Sauf à vivre reclus ou sur une autre planète, il est impossible d’ignorer que, la semaine passée, une adolescente est morte dans des circonstances atroces, tuée par un camarade de son propre établissement scolaire. Croyant calmer l’opinion, et alors que la famille endeuillée appelle à la raison, le ministre de l’Intérieur a annoncé ce lundi 21 novembre une n-ième loi sécuritaire pour… après la présidentielle et les législatives, donc en discussion après les vacances parlementaires de l’été 2012.
La délinquance des mineurs, un sujet maintes fois relancé par le président Sarkozy, voulant réformer l’Ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. «Il faut réformer de toute urgence l’ordonnance de 1945 pour que les peines soient adaptées pour ce type de comportement», disait en avril 2006 l’encore ministre de l’Intérieur sur Europe1 à l’occasion des manifestations contre le CPE, estimant «pas assez sévères» les peines prononcées contre les auteurs de violences. Dans le discours de Nicolas Sarkozy, “réformer” un acquis, c’est généralement le restreindre, sinon le supprimer.
En avril 2008, élu depuis moins d’un an, il fit travailler sur le sujet un groupe d’experts (lire ici). Après diverses annonces, émanant notamment de la Garde des Sceaux Rachida Dati, un colloque allait se tenir sous l’égide de l’Unicef, dont les principales interventions sont regroupées ici.
En décembre 2008 arriva le rapport Varinard sur la justice des mineurs, à retrouver par là. C'était supposé être la grande étape du quinquennat Sarkozy dans ce domaine.
Et aujourd’hui, du fait de la mort de la petite Agnès, le gouvernement annonce des mesures pour après les prochaines échéances, dans le cas bien entendu, où il serait reconduit.
C’est (peut-être) prendre le citoyen-électeur pour un oublieux, voire un imbécile. Un dossier législatif se trouvait cet été en lecture aux Chambres (à consulter ici) et la Loi du 10 août 2011 «sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs» a été publiée le 11 août dernier. Il y a trois mois. Sommes-nous si anesthésiés, à moins de six mois de la prochaine échéance présidentielle, pour l’avoir déjà oublié?
Tout mineur auteur «d'un crime sexuel particulièrement grave» sera désormais «placé en centre éducatif fermé» jusqu'à son jugement, a déclaré ce lundi le ministre de la justice Michel Mercier, s’attirant à juste titre les foudres d’un syndicat de magistrats. Depuis quand et de quel “droit” le pouvoir politique déciderait-il à la place du juge? L'adolescent qui a avoué le viol puis le meurtre de Agnès est suspecté de faits commis en… août 2010: est-ce pour autant qu'il aurait dû rester enfermé dans l'attente de son jugement, dont on ne sait toujours pas la date? S'il a été remis en liberté au bout de quatre mois, c'est vraisemblablement parce que le magistrat n'a pas jugé utile son maintien en détention, tant pour l'instruction du dossier que par rapport à sa dangerosité supposée.
La France, il est vrai, ne consacre que 0,19% de son PIB à la justice, ce qui la place au 37e rang européen en la matière. Ses voisins investissent peu ou prou le double: 0,38% pour l'Allemagne, 0,36% pour l'Espagne, 0,43% pour le Royaume-Uni et 0,52% en la Pologne (lire L'Expansion du 7 février 2011). Mais la restriction budgétaire est à l'ordre du jour dans la fonction publique…
Et qu'est-ce qu'un «crime sexuel particulièrement grave»?… comme s’il existait des crimes bénins. Juridiquement, cela s’appellerait —selon toute vraisemblance— des délits. Sauf à ce que le gouvernement veuille enfoncer le clou et surfer sur la vague d’un crime qui, si atroce soit-il, n’est pas si fréquent.
La presse parle fréquemment, dans le cas de l’adolescent qui a avoué le viol et le meurtre de la petite Agnès, de récidive. L’individu, rappelons-le, n’a pas été jugé, même s'il a passé quatre mois en prison au début de l’instruction d’une autre affaire de viol. La présomption d’innocence s’applique donc à son endroit, et il n’y a juridiquement pas de récidive, comme l’explique @ZeFML dans Un fait divers, une loi. On y comprendra aussi en quoi ce que veut le gouvernement est liberticide, une fois de plus.
Car, dans le cas d’espèce (un mineur suspecté d’avoir violé une mineure, et qui avoue avoir violé et tué une deuxième mineure), il s’agit d’un simple fait divers. Lamentable, dramatique, mais isolé, ainsi que le démontre le sociologue Laurent Mucchielli. Ce dernier analyse les statistiques de trois départements (Paris, les Yvelines et le Gard) sur la dernière décennie pour constater que sur 425 dossiers de viols, impliquant 488 auteurs et 566 victimes, deux seulement avaient été suivis de meurtre, dont un concernait un mineur. C’est certainement un de trop, pour les familles, pour l’entourage, mais pas assez pour gesticuler dans les médias et annoncer que, une fois les élections passées, puis les vacances parlementaires des tout nouveaux députés élus, l’urgence absolue sera de réfléchir à une loi.
«De fait, dans toute cette affaire, n'est-ce pas avant tout de communication politique qu’il s’agit? En relisant quelques pages de Machiavel, on imaginerait volontiers que le but est de maintenir en permanence les électeurs dans la peur de la délinquance juvénile, pour mieux les inciter à voter pour ceux qui se posent en gardiens de l’ordre. Une stratégie vieille comme la politique…», ont écrit Christophe Daadouch & Laurent Mucchielli pour critiquer les prises de position de Claude Guéant sur la justice des mineurs. Mais c’était le 4 novembre, et Alice Marin était bel et bien vivante.
Fabien Abitbol, ill.: le budget consacré à la justice par habitant dans seize pays, selon les données de 2008, analysé en 2010, à télécharger ci-contre Téléchargement Justice-CEPEJ-112010
Les commentaires récents