Edith Bouvier et William Daniels, les deux journalistes partis mi-février pour la Syrie pour le compte du Figaro, ont été rapatriés en France vendredi 2 mars, où une enquête pour «meurtre» et «tentative de meurtre» a été ouverte par le parquet de Paris.
L’état de santé de Edith, blessée à la jambe le 22 février lorsque deux de ses confrères ont trouvé la mort, préoccupait ses amis et voisins à Ménilmontant, où elle vit depuis quelques années. Sur Facebook, ils ont créé la page de veille et d’informations “Edith, reviens”. Certains se sont mis au réseau social Twitter. Ceux qui pouvaient faisaient leur lobbying, délaissant peu ou prou leur activité professionnelle. Tous se retrouvaient quotidiennement là où Edith avait ses habitudes.
Edith Bouvier n’a pu quitter la Syrie pour le Liban que le 1er mars. Hospitalisée au Liban, elle a expliqué au Figaro sa vie à Homs. Arrivé à l’aéroport militaire de Vélizy-Villacoublay, William Daniels a à son tour rendu hommage au peuple syrien (vidéo ici). A Homs, les bombes continuaient à tomber samedi, faisant plus de 7500 morts civils en un an, selon les Nations unies.
Pour le blogue, Brigitte, l’une des voisines de Ménilmontant, raconte huit jours d’une attente interminable, entre fausses informations, espoir, et inquiétude, à lire ci-dessous…
F. A., ill. Christine Fort
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« Edith, reviens »
Nous sommes une bande de copains, nos âges s’étalent sur deux générations, notre point de ralliement est le boulevard de Ménilmontant: sa librairie Libre Ere, ses cafés, son restaurent kurde. Quand elle n’est pas à l’autre bout du monde, Edith est une pièce maîtresse de cette bande. Nous la voyons partir, parfois pour longtemps, en reportage dans des pays où, souvent, peu de journalistes vont. Entre deux reportages, elle déploie une énergie considérable à convaincre les medias de la nécessité d’un témoignage sur ceux qui sont les plus délaissés, et à se construire des réseaux qui lui permettent d’aller dans des endroits rares.
Mercredi 16 février, elle nous a dit “au revoir”, rue des Amandiers. Le lendemain, elle partait pour la Syrie. Une semaine après, une alerte arrive sur mon téléphone: «Syrie, deux journalistes tués à Homs». L’inquiétude est vive, je sais bien qu’il n’y a pas beaucoup de journalistes en ce moment à Homs. Aussitôt, je lui envoie un texto «Donne des news, on s’inquiète». Bientôt les dépêches nous donnent les noms des deux journalistes qui ont laissé leur vie pour témoigner de l’enfer: Marie Colvin et Rémi Ochlik. Peu de temps après, le Figaro annonce qu’Edith est blessée. Nous commençons par nous appeler les uns les autres. Puis nous faisons une mail liste pour partager nos informations. Bientôt, une première vidéo montre Edith consciente et la jambe gauche bandée. Nous apprenons aussi que William, le photographe qui l’accompagne, n’est pas blessé. C’est presque rassurant, le Figaro parle de rapatriement. Très vite, dans la journée, nous comprenons que ce ne sera pas simple, que la sortie de Syrie des journalistes sera difficile et nous ne connaissons pas la gravité de la blessure d’Edith. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire.
Chacun de nous a des contacts, qui avec des journalistes, qui avec des politiques, etc. Nous demandons des conseils. Bien que certains d’entre nous aient une bonne expérience militante, nous nous trouvons devant une situation toute à fait inconnue… et nous nous sentons extrêmement impuissants. La seule chose que nous pressentons, c’est qu’il faut mobiliser largement l’opinion pour que la pression soit telle qu’Edith ne puisse pas être «abandonnée», là-bas, blessée, sous les bombardements, à Homs. Nous savons aussi que plus nous «ferons de bruit», plus il y a de chances qu’Edith et William l’apprennent et que ça les aidera à tenir. Et la solidarité, ça nous parle!
Après pas mal de discussions et des idées plus ou moins raisonnables (certaines pas raisonnables du tout) pour peser dans la mobilisation de la Syrie et de la France à ramener notre amie au plus vite, deux d’entre-nous créent, le soir même, une page Facebook nommée «Edith, reviens». Ceux qui n’utilisaient pas les réseaux sociaux s’y mettent à la hâte, aidés par leurs entourages et bien persuadés que c’est l’une des nouvelles clés des mobilisations.
Et nous changeons tous la photo de notre “profil Facebook” par une photo d’Edith ou par une photo d’Edith et William.
C’est sur cette page Facebook que nous déposerons, heure par heure, pendant 8 jours les infos que nous récoltons les uns et les autres. Car à partir de ce moment-là, nous passons nos jours et nos nuits à éplucher les dépêches, les articles, les reportages, les blogues, à l’affût du moindre indice concernant la situation à Homs. Le lien vers la page est relayé sur twitter, les abonnements arrivent: ceux qui connaissent Edith, ceux qui connaissent William, ceux qui ne les connaissent pas et qui se font du souci pour eux, les copains des copains… Chacun y met les infos qu’il glane, les liens vers des reportages, des petits mots pour Edith et William, des photos, des souvenirs communs. Nous nous relayons pour que la moindre info y soit transmise en temps réel, aussi pour vérifier qu’aucun message posté ne puisse mettre en danger ceux que nous voulons protéger. Il nous faut gérer les fausses informations, les annonces prématurées, les espoirs déçus à chaque démenti. Il nous faut gérer les pressions contradictoires qui s’exercent: les uns convaincus qu’il faut informer le plus possible, les autres pensant qu’il faut se contenter de messages de solidarité avec nos amis. Tous sont animés de la même volonté de les protéger, mais la meilleure façon d’y parvenir n’est pas la même pour tous. Nous doutons, nous ne sommes pas toujours d’accord, nous nous engueulons même parce que nous sommes tous rongés par l’inquiétude et la peur, nous nous voyons aussi beaucoup pour discuter, dans les lieux où Edith a ses habitudes. Parce que c’est là qu’on se tient chaud, on y est en famille. Pendant ces huit jours interminables, il y a aussi eu de l’humour, des rires pour avoir moins peur. Nous oscillons entre pleurs et rires, les pleurs plutôt quand nous sommes seuls, les rires plutôt quand nous sommes ensemble. Ce que nous faisons, qui occupe tout notre temps (nous n’avons pas beaucoup travaillé pendant tous ces jours!) nous semble souvent terriblement dérisoire devant l’énormité du danger. Nous sommes malheureux et notre malheur nous paraît indécent face à ce qu’Edith endure.
Jeudi 1er mars, pour la troisième fois, l’annonce du sauvetage d’Edith et William nous arrive, d’abord par le réseau social Twitter, puis par des dépêches. Cette fois nous ne validons la bonne nouvelle, qu’après la confirmation d’Edith elle-même. Et le soir, on fait la fête, toujours boulevard de Ménilmontant, bien sûr! Le Yakut coule à flots.
Vendredi 2 mars, Edith et William ont atterri à Paris, des dizaines de Syriens ont donné leur vie pour sauver nos amis, il y a 1 700 personnes abonnées à la page «Edith, reviens» sur Facebook.
Brigitte Wieser
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