Sans sortir de son devoir de réserve, Jean-Louis Debré célèbre de façon malicieuse et intéressante le cinquantenaire de la Ve République
« En se promenant dans notre histoire on retrouve la trace de personnalités aujourd'hui oubliées. Et pourtant elles ont contribué à façonner l'âme de notre pays.
Hommes et femmes de conviction, divers dans leurs engagements politiques, ils étaient tous animés d'une foi en la République. Ils apparaissent comme les promoteurs de la liberté, les artisans de la fraternité par la recherche de l'égalité. Ils avaient tous conscience qu'il n'y avait d'avenir pour notre République que dans le mouvement et l'audace. »
Jean-Louis Debré
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A sa façon, Jean-Louis Debré (qui est désormais président du Conseil constitutionnel), célèbre le cinquantenaire de la Constitution de la Ve République, dont son père (en médaillon) est à l'origine. Et salue le travail législatif, après avoir été le président de l'une des deux Assemblées. Un ouvrage de plus de 300 pages, qui sort pendant le débat sur la réforme des institutions, et un mois avant la réunion du Congrès de Versailles, prévu le 7 juillet.
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Issu d’une grande famille bavaroise, magistrat puis député de l'Eure de 1986 à 2007, ministre de l'Intérieur et adjoint au maire de Paris pendant l’affaire de l’église de Saint-Bernard, président de l'Assemblée nationale, l’auteur de la citation ci-dessus et d'un minutieux ouvrage fort instructif (décrit ci-dessous) est, depuis le 5 mars 2007, président du Conseil constitutionnel. Il est aussi l'auteur de romans policiers. Son dernier ouvrage, Quand les brochets font courir les carpes, a été publié chez Fayard en janvier dernier.
Dans cet opus de trois cent pages, il a cherché non pas à regarder la politique « par le petit bout de la lorgnette », mais au contraire à retrouver et comprendre le travail de certains parlementaires méconnus ou oubliés, qui ont fait avancer des choses. A l'occasion du cinquantenaire de la Ve République (3 juin 1958), et en plein débat sur la réforme des institutions - sur lequel le devoir de réserve d'un membre du Conseil constitutionnel s'applique - Jean-Louis Debré, fils de son père, a pris le temps de fouiner dans les poussiéreux cartons des couloirs du Palais Bourbon, traquant des députés méconnus, mais ayant laissé une trace dans l'histoire parlementaire de la République, afin de montrer, non sans malice, que le travail, même s'il est parfois laborieux, peut venir de la base, et non du gouvernement !
Un travail de fourmi qui laisse pantois (ou moqueurs, c’est selon) certains détracteurs de l’un des derniers gaullistes chiraquiens, qui se demandent perfidement quand Jean-Louis Debré trouve le temps de travailler. Il ne s’agit que de son sixième ouvrage… depuis 1974 (sa thèse de Droit public) ! « La Justice au xxe siècle. Les magistrats » (Perrin) date de 1981.
Trois romans policiers plus ou moins inspirés de la réalité ont été rédigés en vint ans de députation et de vie ministérielle (ainsi qu'un ouvrage pédagogique passé sous silence), et là, le président du Conseil constitutionnel nous livre un intéressant ouvrage historique qui intéressera tout quidam, et peut-être les femmes d’abord.
Les droit des femmes… entre autres !
Jean-Louis Debré s’est ainsi penché sur le cas de Jeanne Chauvin (1862-1926), qui devint la première femme avocate en France grâce à la loi du 1er décembre 1900, votée suite au travail du député de la Seine René Viviani, futur ministre du Travail, alors que, depuis trois ans, elle frappait à la porte du Barreau, bardée de diplômes qu’elle était.
Il a aussi examiné le travail de Léopold Goirand (1845-1926), député de Melle, dans les Deux-Sèvres (comme l’a été Ségolène Royal à partir de 1988 pour près de vingt ans, sauf lorsqu’elle était ministre). Ce dernier a déposé, le 9 juillet 1894, une proposition de loi « ayant pour objet d’assurer à la femme mariée la libre disposition des fruits de son travail ». Et il faudra attendre le 13 juillet 1907 pour que la femme mariée puisse jouir de son salaire. Treize années de travail parlementaire pour arriver à ce qui nous semble de nos jours élémentaire…
Le président du Conseil constitutionnel s’est aussi penché sur le cas de Blaise Diagne (1872-1934), à la fois maire de Dakar et député (premier Africain noir élu au Palais Bourbon). Blaise Diagne - issu des colonies françaises - est devenu par la suite ministre. Plus près de nous, sous François Mitterrand, Kofi Yamgnane, naturalisé Français en 1975, puis maire de la commune bretonne de Saint-Koulitz (moins de 400 habitants), a été par deux fois membre du gouvernement… avant d'entrer à la Chambre des Députés, suite à la dissolution du 21 avril 1997. Binational, ce « Breton d'après la marée noire », comme il s'était une fois qualifié, n'était pas le premier maire noir (un précédent avait eu lieu dans l'entre-deux guerres).
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Gerty Archimède n'a pas été la première femme à être avocate, puisqu'elle a prêté serment en 1939, mais elle a fait partie, comme députée de la Guadeloupe, des 33 premières femmes à entrer au Palais Bourbon en 1945. Depuis le 22 mai 2007, une rue à son nom a été inaugurée, dans le 12e arrondissement.
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Quant au droit de vote des femmes, revendiqué depuis 1791 par Olympe de Gouges, il ne fut accordé que le 21 avril 1944 par une ordonnance du gouvernement provisoire, signée à Alger par le général de Gaulle. Presque un siècle après le suffrage « universel » (réservé aux hommes), les Françaises devenaient des citoyennes à part entière : elles pouvaient voter et être élues. On le doit en grande partie à Fernand Gautet (1862-1912), le premier député à déposer une proposition de loi en ce sens… Dès 1945, il y eut 33 femmes élues, dont 17 communistes, parmi lesquelles cette avocate. En 45 ans, Gerty Archimède avait ainsi suivi deux des « exemples » du livre de Jean-Louis Debré : épouser une profession réservée aux hommes jusqu’en 1900 et se faire élire députée de la Constituante un an après avoir eu le droit de vote.
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Député du Nord, l'abbé Jules Lemire n'a pas été oublié. Le « curé rouge » est entre autres à l'origine des jardins ouvriers.
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On y trouve aussi l'abbé Julien Lemire, député du Nord, maire d'Hazebrouck (élu en 1893), surnommé « le curé rouge », qui s’est impliqué dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, et qui inventa par ailleurs dans le Valenciennois le concept des jardins ouvriers après avoir fondé en 1896 la « ligue du coin de terre et du foyer ». Ces jardins fleurissent à Paris sous le nom de « jardins partagés » (liste ici). Ce qui autrefois permettait de manger à moindre coût permet aujourd'hui à certains une réinsertion, à d'autres une socialisation plus facile, et aux plus débrouillards de aire quelques économies.
Et, beaucoup plus anecdotique, on y trouvera le sénateur (et par deux fois ministre) Léon Mougeot (1857-1928), auteur d’une loi imposant des boîtes à lettres (les « mougeottes ») et attribuant aux facteurs une bicyclette. Voilà qui pourrait plaire au facteur de Neuilly…
L'ouvrage paraît peut-être quelque peu dispendieux, mais il vaut le coup (détour) et le coût (prix).
Fabien Abitbol
⇒ Un entretien avec Jean-Louis Debré, sur le blogue Défense de la Ve République (Source : Nouvel observateur du 5 juin)
Les oubliés de la République
Jean-Louis Debré, Fayard
318 pages, prix TTC France : 20 €
ISBN : 978-2-213-63709-9
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