L’immeuble du 36, rue Botzaris (19e arrondissement), dont j’avais eu connaissance depuis une quinzaine d’années sans jamais vraiment le localiser jusque voici sept ou huit ans, vient de changer de mains. Le soir même de l’apposition d’une plaque officielle, celle-ci était décrochée…
Le 36, rue Botzaris (ainsi que le jardinet du 34 et le bâtiment du 42, rue du Plateau) est devenu le 15 juin une «annexe» de l’Ambassade de Tunisie. C’est le lendemain, le jeudi 16, que les locaux ont été évacués par la police française, à la demande des autorités tunisiennes. A l'heure où ces lignes sont écrites, il n'y a à ce sujet aucun communiqué sur le site Internet de l'ambassade, le dernier en date étant celui-ci (du 9 juin), qui apporte son soutien aux jeunes évacués le 7 juin, les mêmes ayant été mis dehors le 16…
Vendredi, une plaque mentionnant “Ambassade de Tunisie - «Annexe»” était apposée à l’entrée du bâtiment, côté rue Botzaris… pour finir en début de soirée dans une poubelle [photo ci-dessus].
Jusqu’à présent, le «36» était officiellement un Centre culturel, comme il en existe un autre en France, à Marseille. Parmi les activités officielles, des cours de langue et d’alphabétisation, ainsi que des activités sportives, pour la plupart pratiquées ailleurs, par manque de place.
Ainsi, le Rassemblement des Tunisiens de France section sports (RTF-Sports) se donnait rendez-vous le dimanche matin, de 9h à 12h, au Bois de Vincennes, route du Bosquet Mortemart, dans le 12e arrondissement, pour ses activités footballistiques au Stade Pershing. Mais le siège du RTF-Sports, émanation directe du RTF, se trouvait rue Botzaris, au 36. De même, le RTF-Sports avait deux clubs «multisports», l’un pour femmes, l’autre pour hommes, tous deux bien entendu domiciliés rue Botzaris. Le premier était dans le 18e arrondissement, au 58, rue Charles-Lhermitte, et se réunissait chaque mercredi de midi à 14 heures. Le second dans le 19e, au Centre sportif des poissonniers, où les pratiquants se retrouvaient le lundi soir à 18h.
Voilà pour la façade sportive, complétée par une petite salle au triste lino gris à droite en entrant dans la cour du «36». Salle où avaient aussi lieu des cours d’alphabétisation et qui servit, durant l’occupation, de dortoir.
Remplacer un centre culturel (et/ou sportif) par une «annexe» d’ambassade, dont on peut se demander si les guillemets signifient que le régime d’extra-territotialité ne s’y applique pas, peut paraître étrange. Surtout quand le régime tunisien n’est pas définitivement installé, et que son représentant officiel en France n’est toujours pas nommé. Le dernier ambassadeur en poste sous la présidence de Ben Ali a fait ses bagages le 15 mars dernier et, depuis, seul un chargé d’affaires est en poste à Paris.
Selon ce qu’écrivait Olivier Tesquet ici, le propriétaire de la parcelle (jusqu’au 15 juin, veille de la deuxième évacuation), était une mystérieuse «SA HLM franco-tunisienne». Dont personne à ce jour ne semble avoir connaissance… Il s’agit en réalité de la SAHLM «Foyer universitaire franco-tunisien», créée en 1955 et dissoute en… 1975, soit voici déjà plus de trente-cinq ans (Cf copie du JORF du 09 août 1975, page 8133, ci-contre, à télécharger ici).
Il était donc logique, les carrières professionnelles au sein d’une même entreprise durant rarement plus de trente-cinq ans en France (euphémisme), que personne au sein de l’Union sociale pour l’habitat, ne soit en mesure de renseigner Olivier Tesquet, surtout s’il s’est présenté comme journaliste pour OWNI, en cette période pour le moins tendue.
Les locaux de la rue Botzaris abritaient aussi de nombreuses autres associations, dont le Rassemblement des Etudiants tunisiens à Paris (Retap). Son site Internet (www.retap.org) a été vidé de ses archives.
Les activités occultes ou politiques dont la presse se fait peu à peu l’écho avaient lieu ici. Dans ce bâtiment (fin XIXe, comme en atteste le relevé des Archives de Paris ci-dessus, c'était l'adresse officielle), dont la seule chose vraiment visible pour les invités étaient une grande salle de réception… Le relevé ci-dessus date de vers 1880, probablement de 1882: c'est par un arrêté de novembre 1880 que la rue de la Vera Cruz fut débaptisée pour devenir la rue Botzaris, et la rue du Plateau a été ouverte en octobre 1882.
Mais ils y rentraient par la rue Botzaris et montaient quelques marches. Quant aux opposants au régime qui entraient —de gré ou de force— dans ce bâtiment malgré eux, ils passaient aussi par la rue Botzaris et n’avaient pour vue vers l’extérieur qu’un mince soupirail, pour les moins chanceux.
Fabien Abitbol
[Mise à jour le 18 juin à 9h30: précision sur la date du plan des Archives de Paris]
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