[Exclusif] Les plaintes déposées en novembre par Sihem Souid contre Jeannette Bougrab (ancienne présidente de la Halde) et Elisabeth Lévy suivent leurs cours, et la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) a lancé des convocations, a-t-on appris de source proche du dossier. Ambiance…
Contre toute attente, le parquet de Paris n’a pas classé sans suite les plaintes déposées par l’ancienne policière de la police de l’air et des frontières d’Orly (PAF Orly) Sihem Souhid. Cette dernière est convoquée le jeudi 20 novembre à 14h30 rue du Château-des-Rentiers, dans le 13e arrondissement, au vu d’un document que le ouaibemaître de Ménilmontant, mais oui madame… a pu consulter. C’est là que se trouve la BRDP, dont l’un des deux pôles, rappelait le PPrama n°133 du 20 octobre 2010, est «spécialisé dans la lutte contre les menaces, les infractions à la législation du travail et atteintes à la santé publique» qui «assure également les surveillances pénales des professions judiciaires et la répression des atteintes à l’autorité de justice, à l’intimité de la vie privée, au secret des correspondances et au droit des élections et des manifestations».
Sihem Souid aura donc à préciser aux policiers de cette unité ses griefs à l’endroit de la nouvelle secrétaire d’Etat à la Jeunesse et la journaliste qui avait, à la télévision, annoncé une décision de la Halde, le 19 novembre dernier. «C'est ce qu'on appelle une “plainte parquet”», précise une source policière, indiquant par là que le parquet a estimé que la plainte était à prendre au sérieux.
Selon l’ancienne policière de la PAF Orly, rencontrée jeudi soir à Paris à l’occasion d’un café littéraire, elle et Mme Bougrab s’étaient croisées en septembre à l’ambassade des Etats-Unis au cours d’une soirée organisée chaque année lors du ramadan. Sihem Souid affirme que Jeannette Bougrab lui a dit que tout se passerait bien, qu’il y avait à son endroit discrimination, comme son prédécesseur Louis Schweitzer l’avait affirmé, que le service juridique de la Halde travaillait sur le dossier, et qu’elle recevrait prochainement la réponse. Bref, tout semblait aller correctement.
Le temps passe, les têtes aussi
Arrive le remaniement gouvernemental du 14 novembre et Jeannette Bougrab, qui n’était présidente de la Halde que depuis avril, rejoint la “nouvelle” équipe. Sihem Souid n’a toujours rien vu, rien reçu.
Le livre-témoignage Omerta dans la police est sorti le 14 octobre 2010. La jeune femme poursuit sa tournée promotionnelle, avec au passage une convocation au tribunal pour «violation du secret professionnel» (l’affaire vient de faire l’objet d’un renvoi à mars prochain). Nous arrivons alors le 19 novembre, sur le plateau de Semaine Critique, présenté par Franz-Olivier Giesberg. C’est là que, de la bouche de Elisabeth Lévy, Sihem Souid apprend que la Halde a rejeté sa requête… alors que la décision qui était imminente deux mois plus tôt ne lui a toujours pas, dit-elle, été notifiée [vidéo ici, durée 8 min.].
Le mardi suivant l’émission, la jeune femme déposait plainte à Paris contre X… pour «violation du secret professionnel» et «recel», mettant en cause l’ancienne présidente de la Halde, devenue Secrétaire d’Etat.
C’est tout juste une semaine plus tard, le 1er décembre, que Sihem Souid sera suspendue de ses fonctions pour quatre mois pour manquement à son obligation de réserve.
Née en Tunisie, à Monastir (la ville du président Bourguiba), Sihem Souid est arrivée en banlieue parisienne à l’âge de deux ans. Un BTS action commerciale en poche, elle a d’abord travaillé dans le privé, dirigeant un important service aéroportuaire à la Brink’s, où elle était «trois fois mieux» rémunérée que lors de son entrée dans la police (soit environ 4000€ mensuels). Puis elle a, «par vocation», passé un concours de police… dont elle est sortie major, et s’est retrouvée affectée à la PAF Orly.
C’est là que la jeune femme va vivre, durant plus de trois ans, parfois comme victime, parfois comme témoin, un métier loin de celui qu’elle idéalisait.
Mais ce qu’elle met en cause aujourd’hui, une fois le livre publié, ce n’est pas la police dans son ensemble. Ce sont certaines personnes comme elle a pu en croiser dans le premier service où elle a été affectée, et la hiérarchie qui les couvre. Les dérives d’une minorité couvertes par ce qu’elle appelle une omerta. Une minorité qui pratique des actes aussi variés que la discrimination en interne, la rétention durant 48 heures d’un Américain de Guam, avec un passeport en règle, libéré à la demande de son ambassade, ou l’humiliation d’une femme arrivée du Congo et filmée nue. Une minorité qui ne devrait pas pouvoir exercer, si l’on souhaite que le Français moyen n’aie pas peur à la vue d’un uniforme.
Etrangement, après avoir longuement écouté Sihem Souid, après avoir très peu échangé quelques mots avec elle au cours d’un dîner, m’intéressant aussi à deux de ses anciennes collègues, j’ai eu l’impression qu’elle se plaignait davantage de la situation qu’elle a vécue à son premier poste que du viol qu’elle a subi. Par pudeur, peut-être. Par fierté sans doute.
Car aujourd’hui, cette femme se bat pour sa fierté, et pour sa fille aussi, qu’elle ne puisse pas avoir honte. Une police républicaine, elle y croit. Sihem est avant tout française, sinon elle n’aurait pas pu entrer dans la police.
Dans sa bataille, elle est entourée de quelques personnes issues du mouvement associatif ou des forces de l’ordre, dont les ancien(ne)s collègues pour qui une information judiciaire a été ouverte en décembre dernier. Elle en a besoin, et son combat le mérite, pour tous les citoyens de France, y compris les arabes, les bougnoules et les gouines.
Fabien Abitbol
A lire ou relire:
Les frontières intérieures de la police aux frontières (Libération, 30 juin 2009)
Ca va les Bananias? (sur le blogue, 13 avril 2010)
Des fatmas pour taper sur des fatmas (Regards, 3 janvier 2011)
Reprises: sur le Dazibaoueb de vendredi 14, en revue de web de Mediapart samedi 15 -image ci-contre, sur La Vigie de Rue89 dimanche 16 janvier
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