Nous ne sommes que le 4 décembre et déjà sept personnes sans-abri ont succombé, probablement au froid. Ni l’opinion, ni la classe politique, ne s’attendaient à devoir faire ce constat aussi rapidement. Et pourtant, chaque année, on ne dénombre pas moins de 250 morts parmi cette population marginalisée.
Comme toujours, le déclenchement de l’alarme médiatique entraîne la plus vive émotion et l’on s’affaire à trouver des solutions de fortune pour passer l’hiver.
Au-delà de la création des centres d’hébergement, du dévouement des travailleurs sociaux, du vote de nouvelles lois, ce ne sera qu’une politique publique d’aide et d’accompagnement qui répondra véritablement aux besoins spécifiques des « gens de la rue ». Et ces besoins ne se limitent pas à une ration calorique ou à un logement.
A l’heure de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, ne serait-ce pas le minimum que de garantir le respect des droits fondamentaux de l’ensemble de nos concitoyens, sans distinction… de logis. Qu’ils soient sans abri, sans travail, souvent sans papiers et quelques fois sans famille, les SDF ont droit à la dignité, au respect et à la sécurité.
Dépasser l’urgence de l’instant pour rechercher des solutions adaptées à cette forme indigne d’exclusion est l’objectif que nous devons impérativement atteindre.
Les sans-emploi bénéficient de l’ANPE. Pourquoi les sans-abri n’auraient-ils pas une Agence Nationale des Français de la Rue ? N’en doutons pas, c’est l’érosion des droits qui emprisonne beaucoup d’entre eux dans la rue. Il est vain et illusoire de croire que l’on réglera le problème uniquement en les abritant, quelques nuits d’hiver, dans un gymnase.
L’Agence Nationale des Français de la Rue aurait, en tout premier lieu, un rôle de recensement et d’identification de cette population hétérogène que les estimations, sans doute sous-évaluées, chiffrent à près de 100 000 personnes, sans qu’une exacte distinction soit faite aujourd’hui entre les sans-abri et les mal logés… N’est-ce pas à ce seuil du nombre de sans-emploi que fut, en son temps, créée l’ANPE ?
Cette proposition n’est pas un moyen de se retrancher derrière une énième solution bureaucratique mais elle traduit plutôt une volonté de repenser et d’optimiser l’utilisation des ressources de structures sociales existantes.
Cette Agence fonctionnerait comme un guichet unique regroupant l’ensemble des services destinés à répondre aux besoins sanitaires et sociaux de ces accidentés de la vie.
Elle assurerait que les sans-abri aient accès, en tous lieux, à leurs droits d’identité et de prestations sociales (RMI, allocations familiales, droit au logement opposable etc.). Cette agence pourrait également organiser, dans la durée, leur suivi sanitaire, leur soutien psychologique et psychiatrique ainsi que les traitements de désintoxication indispensables pour certains d’entre eux. Elle pourrait enfin permettre l’exercice de leur droit à la formation et à l’insertion. Surtout lorsque l’on sait qu’un SDF sur quatre a moins de 25 ans. Parmi eux, il y a aussi des femmes et des enfants qui doivent naturellement bénéficier de leurs droits parentaux et éducatifs, des personnes âgées en situation de percevoir une retraite, des adolescents en obligation de scolarité ou encore des travailleurs pauvres, qui aspirent uniquement à un logement décent.
A l’instar du droit des victimes dont on a fini, dans notre pays, par reconnaître la légitimité, il est aujourd’hui urgent de consolider les droits de toute une population fragilisée à l’extrême, en mal de considération et de reconnaissance sociales.
Que l’émotion d’aujourd’hui, proportionnelle à la chute des températures, ne fasse pas naître qu’un stérile sentiment de culpabilité générale. Qu’elle préfigure la mise en place d’une solution pérenne au pays des droits de l’homme.
Il y a deux jours, Martin Hirsch a proposé de réfléchir à dix orientations pour réduire le nombre des sans-abri et de « repenser leur prise en charge dans le cadre d’un véritable service public ». La création d’une « Agence Nationale des Français de la Rue », pour laquelle je plaide depuis 2003, me semble pouvoir répondre à la question du Haut Commissaire aux Solidarités actives pour la pauvreté.
Nicole Guedj, ancien secrétaire d’Etat aux droits des victimes, présidente de la fondation Casques rouges
⇒ Agence Nationale des Français de la Rue
Les commentaires récents