Dans le cadre de l’enquête sur la disparition de notre voisin le journaliste Guy-André Kieffer, un détenu de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) s’est évadé mercredi, indique le quotidien ivoirien Le Nouveau réveil dans son édition du 17 juillet. Les deux gardiens chargés de le surveiller ont été placés en garde à vue, précise en Une le journal proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Notre Voie donne une autre version fort différente de la même évasion d’une prison d’où, en théorie, on ne s’échappe pas.
Ce sujet a été publié dans la rubrique politique du 17. Arrêté fin 2007 et détenu à la Maca depuis le 12
décembre 2007, Lago Charles (Rosaire de son prénom) est poursuivi pour faux témoignage dans le
cadre de l'affaire Kieffer. Considéré par Le Nouveau réveil comme un proche de
Tony Oulaï, il s'est évadé mercredi 15 juillet 2009, dans des conditions
particulièrement rocambolesques expliquées dans le journal. Il avait obtenu une
consultation médicale à l’hôpital militaire d’Abidjan (HMA) pour 10h, et a
quitté l’établissement avec ses deux gardiens à 13h35. Les deux gardiens, qui
sont rentrés à la prison sans le détenu à 21h05 ont déclaré l’avoir perdu à
14h00 et être allés entre temps déclarer sa disparition au commissariat de
police. Dans ce récit, le régisseur de la Maca explique pourquoi la consultation
médicale avait lieu à l’extérieur, à quel endroit le détenu a faussé compagnie
à ses deux gardiens, et indique que ces derniers sont entendus par la police.
« … cela fait plusieurs semaines qu'il attire l'attention des gardes
pénitentiaires sur la nécessité de demeurer honnêtes et de faire leur travail
avec responsabilité en évitant les compromissions », explique Le Nouveau
réveil.
Deux versions, une diversion ?
Le quotidien Notre voie, qui a tendance à rouler pour le Front populaire ivoirien (FPI) du président Gbagbo relate l’évasion ici. Plus brièvement. Pour Notre voie, Lago Charles Rosaire « avait prétendu être un des témoins oculaires de l’enlèvement de Guy-André Kieffer » et « a simulé un besoin de soins médicaux ». Plus de dix-huit mois de détention provisoire pour avoir prétendu être témoin et être poursuivi pour faux témoignage… ? Puis le rédacteur de Notre voie indique que le taxi qui devait emmener le détenu à l’hôpital militaire ne s’y est pas rendu, mais est allé au domicile du détenu… alors que Le Nouveau réveil (plus prolixe) donnait les horaires d’entrée et de sortie de l’HMA… Et précise que les gardes pénitentiaires sont en garde à vue.
Joint par téléphone pour le blogue, Bernard Kieffer, l’un des frères de notre voisin Guy-André Kieffer (et partie civile), a déclaré samedi soir ne pas être informé de cette évasion. Il a précisé que le nom de Lago Charles Rosaire « n’apparaît pas dans le dossier » qui, en France, est instruit par le juge Patrick Ramaël.
Vu comme ça, l’évasion de Lago Charles Rosaire peut
sembler être une vaste pantalonnade. Mais la Une du Nouveau réveil de vendredi
précise que c’est un ami de Jean-Tony Oulaï et indique qu’il « était le
témoin que craignait Mme Simone Gbagbo ». Jean-Tony Oulaï, lui, figure
bien dans le volet français du dossier, et a de nouveau été emprisonné en octobre 2007, après avoir failli à son contrôle
judiciaire.
On se souvient que, toujours dans le volet français de l’affaire, les juges Ramaël et Bot sont allés fin avril en Côte d’Ivoire, où ils ont passé une semaine à auditionner de nombreux témoins, dont l'épouse du président Gbagbo. Cinq ans après la disparition de GAK, le 16 avril 2004, en plein jour, aux abords d’un supermarché d’Abidjan, il semble qu’ils ne sont pas revenus les mains vides. Pour Patrick Ramaël, il s’agissait du dixième voyage en Côte d’Ivoire sur ce dossier, lui qui a déjà, entre autres, traité de l’assassinat de Jean Hélène, journaliste à RFI, par un policier ivoirien, en 2003.
Cette évasion intervient un an presque jour pour jour après la demande de mise en examen de quatre ressortissants français par la justice ivoirienne. De source proche du dossier, cette piste devait connaître cet été un nouveau rebondissement. Reste à savoir si la disparition dans la nature d’un homme emprisonné depuis plus de dix-huit mois pour faux témoignages, et qui « avait prétendu être un des témoins oculaires de l’enlèvement de Guy-André Kieffer » n’est que provisoire ou si le titre du Nouveau réveil (voir vignette de Une de vendredi), qui indique qu’il « était le témoin que craignait Mme Simone Gbagbo » emploie le passé à bon escient.
Dans ce cas, l’évasion d’un détenu méconnu de la France mais considéré comme gênant pour le pouvoir ivoirien pourrait faire diversion, et expliquer les deux versions : celle du pouvoir et celle proche du principal parti d’opposition. Cette évasion est d’autant plus surprenante que, malgré des conditions de détention indignes, il n’y avait jusqu'à présent eu officiellement que deux évasions (*) depuis la construction de la Maca voici plus de trente ans.
La deuxième était en mars 2005, une vingtaine de personnes avaient pris la fuite d’un coup. La presse ivoirienne avait alors rebaptisé la Maca « Métro Abidjan Cadeau ». Car, en novembre 2004, plusieurs centaines de personnes (ce sujet du Nouvelobs en ligne parle de 3600, la Maca étant construite pour 1500 détenus et en accueillant généralement environ 5000) avaient pris la poudre d'escampette. Et là, les personnes détenues dans le cadre du volet ivoirien de l'affaire Kieffer ne s'étaient pas évadées. Parmi elles, un beau-frère du couple présidentiel (de Simone Gbagbo), inculpé entre autres d'assassinat en Côte d'Ivoire pour la disparition de GAK, et dont la justice française a demandé l'extradition, puis la “remise temporaire” — procédure permettant une audition sur le sol français — en vain.
Fabien Abitbol
(*) Il est possible, vraisemblable, que des évasions m'aient échappé, sans doute moins spectaculaires ou moins rocambolesques… Je ne parle là que de celles qui sortent des sentiers battus.
è Le site Vérité pour Guy-André Kieffer, pour des renseignements complémentaires et
le blogue de soutien, pour laisser un message
è Lors du point de presse du 24 avril dernier, le porte-parole du Quai d’Orsay faisait état du «décès» de GAK. Pour en savoir plus, cliquer ici, puis lire le point n°10.
è Cacao antistress (Alain Faujas, Le Monde, 28 décembre 2008)
è L’affaire Kieffer sur ce blogue
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