédrick à Montréal, qui vient d'avoir 39 ans, sa fille Canelle à Paris, aujourd'hui âgée de près de 28 ans, son épouse Osange, ses deux frères Bernard et Eric en région Rhône-Alpes, où résident aussi ses parents Jacques et Irène, aujourd'hui âgés de 88 et 89 ans.
Alors que Canelle Kieffer a prévu un rassemblement mercredi 16 avril, de 12h30 à 14h, devant la mairie du 20e arrondissement, Bernard Kieffer, le frère cadet, a rédigé une lettre ouverte (à lire ci-dessous en intégralité), où il rappelle que "l’argent du cacao était massivement détourné pour l’enrichissement personnel des hauts responsables du régime Gbagbo et pour le commerce des armes".
Depuis avril 2004, Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont remplacé Jacques Chirac à l'Elysée, Michel Barnier a été remplacé au Quai d'Orsay par Dominique de Villepin, Philippe Douste-Blazy, Bernard Kouchner, Michèle Alliot-Marie, Alain Juppé, puis Laurent Fabius, et le juge d'instruction français Patrick Ramaël a été déchargé de ses fonctions, après avoir instruit l'affaire durant plus de neuf ans. En Côte d'Ivoire, la transition ne s'est pas faite sans heurts, et le couple Gbagbo, dans le collimateur du juge Ramaël, a été arrêté il y a tout juste trois ans.
Pour mieux s'y retrouver, la chronologie de l'affaire en PDF jusqu'en juin 2013, le site Internet Vérité pour Guy-André Kieffer, la page wikipédia de GAK en français et en anglais (plus détaillée), et le dossier Affaire Kieffer de ce blogue.
F. A., photo DR
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L’une des personnes qui a beaucoup côtoyé Guy-André Kieffer (GAK) à Abidjan et qui a connu très souvent des situations de grand danger, a coutume de dire que dans toutes situations périlleuses, «il faut savoir localiser le diable» : une fois que l’on sait où il est et sous quels traits il se dissimule, il est beaucoup plus facile de s’en prémunir.
Or, dit-il aussi, Guy-André, n’a pas su «localiser le diable» : il se connaissait beaucoup d’ennemis car un grand nombre d’entre eux l’avait ouvertement menacé en raison de son travail d’investigation de plus en plus dérangeant pour les hauts dignitaires du régime ivoirien. Certains avaient appelé à son expulsion, d’autres à le faire taire définitivement.
Il se méfiait de ceux-là et pourtant, le 16 avril 2004, vers 13 h 30, il a disparu pour ne plus réapparaître.
Ceux qui l’ont fait tomber dans un piège fatal, ceux qui l’ont trahi ont su le tromper au point de le faire venir à un rendez-vous qui n’était autre qu’un traquenard.
Alors, finalement, «le diable» aurait-il gagné la partie ?
A cette question, je répondrai oui, sans doute car GAK a probablement définitivement disparu et n’empêchera plus quiconque de détourner des fonds, de se livrer aux turpitudes financières les plus savantes qu’il savait parfaitement repérer et décrypter à longueur d’articles.
Oui encore, car après sa disparition la presse occidentale a déserté le terrain ivoirien, se repliant prudemment dans les pays voisins de la Côte d’Ivoire, laissant ainsi le champ libre et donnant raison à ceux qui disaient : «GAK, ça commence à bien faire !».
Oui, car ceux qui l’ont fait disparaître voulaient le faire taire : il s’est tu et personne derrière lui, à ma connaissance, n’a repris les enquêtes de fond, les investigations qu’il menait sur le terrain, même si l’ONG internationale Global Witness et l’Union européenne lui ont donné raison a posteriori en confirmant que l’argent du cacao était massivement détourné pour l’enrichissement personnel des hauts responsables du régime Gbagbo et pour le commerce des armes.
Le 20 avril 2009, sur France 24, un professeur américain enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris déclarait à ce propos : «La meilleure façon d’honorer la mémoire de Guy-André Kieffer est de continuer à enquêter sur la filière cacao. Ainsi, ceux qui ont fait taire GAK n’auront pas réussi à faire taire le journalisme d’investigation».
Je répondrai enfin oui à cette question car tous les témoignages crédibles qui nous sont parvenus, tous, viennent étayer la thèse de l’assassinat de mon frère.
Et pourtant, nous ne désespérons pas de connaître l’épilogue définitif de cette affaire, dont l’instruction est toujours ouverte à Paris comme à Abidjan et de savoir ce qu’est devenu GAK. Nous ne désespérons pas non plus de voir un jour les commanditaires et les exécutants répondre de leur crime dans un prétoire français ou ivoirien.
Ce serait rendre justice à son travail, à ses convictions, à ses amis et à ses proches, en particulier à ses parents qui ont aujourd’hui 88 et 89 ans.
Le juge d’instruction Patrick Ramaël nous a souvent dit qu’il y avait trop de monde impliqué dans cette affaire pour que la vérité ne finisse pas par émerger.
J’en accepte l’augure en me rappelant que ce que disait Max Planck : «Même lorsque la vérité a du mal à triompher, ses ennemis finissent toujours par mourir…».
Bernard KIEFFER, frère de GAK
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