Dans cet arrêt de chambre rendu jeudi 19 janvier dans l'affaire Popov contre France, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a estimé que la rétention de jeunes migrants accompagnés de leurs parents dans «un centre inadapté aux enfants» était «irrégulière et contraire au respect de la vie familiale». L’affaire concerne la rétention administrative d’une famille pendant quinze jours, à l’été 2007, au centre de Rouen-Oissel dans l’attente de leur expulsion vers le Kazakhstan. La France devra verser 10000€ de dommage moral à la famille Popov, et 3000€ pour couvrir ses frais de justice une fois l'arrêt devenu définitif.
Me Denis Seguin, avocat de la famille Popov, commente l'arrêt de la Cour de Strasbourg (durée: 2 min.)
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Fuyant des persécutions dues à leur origine russe et à leur religion orthodoxe, Mme Popov quitta le Kazakhstan pour la France en décembre 2002 avec un visa de quinze jours, et son époux la rejoignit en juin 2003. Ils déposèrent une demande d’asile qui fut tout aussi rejetée que leurs demandes de titres de séjour.
Les époux Popov ont eu deux enfants, tous deux nés en France, en 2004 et 2007.
Le 27 août 2007, M. et Mme Popov et leurs enfants —alors âgés de cinq mois pour le bébé et de trois ans pour l’aîné— étaient interpellés à leur domicile et placés en garde vue. Le même jour était ordonné leur placement en rétention administrative dans un hôtel d’Angers (Maine-et-Loire).
Le lendemain, ils allaient être transférés vers l’aéroport Charles-de-Gaulle, en vue de leur éloignement vers le Kazakhstan. «Toutefois, le vol fut annulé et l’embarquement n’eut pas lieu. Les requérants et leurs enfants furent alors transférés vers le centre de rétention administrative (CRA) de Rouen-Oissel, habilité à recevoir des familles», rappelle la CEDH.
Par une décision du 29 août 2007, le juge des libertés et de la détention (JLD) ordonna la prolongation de la rétention pour une durée de quinze jours, et les époux Popov furent de nouveau conduits avec leurs enfants à l’aéroport Charles-de-Gaulle pour une seconde tentative d’expulsion le 11 septembre 2007. Expulsion là encore avortée.
Le JLD, constatant que l’échec de l’embarquement n’était pas du fait des requérants, ordonna leur remise en liberté.
Le 16 juillet 2009, M. et Mme Popov obtenaient le statut de refugié, qu’ils avaient demandé avant leur arrestation.
Violation de l’article 3
Concernant le séjour à Rouen-Oissel de la famille Popov, les juges de la CEDH ont estimé qu’«une période de quinze jours de rétention, sans être excessive en soi, peut paraître infiniment longue à des enfants vivant dans un environnement inadapté à leur âge.» En effet, la Cour a constaté que l’aménagement des CRA en France «dépend de la volonté de chaque chef d’établissement». A Rouen-Oissel, en l’occurrence, si les familles sont séparées des autres détenus, «seuls des lits d’adultes en fer sont disponibles, dangereux pour les enfants, qui ne bénéficient par ailleurs d’aucune activité ou espace de jeux et sont exposés à la dangerosité de la fermeture automatique des portes de chambre».
Selon la CEDH, les autorités françaises «n’ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants d’un enfermement en centre de rétention, dont les conditions ont dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 [sur les traitements inhumains et dégradants, NDLR]. Il y a donc eu violation de cette disposition.»
Violation de l’article 5
La Cour considère par ailleurs que, «bien que les enfants aient été placés dans une aile destinée aux familles avec leurs parents, leur situation particulière n’a pas été prise en compte par les autorités qui n’ont pas non plus recherché si une solution alternative à la rétention administrative était envisageable». Elle conclut donc à la violation de l’article5 §1f sur le droit à la liberté et à la sûreté, concernant les enfants.
Par ailleurs, tout en notant que les parents ont eu la possibilité de faire examiner la légalité de leur détention devant les juridictions françaises, la CEDH relève que «les enfants accompagnants tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer un tel recours». Ils n’ont fait l’objet ni d’un arrêté d’expulsion (il ne sont pas expulsables, précise ici et là le droit français) ni d’un arrêté de placement en rétention administrative qu’ils auraient pu contester. La Cour conclut donc à la violation de l’article 5 §4 sur le droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention…
Violation de l’article 8
Rappelant le large consensus selon lequel l’intérêt des enfants doit primer, la CEDH relève que la France «compte parmi les trois seuls pays européens qui recourent systématiquement à la rétention de mineurs accompagnés» et note que le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la défenseuse des enfants en son temps se sont prononcés en faveur de mesures alternatives à la détention.
Les Popov ne présentant pas de risque de fuite particulier, leur détention n’était pas justifiée par un besoin social impérieux, et leur assignation dans un hôtel le 27 août 2007 n’avait «pas posé de problème». Or, relève la Cour, «il n’apparaît pas que les autorités aient recherché d’alternative à la détention ou qu’elles aient tout fait pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion».
La CEDH estime donc que, dans ces circonstances, une «détention» de quinze jours en centre fermé était «disproportionnée par rapport au but poursuivi», et estime à l’unanimité que l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale a été violé.
Au titre de la “satisfaction équitable”, la Cour dit que la France doit verser aux requérants 10000 euros pour dommage moral et 3000 euros pour frais et dépens.
Fabien Abitbol
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