Le gouvernement a saisi la CNIL, début 2008, d’un avant projet de loi relatif à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) [avant-projet Olivennes, expliqué ICI par Legalbiznext, note du ouaibemaître] qui, depuis, est devenu le projet de loi «création et Internet». Ce texte a pour principale finalité d’organiser la lutte contre le piratage sur Internet. Seraient concernées, les personnes dont la connexion aura servi à la mise à disposition sur internet de fichiers protégés par les droits d’auteur. Le dispositif de riposte graduée prévu implique la mise en œuvre, par l’HADOPI et les fournisseurs d’accès Internet, de traitements de données à caractère personnel en ce qui concerne en particulier les personnes dont l’accès à Internet aura été suspendu.
Emmanuel de Givry, Conseiller à la Cour de cassation, Commissaire en charge de la gestion des risques et des droits
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Pourquoi la CNIL n’a-t-elle pas pu communiquer sur l’avis qu’elle a rendu sur le projet de loi « création et internet » (anciennement HADOPI) alors même que celui-ci a été publié dans la presse ?
Le gouvernement a saisi la CNIL pour avis sur le fondement de l’article 11-4° qui prévoit que la CNIL est consultée sur tout projet de loi ou de décret relatif à la protection des personnes à l’égard des traitements automatisés. Cet avis, du 29 avril 2008, n’a pas été rendu public.
Dans le cadre d’une telle procédure, l’avis de la CNIL est en effet couvert par le secret des délibérations du Gouvernement.
Ceci résulte de l’interprétation que la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) fait des articles 2 et 6 de la loi du 17 juillet 1978.
Ainsi, la CNIL n’était pas en droit de rendre public son avis sans l’accord du Gouvernement. C’est pourquoi elle s’y est refusée, malgré les nombreuses demandes qui lui ont été adressées, qu’elles émanent de journalistes ou des rapporteurs du projet de loi.
Or, à la suite d’une « fuite », cet avis a été publié dans la presse en novembre 2008, ce qui a évidemment mis la CNIL dans une situation très inconfortable.
N’est-il pas gênant de rendre un avis qui peut, selon le souhait du Gouvernement, ne jamais être connu ?
Cette situation est très clairement insatisfaisante ; c’est la raison pour laquelle une proposition de modification de la loi est évoquée dans la conclusion de ce rapport.
En effet, la CNIL n’a pas été en mesure de s’exprimer sur le texte soumis au débat parlementaire puisqu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de s’appuyer sur sa délibération pour étayer son argumentation.
Une telle situation génère donc incompréhension et approximation car nombre d’intervenants se référent à ce qu’ils pensent être l’avis de la CNIL sans en disposer réellement.
En outre, dans le cas du projet de loi HADOPI, le fonctionnement de ce mécanisme aboutit à une situation incohérente puisque l’avis a été rendu sur un texte qui a, entre temps, beaucoup évolué, notamment grâce aux observations formulées par la CNIL. Par exemple, dans l’avant-projet, l’HADOPI pouvait demander aux fournisseurs d’accès de filtrer les contenus, ce qui présentait un risque d’atteinte à la liberté d’expression, que la CNIL avait souligné. Or, dans le nouveau texte soumis aux assemblées, il est désormais prévu que seule l’autorité judiciaire peut ordonner aux fournisseurs d’accès de procéder au filtrage des contenus.
Même s’il ne vous est toujours pas possible d’entrer dans le détail de l’avis, pouvez-vous indiquer la nature des réserves émises par la Commission ?
Tout d’abord, il convient de relever que le texte a profondément évolué entre le projet de loi soumis à la CNIL et celui discuté par le Sénat, puis par l’Assemblée Nationale.
Cette précision étant donnée, il est possible d’indiquer que les observations de la CNIL portaient notamment, sur la possibilité d’imposer une phase préalable d’information des internautes avant l’adoption d’une sanction. De même, la Commission s’est interrogée sur l’effectivité du processus de «déjudiciarisation» et le rôle des Sociétés de Perception et de Répartition des Droits d’auteur (SPRD). Ces organismes, qui effectuent la surveillance des réseaux, pourront discrétionnairement faire le choix de saisir le juge pénal ou l’HADOPI. Enfin, la fiabilité des dispositifs techniques destinés à garantir la sécurité des connexions n’est pas acquise.
Notons toutefois, que la CNIL devra être saisie pour avis du décret d’application relatif aux modalités de mise en œuvre par l’HADOPI des traitements de données personnelles des internautes faisant l’objet de mesures de suspension. Elle exercera son contrôle sur l’ensemble de ces traitements, conformément à ses missions.
Source : Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), 30 ans au service des Libertés (29e rapport d’activité 2008, 13 mai 2009, page 18, La Documentation française 2009)
èHadopi : des Internautes préparent « la résistance »
Né le
8 août 1943 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Emmanuel Lesueur de Givry, magistrat, est diplômé d'études supérieures de droit
privé et de Montesquieu (Institut d'études politiques de Bordeaux), licencié en droit. Il a été
conseiller à la Cour d’appel de Paris de 1985 à 1991, premier vice-président au
Tribunal de grande instance de Paris de 1991 à 1997. Conseiller à la Cour de cassation, il est affecté à la deuxième chambre civile (assurances des
biens, transports) depuis janvier 1997 ; il a également été directeur du
service de documentation et d’études de la Cour de cassation.
M. de Givry est membre de la Commission nationale de l’informatique et des libertés depuis février 2004 et membre suppléant de la Commission d’accès aux documents administratifs ; il est vice-président délégué de la CNIL depuis février 2009.
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