Plus de trois semaines après l’incendie qui a tué cinq personnes dont quatre étudiantes, à Ménilmontant, les sinistrés tentent de s’organiser. Sans avoir pu, pour l’instant, entrer ne serait-ce qu’un instant dans ce qui était leur lieu de vie. Une réunion a lieu ce lundi sur les lieux du sinistre. En attendant les réunions hebdomadaires du jeudi, et le déblocages des situations…
Jeudi dernier, à l'angle de l'imprimerie, Sylvestre Piriot, directeur de Cabinet de Frédérique Calandra, faisait le point devant les habitants, entouré de Emilie Sagne, présidente de l'Association 6 Cité du Labyrinthe, et de Pierre Mansat, élu d'arrondissement et adjoint au maire de Paris (photo F. A.)
Voici une huitaine de jours, l’Association 6 cité du labyrinthe a été créée. Les buts de cette association Loi de 1901 sont d’«informer, défendre et représenter» les sinistrés, «le relogement décent et durable de tous les “occupants”», la «régularisation administrative immédiate et à long terme des sinistrés», et «toute action» ayant trait directement ou indirectement au sinistre. Emilie Sagne, la présidente, expliquait jeudi dernier aux anciens habitants de l’immeuble incendié —de façon intentionnelle, semble-t-il— que s’ils voulaient adhérer la cotisation, symbolique, était d’un euro. Et aux voisins, venus en soutien, qu’un compte bancaire serait ouvert dès que possible.
Jeudi dernier 5 mai avait lieu, dans la Cité du Labyrinthe, encore empreinte des odeurs de brûlé, une réunion. Il devrait, du reste, y en avoir chaque jeudi, à 19h. Ainsi qu’une, exceptionnelle, ce lundi 9 mai, à 19 heures aussi. A toutes, les riverains sont cordialement invités, et peuvent devenir «membres d’honneur» de l’association (les statuts précisent qu’ils n’ont dans ce cas pas le droit de vote).
Outre une présence policière, quelques maçons et l’architecte de sécurité qui devait fignoler son rapport pour le rendre au juge d’instruction désigné le 21 avril, étaient présents Sylvestre Piriot (chef de cabinet de la maire d’arrondissement Frédérique Calandra) et Pierre Mansat, adjoint au maire de Paris, qui s’était échappé quelques temps du conseil d’arrondissement.
Le chef de cabinet parlait donc, en quelque sorte, sous contrôle d’un élu certes local, mais ayant également une “casquette” Ville de Paris.
Car les habitants (plutôt les anciens habitants, les sinistrés) sont désœuvrés. Ils se sentent délaissés, ne savent pas trop où frapper, ni de quoi demain sera fait.
Personne ne sait au juste ce qui lui manque
Certes, dans l’urgence, tout semble avoir été fait: chaque personne qui ne pouvait pas être hébergée chez des proches a pu obtenir un hébergement d’urgence (en hôtel). Mais ce n’est évidemment pas une solution pérenne. D’autant que personne, jusqu’à présent, n’a pu mettre les pieds chez soi. Certains ne vivaient là que depuis un an, d’autres depuis beaucoup plus longtemps.
Inquiet, un homme, vivant en France depuis trente-deux ans, et disant prendre en charge depuis six ans les études de son fils, ne sait du coup pas ce qui lui manque ni ce qui lui reste, en matière de papiers, de fiches de paie, etc… Sans compter les vêtements, ou autres objets de la vie courante.
Des vols ont eu lieu, qui ont —on le comprend— exaspéré les habitants. Il se dit que des personnes ont été interpellées et se trouvent au commissariat de la rue des Gâtines. Mais, dans la mesure où personne ne peut rentrer chez soi, c’est le serpent qui se mord la queue! Que manque-t-il? A qui?
Pire: certains craignent que leur intimité, ou ce qu’il en reste, ait été violée. En effet, par au moins une fois, des individus ont dormi dans l’immeuble. Dans quel(s) appartement(s)? Personne ne veut le dire. Sans le moindre ménagement, l’architecte de sécurité soupçonne publiquement «des habitants» d’être retournés dans leur immeuble, car, dit-il, des bougies étaient allumées, comme un hommage aux disparus. Un acte inconscient, certes, mais des paroles maladroites qui exaspèrent les habitants.
Ces habitants ne comprennent pas pourquoi, trois semaines après l’incendie, l’immeuble ne fait toujours pas l’objet d’une surveillance. Sylvestre Piriot explique que le juge Renaud Halem n’a pas ordonné à la police de surveiller l’immeuble. De son côté, la SCI familiale qui gère l’immeuble estime que, le bâtiment étant entre les mains de la justice, elle ne peut même pas faire des trous dans les murs pour poser des caméras… Une fois de plus, le problème semble insoluble. Car même les détritus qui encombrent la chaussée ne peuvent être dégagés par les services de la voirie de paris sans une autorisation du juge. «Les pouvoirs de la mairie [d’arrondissement] sont très limités», explique le dircab de la maire, qui concède qu’«il y a eu des failles dans le système de protection».
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A l'angle de l'immeuble, une affichette annonce que les habitants se réuniront exceptionnellement ce lundi 9 mai, en sus des jeudis décidés la semaine dernière (photo F. A.)
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«La préfecture de police s’était engagée à sécuriser les lieux […] à protéger les effets personnels [et] à laisser travailler les enquêteurs» de la brigade criminelle, poursuit Sylvestre Piriot, dont les propos sont régulièrement traduits en arabe pour les habitants qui ne comprennent pas parfaitement (ou très mal) le français.
Depuis, il se trouve qu'une voiture, garée dans l'angle opposé à l'imprimerie, est là, occupée par un maître-chien.
Deux bonnes nouvelles toutefois sont annoncées par le représentant de la maire:
• à compter du mardi 10, selon une conversation téléphonique qu’il a eue le jour même avec le juge Halem, certains habitants pourront se rendre chez eux récupérer quelques affaires. Pas ceux de l’aile où l’escalier à brûlé, mais la majorité des autres. Il explique alors les modalités, et précise quels sont les habitants qui, pour des raisons de sécurité ou pour les besoins de l’enquête, ne le pourront pas.
• Sept dossiers de relogement étaient jugés prioritaires parmi les prioritaires: il s’agit des familles, et des familles avec enfants. Tous recevront «dans les jours qui viennent» un bon de visite pour un appartement.
La première nouvelle est accueillie modérément, car certains trouvent les exigences de la justice trop contraignantes, mais on sent tout de même, sur quelques visages, un soulagement. La seconde annonce semble faire plaisir y compris aux habitants non concernés. C’est aussi un signe que la mairie d’arrondissement fait —de ce côté-là du moins— son maximum, sachant que les contingents de logements sociaux ne sont pas réservés au maire.
Récupérer ce qui est récupérable
Sylvestre Piriot obtient de Pierre Mansat un acquiescement lorsqu’il évoque la possibilité que la Ville dégage quelques véhicules (et conducteurs) pour les affaires qui pourraient être récupérées. Puis Pierre Mansat s’éclipse, pour retourner au conseil d’arrondissement.
Commence alors un “travail” dévolu à la présidente de la toute nouvelle association Emilie Sagne, munie d’un paquet d’enveloppes qui viennent de lui être portées de la mairie, fait l’appel des habitants et distribue des attestations de péril et de résidence, qui permettront aux sinistrés de faire valoir leurs droits, et aussi récupérer dans les meilleurs délais leur caution.
Les sinistrés du 6 cité du Labyrinthe ont désormais besoin du soutien de tous. Jeudi, une voisine disait qu’elle préparerait une boisson pour une prochaine réunion. Certes, l’humeur n’est pas à la fête, pas du genre à faire un pique-nique, mais un peu de réconfort n’est pas superflu dans ces circonstances.
L’ouverture prochaine d’un compte pour l’association permettra aussi aux diverses actions de soutien qui ont lieu dans l’arrondissement (il y avait vendredi dernier une vente de gâteaux à l’école Tourtille) de se faire sans crainte d’“évaporation” des bonnes volontés. Beaucoup n’attendent que cela pour faire un geste, si symbolique soit-il.
Fabien Abitbol
Prochaines réunions dans la Cité du Labyrinthe :
Le jeudi à 19heures (donc jeudi 12 mai) et exceptionnellement ce lundi 9 mai à 19h.
Repris dans la Revue du Web de Mediapart du 10 mai
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