Tragique destin pour un manœuvre polonais, victime du dumping social à la française. Son patron avait exploité le manœuvre polonais sans scrupule, sans protection, sans droit. Celui-ci n’y a pas survécu.
Ce n’était pas un plombier, mais un manœuvre. Dans le bâtiment, il faisait de la démolition, cassait les cloisons, défaisait les mauvais sols, arrachait les tapisseries. Il était Polonais sans papiers, donc surexploité. Cela faisait un mois qu’il travaillait clandestinement pour la même boîte.
D’après des notes retrouvées sur lui, à hauteur de 12 heures par jour ; épuisé, il n’était même pas payé pour la moitié. Pas de feuille de paie, pas de protection sociale. Il ne logeait pas sur le chantier comme souvent dans ce genre de cas. Sûrement allait-il chez un marchand de sommeil qui lui prenait l’essentiel de son salaire, ou bien dormait dehors. Impossible de survivre comme cela à la veille de l’hiver. Il avait une femme et un enfant en Pologne, à qui il ne pouvait pas envoyer d’argent comme il l’espérait en venant travailler à Paris. Il en devait même sûrement à son passeur.
Au fond, il faisait du Bolkestein sans Bolkestein, du nom de la fameuse directive qui n’a vu le jour qu’à moitié sous un autre nom (elle s’appelle Mac Creevy in fine). C’est elle qui prévoyait qu’on travaille dans n’importe quel pays européen, avec le salaire et le droit de son pays d’origine. Parfait pour casser le prix de la force de travail : on met en concurrence le plombier polonais avec le Français. Les défenseurs du traité constitutionnel européen opposaient à ceux qui le rejetaient (55 % des Français) : « C’est incroyable, vous voulez refuser le travail au plombier polonais ? »
Nous étions des affreux protectionnistes, sinon racistes, en plus d’être de frileux défenseurs des « acquis », du bulletin de paie. Bernard Guetta et Jean-Marc Sylvestre nous fustigeaient sur France Inter. Nous disions que cela ouvrait la porte à tous les trafics de main-d’œuvre, que l’exil des uns s’accompagnerait de la concurrence libre et faussée aux dépens des autres. Qu’on aimait les plombiers polonais, « tellement qu’on voulait que leur salaire augmente sans que le nôtre baisse » ! On défendait un code du travail européen aligné sur le haut, luttant contre les délinquants patronaux qui font fortune sur le malheur des manœuvres de tous les pays…
Un code du travail protecteur, renforcé : voilà un mot d’ordre central pour les prochaines élections européennes de juin 2009 ! Avec un Smic européen ! Contre le Livre vert de décembre 2006 promu par le Portugais Barroso qui proposait de niveler tous les codes du travail par le bas…
On refusait une Europe du dumping social, la casse des codes du travail nationaux les plus avancés, les exils contraints, les délocalisations des patrons voyous et des actionnaires rapaces. On exigeait qu’ils doublent les effectifs de l’inspection du travail et renforcent le droit pénal contre la délinquance patronale.
Rue de la Cerisaie dans le 3e, le patron a avoué, il avait exploité le manœuvre polonais sans scrupule, sans protection, sans droit. Celui-ci n’y a pas survécu, il a été retrouvé pendu le 1er octobre 2008 sur le chantier. Il avait 26 ans. It’s a Free World.
Gérard Filoche, pour Siné Hebdo N°13 (3 décembre), dessin de Chimulus
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