«Il a été procédé ce jour à l’évacuation de l’ensemble des ménages encore présents dans l’immeuble situé au 69, boulevard Poniatowski à Paris 12ème, en raison de l’apparition de nouveaux désordres avec une inondation du sous-sol provenant de canalisations fuyantes et d’une aggravation de la situation bâtimentaire», indique un communiqué conjoint de la préfecture de Paris et de la préfecture de police (PP) en date du 20 octobre 2010. C'est — à deux jours de l'ouverture du XIIIe Sommet de la Francophonie à Montreux (Suisse) — un pan de histoire africaine de Paris qui s'estompe, et, partant, de la négritude…
L’évacuation des derniers occupants de ce qui fut la Maison des Etudiants de l’Ouest africain — toujours fruit d’un litige entre la Ville de Paris et les pays de l’ex-Afrique occidentale française (AOF) — fait suite à celle réalisée le jeudi 28 janvier, au cours de laquelle quarante chambres «présentant un risque aggravé en raison d’importants défauts au niveau de la sécurité incendie» avaient été vidées de leurs occupants.
Ce mercredi, selon la PP, soixante ménages étaient concernés (77 adultes et 19 enfants), dont 23 éligibles au relogement. «Tous ont bénéficié à ce jour d’une proposition de relogement et 21 sont d’ores et déjà entrés dans un logement pérenne», indique la PP, qui précise que, en dépit des travaux de première urgence réalisés par l’Etat sur l’immeuble, d’importants problèmes se sont aggravés, menant à la prise d’un arrêté, le 18 octobre, prononçant l’évacuation totale.
Au titre des « anomalies bâtimentaires », la préfecture cite la «détérioration des planchers à tous les étages due à des fuites d’eau», des «problèmes persistants en matière de sécurité incendie», et des «accès difficile au bâtiment en cas de sinistre du fait des structures d’étaiement provisoires des façades sur rue et boulevard».
Un lieu chargé d'histoire
Le communiqué indique par ailleurs que les services du préfet de Paris ont fait des propositions de relogement aux 36 ménages relogeables (46 adultes et 18 enfants) dans Paris intra-muros et en proche banlieue. «26 d’entre eux ont d’ores et déjà intégré leur logement ou sont en passe de le faire. Dans cette attente, l’hébergement des ménages en attente d’entrer dans un logement sera intégralement pris en charge par l’Etat», est-il ajouté, précisant que «la restructuration immobilière de l’immeuble se poursuivra dans les prochains mois».
Avant de devenir respectivement présidents du Sénégal et de la Côte d'Ivoire, Léopold Sedar Senghor et Félix Houphouët-Boigny avaient séjourné dans cet immeuble parisien, à quelques pas de la porte Dorée, où, ironie de l’histoire, se trouve désormais la très controversée Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration. Dans la première moitié du XXe siècle, c’est dans ce bâtiment construit en 1911 que logeaient de nombreux députés africains de l'Afrique de l'Ouest. Après l'indépendance des colonies françaises, il fut rétrocédé aux sept Etats de l’AOF : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal.
Dans les années 70, pour des raisons politiques, les Etats se sont retirés de la gestion du bâtiment et ont laissé place à la Féderation des Etudiants de l’Afrique Noire en France (FEANF)… jugée «trop subversive» et dissoute en 1980. Depuis une trentaine d’années, donc, un conseil de gestion autonome gérait tant bien que mal le bâtiment, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était très peu entretenu. Les factures, elles, s’amoncelaient, de gaz comme d’électricité.
Un incendie en 2003, un autre à l’été 2007, quelques éboulements de blocs de pierre s’écrasant sur les trottoirs… et une procédure de «bien sans maître» lancée par la Ville de Paris, l’AOF n’existant plus et le titre de propriété restant introuvable.
Appelé à la rescousse par ses homologues, le président Wade a interpellé les autorités françaises sur la question, et protesté contre les tentatives de spoliation. La Mairie de Paris semble désormais moins intéressée par l'affaire, qui est gérée directement par Matignon et le Quai d'Orsay… et le gouvernement a obtenu que l’immeuble où Aimé Césaire allait de temps à autres rejoindre ses amis de la négritude soit temporairement affecté au domaine public de l'Etat.
Fabien Abitbol
A lire :
Les engagements du président Wade (10 mai 2009)
La maison des étudiants ouest africains cherche propriétaire (01 septembre 2009)
[mise à jour de 19h: ajout des trois derniers paragraphes de recadrage historique]
En français : Evacuation de La Maison des Etudiants de l’Ouest Africain à Paris (par Anna Gueye)
In English : Evacuation of The Former “House of West African Students” in Paris (by Anna Gueye)
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