La colère d'une femme est aussi la mienne
[Exclusif] Lundi sur France 2, dans la soirée sur les “nouveaux redresseurs de torts”, on ne verra pas l’ancienne adjointe de sécurité de la Police aux frontières d’Orly (PAF). Sihem Souid, auteur de Omerta dans la police, avait été filmée sur trois jours, pour être intégrée dans le reportage «Femmes de têtes». Elle a été avisée vendredi que les images étaient inexploitables, officiellement de trop mauvaise qualité pour passer à l’antenne.
Lorsque Sihem Souid m’a appelé samedi matin, pour m’aviser de la déprogrammation de son passage à Complément d’enquête du 28 (que j’avais annoncé ici dès le 19), j’en suis resté coi. Je trouvais bonne l’idée de regrouper trois femmes, même si deux d’entre-elles (Véronique Vasseur et Irène Frachon) avaient la même profession, médecin. J’avais vu travailler une partie de la journée du 8 février (jour du passage en conseil de discipline) l’équipe qui préparait le documentaire. Et avais remarqué qu’ils mettaient aussi «en boîte» un court entretien avec Gérard Gatineau (policier à la retraite, auteur de 30 ans de bitume), ainsi qu’un, plus détaillé, avec Nadia, une ancienne collègue de Sihem, qui, depuis, a été licenciée de la police. Elle avait un “défaut”: elle vivait en PaCS avec une autre collègue.
Outre cette «matière», je savais aussi que Sihem avait passé une partie de sa journée de la veille avec l’équipe de tournage. Et hier matin, Sihem Souid m’a expliqué que, non seulement l'équipe de tournage avait encore passé un samedi avec sa famille et ses proches, mais qu’elle avait pu, en outre, interviewer l’ancien mari de Sihem Souid, dont elle est séparée depuis septembre 2009. Une séparation consécutive au fait qu'elle prenait son travail trop à cœur, dit-elle.
Du reste, le reportage «Femmes de tête», réalisé par Fabien Chadeau et Claire-Marie Denis, était ainsi présenté par la chaîne:
« Elles sont mères de famille, médecin ou policier. On les croyait fragiles et, pourtant, elles n’ont pas hésité à taper du poing sur la table, au risque de sacrifier leur carrière.
« Qu’elles dénoncent les ravages du Médiator, le délabrement des prisons en France ou le racisme dans la police, comment ces femmes ont-elles organisé leur combat ? Révocation, divorce, quelles ont été les conséquences de leur engagement sur leurs vies?»
…tant dans les programmes diffusés à la presse (les magazines télé étant sortis lundi 21 février, et Télérama mercredi 23) que sur le site de Complément d’enquête.
L’expression «racisme dans la police» était relative à Sihem Souid, ainsi que le blogue l’avait annoncé dès le 19 février. Le mot «divorce» aussi.
Lorsque le site de l’émission a été mis a jour pour annoncer la soirée du 28 février consacrée aux «nouveaux redresseurs de torts», il y a notamment été écrit :
«Parmi eux, il y a ces jeunes hackers qui déstabilisent des multinationales depuis leur chambre d’ado. Mais aussi ces femmes qui ont mis leur carrière en péril pour défendre une juste cause, comme Irène Frachon, Véronique Vasseur ou Sihem Souïd. Pourquoi ont-ils choisi de dire non, quel qu’en soit le prix?» (lire ici, voir capture d'écran).
Voilà donc une équipe de professionnels qui tourne sur trois jours, qui réussit à se procurer des témoignages rares et un témoignage exclusif, et qui n’est pas capable d’extraire assez d’images de bonne qualité pour les incorporer dans un reportage dont la durée prévisible allait être de 22 à 26 minutes. C’est peu crédible, mais c’est bien ce qui a été dit vendredi soir à Sihem Souid, ce qu’elle m’a relaté samedi matin. Depuis, par l’intermédiaire d’une responsable de la communication du groupe France Télévisions, j’ai tenté d’obtenir une version plus crédible. En vain(*). A croire que la grande machine de l’audiovisuel public ne gère pas ce genre de situations en week-end. Ou n’ose pas le faire.
Ma requête, m’a assurée mon interlocutrice, a été transmise à la rédaction en chef de France 2 dès samedi après-midi. Dimanche en début d’après-midi, toujours pas de nouvelles.[lire la mise à jour plus bas]
A l’approche de la Journée internationale des Femmes, je regrette —le mot est faible, surtout s'agissant d'une chaîne du service public— que l’omerta que dénonce Sihem Souid dans son ouvrage frappe également la télévision, et prive le grand public de précieux témoignages. A moins que ces témoignages soient trop gênants pour certains.
Inutile de préciser sur Sihem Souid n’avait pas besoin de ce contretemps supplémentaire.
Fabien Abitbol, photo DR: Sihem Souid, le 8 février, rue Nélaton, après son passage en conseil de discipline, discutant avec votre ouaibemaître (de dos) ; ill.: capture d’écran Complément d’enquête sur le site de France 2
Mise à jour de 20h00: La responsable de communication sollicitée samedi en début d'après-midi confirme par téléphone dimanche à 19h50, suite à un contact avec la rédaction en chef, que «les rushes ne sont pas exploitables».
Complément d'enquête, Les nouveaux redresseurs de torts
France 2, lundi 28 février, 22h50, durée: 1h55
Reprise sur Dazibaoueb à 19h52
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