Laurent Pinquier, le libraire et marchand de journaux du 61 rue de Ménilmontant, n’a pas ouvert lundi dernier 31 janvier. Et il n’ouvrira plus sa boutique: il s’est donné la mort durant le week-end. Il avait eu cinquante-et-un ans en novembre 2010. Je l’ai vu pour la dernière fois vendredi dernier, le 28, et quand j’y repense, me dis que je n’ai pas su le comprendre…
Originaire du Cantal, Laurent avait ouvert ce commerce voici une quinzaine d’années avec son beau-frère. Bien que n‘étant pas du tout du métier (il avait été chauffeur routier dans une précédente vie), il connaissait presque tous les titres de presse qu’il vendait, connaissait les difficultés de la presse, bref: il faisait son métier de marchand de journaux avec passion. Mais il n'était pas “kiosquier”, et réfutait ce terme, faisant par ailleurs papeterie et librairie. Sa vitrine parisienne et locale attirait toujours l'œil.
Sa passion, je ne la lui ai vraiment découverte que vers 2006, dix ans après l'avoir fréquenté occasionnellement. C'est à cette période qu'a fermé la Librairie Fargues, rue Sorbier, où j’avais mes habitudes. Robert Fargues, lui, venait des métiers de l’imprimerie… et subséquemment son œil sur les médias était différent. Les deux hommes se connaisaient un peu, et c'est par Robert que j'avais appris (en 2003 je crois) que Laurent avait perdu son père. Bien que n'étant pas un client régulier, j'étais allé lui présenter mes condoléances à sa réouverture, en bon voisinage, les échoppes comme la sienne se faisant rares…
Habitué à Robert au quotidien, je n’allais en effet chez Laurent qu’en dépannage, lorsque Robert prenait des vacances, ou lorsqu’il n’avait pas à me vendre le produit de papeterie que je cherchais.
Robert et Laurent avaient ceci en commun de vendre des livres, de la presse et de la papeterie. Même les deux points de vente du boulevard de Ménilmontant (dont le fabuleux Libre Ere, sur le trottoir du 11e) viennent de cesser la distribution de presse.
Croulant sous les charges et les soucis personnels, Robert Fargues mit, les larmes aux yeux, la clef sous la porte. Son échoppe est désormais un restaurant italien aux prix hors de propos dans le quartier.
Dès sa fermeture, je reportais l’ensemble de mes achats chez Laurent Pinquier. Certes, il était un peu plus loin, mais tout compte fait j’avais tant l’habitude de passer devant, entre la nouvelle adresse de ma coiffeuse et ma pharmacie, que je m’y retrouvais.
Laurent semblait plutôt content d’avoir un client comme moi. Oh, non, je ne suis pas un «gros» client: mes finances ne me le permettent pas. Mais je suis un client compulsif. Et à ce titre j’ai toujours préféré payer «mes consommations» à l’avance, en espèces ou en carte bleue. Une aubaine pour un commerçant dont la marge bénéficiaire est si faible et les charges -élevées- sont régulières ! Ainsi, de temps en temps, je lui laissais trente euros, qu’il reportait sur son cahier-clients, et d’où il débitait mes achats. Certaines semaines, je ne dépensais que 1,40€ (juste un hebdo télé, étant abonné au Canard enchaîné), d’autres semaines quinze à vingt euros.
En décembre 2010, je n’ai carrément rien dépensé, et pour cause: la grève de la distribution (photo prise dans son magasin) a duré jusqu’au 23 décembre au soir. Trois semaines. Trois longues semaines durant lesquelles —comme la plupart des marchands de journaux et kiosquiers— il n’était pas livré, mais devait payer ses charges. Le soir, dans son échoppe, les discussions allaient bon train. Lui se plaignait, à juste titre. Certains clients, venus de l’autre bout de Paris (de retour du travail), lui disaient avoir vu tel ou tel titre dans le métro, donc dans les boutiques Relay, dont l’actionnaire principal est l’actionnaire majoritaire du distributeur de presse sur Paris et la petite couronne. De quoi être en colère!
Le 24 décembre, voulant m’offrir un petit cadeau de Noël original, pas trop cher et solidaire, je décidai de m’acheter des journaux… dont j’avais été frustré durant trois semaines. Chez Laurent, le rideau était baissé. J’appris par la suite qu’il était parti en Normandie chez sa compagne passer Noël. Son dernier Noël.
A son retour, je lui parlai de l’augmentation du prix du Monde (photo de son magasin). Dire qu’il était “un peu” en colère relèverait de l’euphémisme. A chaque grève du quotidien du soir, il râlait contre les imprimeurs, qu’il considérait comme des «privilégiés», et du coup m’expliquait par A+B qu’ils coulaient leur outil de travail.
Laurent avait beau n’être pas originaire de la presse, de l’imprimerie ou de l’édition, il connaissait le papier. Mieux: il l’aimait. Du reste, il n’avait même pas de connexion Internet et souvent des clients l’informaient de telle ou telle chose que les fournisseurs de presse ne lui avaient pas (ou pas encore) dite.
Il bichonnait ses clients. Je me souviens des revues de presse qu’il préparait pour une voisine, militante acharnée du Réseau éducation sans frontières (RESF) qui le matin n’avait «plus qu’à» passer les yeux fermés chez lui prendre sa sélection avant de regagner à pieds son bureau dans la rue Oberkampf toute proche.
Jeudi, sur le rideau baissé du 61 rue de Ménilmontant, outre les bouquets de fleurs laissés par des clients et par des commerçants voisins, des petits mots d’enfants pleuraient son départ. Parmi les fleurs, on pouvait aussi voir un bouquet du seul commerce du genre aux alentours: celui de la rue des Maronites, célèbre pour ses ramettes de papier A4 encore moins chères qu'au Darty du boulevard de Ménilmontant.
Lundi 31 janvier, dans l’après-midi, j’ai remarqué que le rideau était baissé. Je ne me suis pas particulièrement inquiété, bien qu’il soit déjà environ 17 heures (c’était après avoir fait cette photo à 16h44). Sur le trottoir d’en face, en revanche, au bistro tenu par Iddir, on s’inquiétait : le livreur du Monde avait déposé les journaux et Laurent n’était toujours pas venu les chercher. Iddir, pourtant, avait dit au livreur que Laurent n’avait pas ouvert le matin, que ce n’était pas normal, etc… Puis Iddir a prévenu un serrurier, qui n’a rien voulu (rien pu légalement) faire sans la présence au moins des pompiers. A la boutique, rien d’autre qu’un mot d’adieu, dont Antoine, le neveu de Laurent, m’a dit hier soir qu’il n’était pas très détaillé. Puis le domicile de Laurent, aux Envierges. Rien non plus.
Ce n’est que mardi que le corps de Laurent a été retrouvé dans la cave de son domicile du 20e arrondissement.
Samedi, en fermant son magasin, Laurent est allé comme souvent au Bar de l’Avenir, sur le trottoir d’en face. Il en est parti vers 21h30, explique Iddir. Il disait qu'il voulait ensuite aller au cinéma (au Gambetta, avenue Belgrand) le soir même et y retourner le dimanche.
Le dimanche, seul jour habituel de fermeture, Laurent avait pour habitude d’aller au même endroit —à deux pas de son domicile— acheter deux journaux. Cette semaine, il ne l’a pas fait.
Les obsèques de Laurent Pinquier auront lieu le mercredi 9 février à 10 heures au crématorium du Père-Lachaise. Rendez-vous est donné à partir de 9h30 à la chapelle du crématorium. Des affichettes devraient être apposée en ce sens sur divers commerces, notamment aux bars La Pétanque (rue Etienne-Dolet) et de L’Avenir (rue de Ménilmontant).
A sa compagne Annie, à son neveu Antoine, mes plus sincères condoléances. Laurent nous manquera, nous manque déjà.
Fabien Abitbol
En complément: Obsèques de Laurent mercredi
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