Le Di-Antalvic (ainsi que ses génériques) sera être retiré de
la vente dans l’ensemble de l’Union européenne. En France, cela se fera
définitivement d’ici un an environ. Cette décision de retrait d’un opiacé
antidouleur qui a largement fait ses preuves (il est disponible en France
depuis 1964) fait suite à une décision prise ce jeudi à Londres par l'Agence européenne des médicaments (EMEA). L’Agence française du médicament (Afssaps) a publié un communiqué ce jour. Il convient néanmoins de ne pas
stopper les traitements au long cours, et de voir avec le médecin traitant ou le
spécialiste –dans le délai maximum d’un an- quelle alternative adopter.
Sous surveillance médicale régulière depuis 1969, et
sous traitement permanent depuis cette date, j’ai «consommé» sans
aucun problème ce médicament pendant près de trois ans, au début des années
2000, car on avait estimé que j’en avais besoin. Puis, depuis novembre 2006,
mon médecin généraliste m’en prescrit de nouveau, et je prends quotidiennement l’un de ses
génériques que je trouve chez mon pharmacien habituel. Avec des effets
excellents. A plusieurs reprises, mon médecin m’a exprimé sa crainte de le voir
disparaître en France : il a été supprimé dans quelques pays de l’Union et
en Suisse, suite à des décès liés à des surdosages, dont la plupart étaient
volontaires. Lors de ma « visite de routine » de février au centre
antidouleurs où je suis suivi depuis plus de cinq ans, le spécialiste,
lui, osait penser que ce retrait n’interviendrait pas, ou pas de sitôt, et me disait que, dans
mon cas, le Di-Antalvic était le médicament le plus approprié. Sans conviction,
il m’en indiquait un autre, le Topalgic, qui revient plus de deux fois plus
cher, me précisant que, si j’étais amené à le prendre, je ne serais sans doute
pas satisfait.
Ce sujet pourra paraître pour certains dénué
d’objectivité, mais il revêt l’intérêt de parler (tant techniquement qu’en
pratique) d’un sujet bien connu. Je fais partie des 66 000 personnes en
moyenne traitées en permanence, puisque les ventes en France de la trentaine
de médicaments de type Di-Antalvic (ainsi dénommés par la suite par commodité)
ont atteint en 2008 soixante-dix millions de boîtes (1), soit 240 millions de
journées de traitement. Une personne sur mille seulement est concernée (en
moyenne), et tout le monde n’est pas traité «au long cours», comme
c’est mon cas depuis l’établissement d’un protocole de soins en juin 2007,
incluant ce médicament, entre mon médecin traitant et ma caisse primaire
d’assurance maladie. Et ce médicament, peu cher et ancien, n’est donc pas
(plus) rentable pour l’industrie pharmaceutique. La France, qui fait partie
des cinq pays qui s’étaient opposés au retrait, est le plus gros consommateur
européen de ce médicament : 95 % de la consommation européenne, dit-on à
l’Afssaps.
Peu de décès en France, des dosages différents
Mais en France, les centres antipoison, sur une enquête
menée de 1995 à 2003, n’ont dénombré en moyenne que sept décès par an. Beaucoup
moins que les trois-cents décès de l’Angleterre et du Pays de Galles (60
millions d’habitants, population numériquement comparable à la France), ou les
deux-cents de la Suède (9 millions d’habitants seulement). L'Afssaps a indiqué en 2005
que le dosage en paracétamol (l’un des deux composants du Di-Antalvic) se
limitait à 8 grammes maximum par boîte de 20 gélules, une limite inférieure à
celle retenue dans les pays concernés. Et les médecins (sérieux, j’entends,
soit la plupart… car les caisses de sécurité sociale veillent) refusent de
prescrire plus que six gélules par jour (2,4g de paracétamol et 180mg de
dextropropoxyphène). Or, c’est l’association des deux molécules, et en surdosage,
qui est en cause (lire ici, en bas de page, la mise à jour de mars 2005, du professeur
Montastruc, chef de service de pharmacologie clinique à Toulouse). Contacté par mes soins,
le service du professeur Montastruc m’a indiqué cet après-midi qu’aucune autre
publication «grand public» n’avait eu lieu depuis, mais que
d’autres sujets allant dans le même sens avaient été publiés dans des lettres
spécialisées.
« Les antidouleurs de type Di-Antalvic ne
présentent pas de risque en France », titrait Le Monde en juillet 2005, remettant ce sujet en
ligne ce soir. Et l’Afssaps rappelle que la dose quotidienne moyenne d'un
médicament associant le dextropropoxyphène (qui appartient à la famille des
opiacés) et le paracétamol est de «quatre gélules» et qu'elle
«ne doit jamais dépasser six gélules par jour» (lire les petits
calculs ci-dessous). Un intervalle d'au moins quatre heures entre deux prises
doit être respecté. «Il faut faire attention à ne pas mélanger les deux
produits», indique l'Afssaps, en parlant du paracétamol et du
detropropoxyphène, les deux principes actifs du Di-Antalvic. Le premier est
délivré désormais sans ordonnance, le Di-Antalvic est strictement encadré,
notamment lors de la première ordonnance, qui en principe ne peut excédere un
mois, sauf mention de renouvellement, de par le fait qu’il contient un opiacé…
Dans une mise à jour de son
site aujourd’hui, l’Afssaps a publié un communiqué de six pages (un résumé d’une
page, une annexe de médicaments, et quatre pages). On peut y lire :
« En France et dans des conditions normales d’utilisation, ce médicament
n’a fait l’objet d’aucun signal particulier de pharmacovigilance qui aurait
justifié la réévaluation de son rapport bénéfice/risque. Son profil de sécurité
d’emploi est bien connu et satisfaisant. En surdosage, lors d’intoxications
volontaires, le nombre de décès liés à ce médicament est estimé à 65 par an en
France ». Pour le lire dans son intégralité, cliquer ici.
Même si, d’une moyenne
annuelle de sept décès jusqu’en 2003 à 65 décès en 2008, le nombre de morts a
augmenté en France, comparé à celui des autres pays et -surtout- ramené à la
forte consommation française du Di-Antalvic, on peut penser que la position française n’était pas dénuée de
bon sens. Dans son numéro daté de juillet, la revue Prescrire regrette
qu'il ait fallu «plus de 500 jours pour la réévaluation de l'association
dextropropoxyphène+paracétamol alors que les risques mortels sont connus depuis
plusieurs années». Et va jusqu’à parler sur son site d’une absence d’intérêt thérapeutique par rapport au paracétamol seul. Au 1er avril 2007, Prescrire recommandait d’associer paracétamol et codéïne.
Lors des discussions
européennes, l’Afssaps a exposé des arguments en faveur du maintien des
médicament de type Di-Antalvic, a expliqué une responsable de la pharmacovigilance
de l’Agence, jointe ce soir par téléphone. Et cinq pays de « l’Europe du
médicament » (dont la France) se sont montrés contre le retrait de ce
médicament. Elle avait notamment argué sur le bénéfice/risque avantageux, à
condition, bien entendu, que ce médicament soit utilisé dans des conditions
normales. D’autant que, dans les autres pays, les conditions de délivrance et
les modes de conditionnement étaient différents de ceux de la France.
Un sevrage progressif
Néanmoins, les décisions
européennes étant ce qu’elles sont, une harmonisation est nécessaire. Et le
Di-Antalvic et ses génériques devront être retirés. Alors que le retrait d’un
médicament se pratique en temps normal dans le délai d’un mois, celui «de
l’ordre» d’une année a été négocié par les autorités françaises du
médicament «afin de préparer le passage aux alternatives
thérapeutiques». Ainsi, les médecins pourront trouver la solution la plus
daptée à chaque patient, au cas par cas.
Car, en tout état de cause, il
est trop dangereux de stopper un traitement au detropropoxyphène-paracétamol du
jour au lendemain. Il s’agit d’un médicament de Liste I (uniquement sur
ordonnance) et de «niveau 2» dans les classements de vigilance
applicables à la conduite de véhicules depuis le passage de Xavier Bertrand au
ministère de la Santé. A l’occasion d’une prochaine
visite chez le médecin pour un renouvellement, il conviendra d’en discuter, en
vue d’un sevrage progressif et que le médecin prescripteur cherche la solution
la plus adaptée au malade. «Dans la mesure où le retrait de ces
médicaments sera progressif, les patients sont invités à contacter leur
médecin, sans urgence», précise l’Afssaps. Ce pour les «cas
simples».
Pour les cas plus complexes (maladies intercurrentes ou interactions médicamenteuses avec d’autres
traitements au long cours), la consultation du spécialiste de l’autre
pathologie pour lequel le patient est soigné, ou du centre antidouleurs s’il y
est déjà suivi, s’avèrera utile (voire nécessaire) pour une meilleure
prescription.
Petits calculs…
On ne le répètera jamais assez : la santé n’a
pas de prix, mais elle a un coût. Et le Di-Antalvic, peu dispendieux, devra
être remplacé. Dans les cas les plus courants, la prescription médicale devrait
être orientée vers le Topalgic… qui coûte plus de deux fois plus cher !
Le Di-Antalvic (hors génériques) coûte 2,36€ les 20 gélules. La dose maximale pour un adulte est de neuf boîtes
par mois, soit 21,24€. La plupart des génériques coûtent moins de 2,10€ la boîte.
Le Propofan, du même type que le Di-Antalvic et qui
devra aussi faire l’objet d’un retrait (ce qui est peu signalé par les médias)
contient pratiquement le même dosage, la caféïne en plus, et coûte le même prix sensiblement.
Le Topalgic (hors génériques toujours), appelé à
substituer dans les cas les plus fréquents Di-Antalvic ou du Propofan, coûte 13,40€ les 30 gélules pour le plus faible dosage, et 22,29€ pour les
gélules doublement dosées. Ce médicament, à libération prolongée, ne doit pas
être administré à plus de 400 mg par jour chez un adulte. Ce qui fait, pour
trente jours, quatre boîtes à 13,40€ (53,60€) ou deux boîtes à 22,29€ (44,58€).
Et on osera reparler du « trou de la
sécu »…
Sauf à rester dans la même zone de prix et à prendre du paracétamol codéïné, qui possède
l’inconvénient d’être effervescent (finies, donc, les prises sans être chez soi
ou sans entrer dans un bar), et qui reviendra, dans son dosage maximum
classique pour adulte (sans insuffisance rénale), à raison de six par jour et
16 par boîte, à 12 boîtes boîtes à 2,30€, soit 27,60€ par mois. Une
augmentation de «seulement» 30 % par mois pour les patients à
qui ce médicament sera prescrit, et de trois vignettes à 50 centimes… C'est déjà ça. Ce qui va dans le sens de ce que préconisait en 2007 la revue Prescrire et de ce que m'indiquait cet après-midi le service du professeur Montastruc, à Toulouse, car je ne voulais par principe pas demander aux médecins habitués à s'occuper de moi. Pas pour rédiger ce sujet généraliste…
Dans les cas les plus complexes de traitements associés,
la substitution d’un médicament par un autre risque de ne pas suffire. Le coût,
pour la collectivité comme pour le malade (qui doit supporter la charge de la
vignette) n’en sera que plus élevé. Et les malades chroniques, comme souvent,
mis à l’index.
Fabien Abitbol
(1) Créé il y a environ 45 ans, le Di-Antalvic
commercialisé par Sanofi-Aventis, était en 2007, selon l'Assurance maladie, le
28e médicament le plus remboursé avec 7,4 millions de boîtes prescrites, sur les
70 millions de boîtes en comptant les génériques. En gros, donc, une boîte sur neuf ou dix vendue en France, seulement. L’action de la société Sanofi-Aventis a chuté, jeudi, de 4,57%, passant à 44,45€. Pour suivre le cours
de l’action, cliquer ici.
Les commentaires récents