Nous avons le sentiment qu’il serait trompeur d’attribuer à
la seule «crise économique» les fortes mobilisations sociales que nous venons
de connaître. Plus encore que le nombre de manifestants, déjà impressionnant,
la sympathie envers les grévistes d’une large majorité de nos concitoyens
montre que c’est bien toute une politique qui est rejetée. Certes, les cohortes
de licenciements plongent une part grandissante de la population dans le
désespoir, pour celles et ceux qui viennent d’être exclus du monde du travail,
et dans l’angoisse, pour celles et ceux qui craignent de subir le même sort
dans les mois qui viennent, mais le mépris affiché par ceux qui nous
gouvernent, l’injustice fiscale maintenue contre l’indignation générale, qui
prend même aux franges de la majorité gouvernementale, la généralisation de
mesures liberticides (toujours moins de justice, toujours plus de police, et
une police qui, pour «faire du chiffre», tombe davantage à bras raccourcis
sur les faibles, jeunes, migrants, prostitué-e-s, que sur ceux que l’on
qualifie parfois de criminels endurcis : résultat navrant de la culture du
résultat (désolant oxymore cher au chef de l’Etat), les cadeaux aux puissants
et les miettes aux faibles. On pourrait allonger sans peine cette triste
litanie.
Le peuple bouge, donc, en métropole et plus encore outremer.
Il faudra, avec la bonification du recul et de la sérénité, tirer les leçons
données, sans qu’ils y prétendent, et c’est déjà un premier point qui nous
change de nos histrions médiatiques qui savent tellement mieux que nous ce
qu’il convient de faire, par les populations d’outremer, et singulièrement de
la Guadeloupe. Première approche : un mouvement unitaire, rassemblant
syndicats, associations de toutes sortes, notamment culturelles, citoyennes et
citoyens de toutes origines. Premier constat : les
«politiques», ceux de gauche, n’ont pas été en premières loges. Au
mieux, ils ont suivi le mouvement. Seconde approche : au-delà des
revendications économiques, c’est le refus d’un système qui est exprimé :
qu’est-ce que la pwofytasion sinon le système du marché-roi, dont chacun sait,
ou devrait savoir, qu’il est toujours biaisé ? Et plus biaisé encore
outremer, où les relents du colonialisme polluent toujours les relations entre
les citoyens. Troisième approche : quelle belle leçon donnée, en voyant
défiler ensemble ces personnes de toutes origines, de tous âges, clamant leur
fierté d’être tous antillais et, pour la plupart, d’être français, à la condition
que ce soit à part entière, démentant jour après jour les boutefeux du Figaro,
criant au racisme anti-blanc ou à l’indépendantisme masqué. On saura au moins
maintenant clairement que s’il existe en Guadeloupe des partisans de
l’indépendance, et c’est bien leur droit, ils sont, et largement, minoritaires.
L’unité dans la diversité, ici, on court désespérément après, là-bas, ils l’ont
montrée. On constatera tout aussi clairement que dans le passé récent, ni la
droite, on s’y attendait, ni la gauche n’ont levé le petit doigt pour permettre
aux populations d’outre-mer de recouvrer le bien précieux qu’est la dignité.
Voilà bien des sujets de réflexion pour les partis de gauche
(pour les centrales syndicales aussi). Car si le peuple bouge, les partis qui
prétendent défendre ses intérêts ne sont guère flambards. La majorité de nos
concitoyens rejette la politique économique du gouvernement ? Les partis
de gauche s’engluent dans des propositions vagues de «régulation»
du marché. Qu’il en faille, de la régulation, chacun en convient. Mais
laquelle, pour quels secteurs, pour quels objectifs ? Là, ça bégaie sec.
La loi Bachelot porte en germe le démantèlement, déjà bien amorcé, de l’hôpital
public ? Il faut tendre l’oreille pour entendre de timides protestations. Ce
n’est pourtant pas faute d’ignorance : les soignants, syndiqués ou non,
hors une minorité de mandarins, tirent depuis belle lurette la sonnette
d’alarme. L’université et la recherche sont en danger, l’école publique est
menacée ? On attend toujours les alternatives proposées par les partis de
gauche. Il y a certes, sur ces sujets et d’autres, des communiqués de
protestation, qui ne doivent guère émouvoir le napoléonain qui fait office de
président. Il y a aussi, soyons justes, parfois, des propositions, mais
inaudibles, soit parce qu’elles ont d’une timidité au-delà de celle de la plus
ingénue des rosières, soit parce que les organisations qui les portent (en
gros, tous les partis de gauche sauf le PS) n’ont pas accès à une couverture
médiatique suffisante. Mais nous attendons toujours le souffle d’un projet, et
les personnes capables de le porter.
Dans ce numéro, João Silveirinho, ça devient une habitude,
nous donne des nouvelles, justement, de la gauche, Gérard Belorgey et Yann
Fiévet nous parlent crise et globalisation, tandis que Philippe Goubault attire
notre attention sur l’école primaire en danger. «Producteurs, sauvons-nous
nous-mêmes», propose Michel Peyret dans une analyse à la fois large et aiguë.
Drôle et tragique, l’historiette colombienne que nous transmet Francisco
Satizabal. Moins drôle, encore que, et moins tragique, même si, le reportage
sur le procès en appel de Maria Vuillet, accusée d’outrage. Et bien sur les
chroniques (acides) du sarkozysme de Jacques Franck. En bonus, Aveclotantousenva
(encore un pseudo, ça) nous narre la remise du CIA Award à l’omniprésident
Jean-Luc Gonneau, pour RLB n°78
Pour lire les différents sujets du n°78 de Réchauffer la
banquise (RLB), cliquer ici.
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