Dans le cadre du dixième voyage effectué par le juge d’instruction Patrick Ramaël à Abidjan (Côte d’Ivoire) pour enquêter sur la disparition de notre voisin le journaliste Guy-André Kieffer, le nom d’un avocat parisien cité par le Nouvel observateur en février 2007 a refait surface. Mandaté par l’Union européenne, Me Xavier Ghelber avait failli être exécuté après son enlèvement par un commando.
Le portrait de Guy-André Kieffer, qui avait été accroché au fronton de la mairie du 20e arrondissement le 16 avril 2008, trône désormais dans le hall, face au couloir de l’état civil et des affaires scolaires
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Lors de la conférence de presse qu’il donnait à Lyon avec la veuve du juge Borrel le 16 avril, jour du cinquième anniversaire de la disparition de son frère, Bernard Kieffer n’avait pas caché ses craintes (« sa plus grosse peur ») de voir disparaître le juge d’instruction, et par là, la fin de ce type d’enquêtes internationales, donc complexes. Voilà que, dans les nombreuses auditions menées par les juges Ramaël et Blot lors de leur semaine passée à Abidjan, ils sont arrivés à ce que la famille appelle une « similitude troublante », et qui avait été révélé mi-février 2007, voici déjà plus de deux ans : un avocat parisien a été enlevé en novembre 2004 à Abidjan dans les mêmes circonstances que celles auxquelles l’enquête sur la disparition de Guy-André Kiefer est arrivée.
Au sujet de cet avocat parisien, le Nouvel obs écrivait alors : « Quand ses ravisseurs ont voulu lui enfiler un sac sur la tête, Xavier Ghelber s'est rebellé : “Je me suis dit, ça va faire comme Kieffer, ils vont m'exécuter.” C'était en novembre 2004, au plus fort des émeutes qui ont contraint 8 000 Français à quitter la Côte d'Ivoire. Mandaté par l'Union européenne pour effectuer un audit sur la filière cacao du pays, cet avocat français a été enlevé en pleine nuit par ces hommes menaçant de l'exécuter qui l'ont conduit… à la résidence du président Gbagbo. Ses ravisseurs connaissaient bien les lieux : l'instruction menée par un juge français a montré qu'ils appartenaient à la garde rapprochée du président ivoirien. Xavier Ghelber s'en est tiré, mais l'instruction de son affaire est elle aussi au point mort. Les autorités ivoiriennes sont restées sourdes aux demandes d'audition des ravisseurs ».
Garde rapprochée
Cette dépêche de l’AFP, datée d’hier midi, indique que l’audition de Patrice Baï a permis le rapprochement entre les affaires Kieffer et Ghelber et que les hommes soupçonnés d'avoir participé à l'enlèvement de Xavier Ghelber étaient des « membres de la garde très rapprochée du chef de l'Etat ». Patrice Baï (aussi orthographié Bayi ou Bailly) était en 2004 le responsable de la sécurité à la présidence ivoirienne, et chef de la sécurité rapprochée de Laurent Gbagbo depuis 1990.
Le samedi 6 novembre 2004 au soir, alors que des
milliers de personnes manifestaient contre les Français après la destruction de
l'aviation ivoirienne en représailles au bombardement d'un cantonnement militaire français à Bouaké qui avait fait neuf morts, Me Ghelber explique s’être réfugié dans sa
chambre d’hôtel. A cinq heures du matin, le 7 novembre, on lui intimait l'ordre
de sortir, avant un tir de fusil d’assaut dans la porte. Il a ouvert à six ou
sept personnes, a été emmené par trois, semble-t-il à « la résidence du
président » selon ce qu’il a entendu avec un sac sur la tête, a entendu
siffler des balles, a passé des barrages, puis finalement s’est retrouvé au
quartier général de la gendarmerie avant de rejoindre le Tiama, un étalissement confortable où se trouve le médiateur Thabo Mbeki, comme il l’explique à France-Soir de ce jeudi. Nul doute que la présidence ivoirienne
ne devrait pas tarder à réagir à ces déclarations, dont on savait depuis fin
avril qu’elles étaient sur le point de sortir.
Kieffer, tu es là ?…
Lorsque l’avocat parisien, le 13 novembre 2004, avait déposé plainte à la brigade criminelle, une information judiciaire avait été ouverte, le 17 novembre, pour « enlèvement », « séquestration » et « tentative d’assassinat », par… le juge Ramaël, qui avait déjà l’affaire Kieffer et s’était occupé de l’assassinat, en Côte d’Ivoire également, du journaliste Jean Hélène par un sergent, à proximité de la direction de la police ivoirienne…
Dans « Devoir de mensonges, crise à l’Ivoirienne »,
pour lequel il était récemment de passage à Paris au Salon du livre, Faustin Toha écrivait, relatant une
rencontre entre le président Gbagbo et des journalistes de la presse étrangère,
« Au final, quelques tapes sur l'épaule des journalistes qu'il reconnaît,
il s'avance vers l'un d'entre eux. "Kieffer, tu es là ? Avant, tes papiers
étaient intéressants, mais maintenant tu écris des conneries", déclare
Laurent Gbagbo sur un ton blagueur. "Monsieur le Président, je n'écris pas
de conneries", rétorque Kieffer ». C’était le 24 octobre 2003, et
l’auteur d’ajouter, « Il était difficile, à ce moment-là, d'imaginer que
Guy-André Kieffer, le journaliste franco-canadien serait, quelques mois après,
une autre victime disparue sans laisser de traces ». Cette anecdote, relevée par André Silver Konan dans Le Repère (8 mai 2009) montre, s’il en était
besoin, que Kieffer et Gbagbo se connaissaient. Or le président Gbagbo a longtemps prétendu ne pas connaître le journaliste, qu’il fréquentait lors de son exil parisien.
Fabien Abitbol
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