Nous, présidents de conseils généraux, défendons dans nos missions quotidiennes la dignité des personnes de la naissance à la fin de vie. Nous luttons contre le déterminisme social pour donner toutes leurs chances à celles et ceux qui en ont besoin. Tel est le sens des lois de décentralisation et des charges que l’Etat nous a confiées.
Dans cette logique, il m’a paru nécessaire et urgent d’alerter mes collègues sur les méthodes inhumaines et dégradantes qui accompagnent souvent la mise en œuvre de la politique d’immigration du gouvernement français. Sans juger de sa pertinence, nous sommes pourtant tout à fait légitimes sur ce terrain puisque nous avons la responsabilité légale des mineurs privés, temporairement ou définitivement, de la protection de leur famille (1). Cela signifie que les présidents de conseils généraux sont détenteurs de la tutelle et de l’autorité parentale des jeunes sans-papiers : les mineurs isolés. Aussi, comment ne pas réprouver les méthodes utilisées à l’égard des enfants placés sous notre protection et des personnes qui les soutiennent ?
Parce que l’on a vu des mineurs arrêtés devant leurs camarades de classe, à proximité des établissements scolaires ou à la sortie des transports collectifs, nous devons rejeter cette forme de « chasse à l’enfant » (relisons le poème de Jacques Prévert).
Parce que l’on ne peut pas fonder sur des examens médicaux avilissants, contestés par la communauté scientifique, la détermination de l’âge précis d’un individu, nous devons refuser de voir pratiquer des tests osseux et génitaux (examen pileux) sur ces jeunes.
Parce qu’il s’agit de précariser des hommes, des femmes et des enfants en les mettant à la rue, j’appelle mes collègues à dénoncer la réduction drastique, par l’Etat, des crédits alloués pour l’hébergement des sans-papiers. Ceci constitue, par ailleurs, un transfert déguisé de charges sociales vers les conseils généraux, qui n’abandonneront pas ces personnes.
Parce que les citoyens français qui soutiennent les sans-papiers se consacrent essentiellement à un soutien moral, médiatique et humanitaire, il convient de condamner fermement les poursuites engagées à l’encontre des associations, visant à les contraindre à la délation ou à réduire au silence leur combat par une interprétation restrictive de la liberté d’expression.
A tout cela nous avons été confrontés en Bretagne. Contre tout cela, nous nous sommes élevés : en soutenant Julio, un lycéen arraché à ses cours, placé en rétention et contraint de subir un test osseux censé déterminer son âge réel ; en rencontrant des sans-papiers désemparés face à la réduction des capacités d’hébergement qui les jette à la rue ; en protestant contre la convocation à la police judiciaire de la responsable de la Maison internationale de Rennes, sommée de donner le nom des membres d’un collectif de soutien aux sans-papiers, au simple motif qu’il se réunit dans ses murs. Collectif, lui-même, convoqué devant la justice par le ministère de l’Intérieur pour « injures à corps constitué de l’Etat » à travers un tract, dont on n’est obligé de partager ni la forme ni le fond, mais qui relève plus de l’humour potache que d’une explication circonstanciée à la barre des tribunaux !
Ce que j’ai pointé, avant ces quelques illustrations en Ille-et-Vilaine, forme l’armature d’un appel au président de la République. J’ai invité mes collègues présidents de conseils généraux à le signer.
Il ne s’agit pas d’une pétition de principe car je sais que nous pouvons être entendus. Dominique Versini, la défenseure des enfants - que j’avais rencontrée et interpellée sur ces questions - recommande (2) désormais au Premier ministre de prohiber les tests osseux et leurs corollaires. Leur marge d’erreur reconnue est de dix-huit mois, ce qui les rend aléatoires et vains pour déterminer la majorité d’un adolescent. Est-ce admissible de traiter ces jeunes, déjà psychiquement fragilisés par une vie tourmentée, comme des fossiles soumis à examen de datation ? Et justifier, ensuite, une expulsion si le verdict, à partir d’une simple radiographie osseuse, prédit qu’ils ont dépassé les 18 ans ?
Engagés dans la construction d’une société plus harmonieuse, plus solidaire et, en un mot, plus fraternelle, les présidents de conseils généraux sont fondés à agir. Ils ne sauraient cautionner une politique déshumanisante, ne serait-ce que par leur silence. « L’humanité n’est pas un état à subir, c’est une dignité à conquérir », écrivait Vercors. Dans cet esprit de résistance, nous demandons que les personnes, notamment mineures, qui n’ont d’autre tort que de vouloir s’établir sur notre territoire, soient traitées avec respect, dignité et humanité.
Jean-Louis Tourenne, président du conseil général d’Ille-et-Vilaine, dans Libération du mardi 15 juillet
(1) Aux termes de l’article L112-3 du Code de l’Action sociale et des familles.
(2) Dans « Vingt-cinq recommandations pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale de prise en charge des mineurs étrangers isolés ».
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⇒ Pour la campagne d’été d’envoi de cartes postales du Réseau éducations sans frontières (RESF), cliquer ici. L’envoi d’une carte ou d’une lettre au président de la République est dispensé d’affranchissement, comme rappelé sur le site de l’Elysée.
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