Un chargé d'audit sur la filière cacao est décédé ce mois-ci
Le procureur de la République d'Abidjan-Plateau, M. Raymond Tchimou Féhou a annoncé ce vendredi qu'il avait demandé l'inculpation (équivalent local de la mise en examen) de quatre Français dans le cadre de l'enquête sur la disparition en 2004, de notre voisin, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer (GAK).
Ces quatre Français, qui faisaient partie à l'époque d'une société de consultants sur le cacao pour laquelle avait travaillé Guy-André Kieffer (la société CCC), auraient selon ses dires menacé le journaliste à plusieurs reprises, a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse. "Dès lors l'inculpation de ces quatre personnes à savoir Eric Latham, Stéphane de Vaucelles, Aron Brunetière, Robert Dulas, comme auteurs ou complices de l'enlèvement, de la séquestration ou de l'assassinat de Kieffer, s'impose nécessairement dans le cadre de la manifestation de la vérité", a-t-il ajouté. Il semble qu'il s'agit des "noms bien connus de la pègre française" tant attendus par la presse ivoirienne depuis avant-hier. L'un des quatre, issu d'une gande famille de la bourgeoisie franco-belge, a travaillé au Congo-B. pour le compte d'une société implantée à Bruxelles-Capitale, peu après que GAK ne jette l'éponge et ne se remette dans la presse. Et dans ses propres enquêtes. Mais ne voilà-t'il pas que, désormais, il aurait fait chanter ses employeurs...
Depuis le début, on aura vu (et pas vu) de tout dans cette histoire, parfois abracadabrantesque d'un côté comme de l'autre, en tous cas dramatique pour la famille, cruelle pour les proches, et manquant (c'est le moins que l'on puisse dire) de médiatisation par rapport à d'autres personnes disparues à l'étranger.
"C’est ce message que nous avons laissé au juge d’instruction Patrick Ramaël", en charge de l’enquête sur cette affaire en France, a ajouté M. Tchimou, précisant que la demande a été faite lors d’une mission judiciaire qu’il a effectuée du 14 au 27 juin à Paris avec les deux juges ivoiriens chargés du dossier. Le juge Ramaël a demandé aux magistrats ivoiriens "de lui accorder un délai de 10 jours, conformément à la loi française pour accomplir ces actes d’inculpation", a-t-il souligné.
La justice ivoirienne à Paris
Renversement de situation, c'est présentement une "mission judiciaire" ivoirienne qui viendra à Paris afin "de voir à quel stade se situent les investigations du juge Patrick Ramaël relativement à cette nouvelle piste qui est plus crédible", aux yeux de Raymond Tchimou.
Le procureur d’Abidjan-Plateau a par ailleurs démenti avoir été contacté par le juge du TGI de Paris pour une demande d’audition de Simone Ehivet Gbagbo, épouse du président ivoirien, et de l'ancien ministre Paul Antoine Bohoun Bouabré. Pour le moins étonnant, le Quai d'Orsay n'étant pas non plus informé. Il faut donc en déduire que Mme Gbagbo n'est "que" Simone Gbagbo, et que le chef de l'Etat ivoirien n'est informé de rien...
Pour entreprendre une telle audition, a-t-il insisté, M. Ramaël aurait dû en faire la demande "par voie diplomatique après l’accord favorable de l’Etat" ivoirien, comme le prévoit l’accord de coopération judiciaire entre la Côte d’Ivoire et la France, a souligné le procureur. Faux. Le Quai d'Orsay, comme indiqué le 9 au soir dans cette brève, a pourtant indiqué que cela n'était pas de son domaine.
M. Tchimou a aussi annoncé son intention "de requérir l’inculpation de Berté Seydou pour faux témoignages". Il s'agit du témoin de France 3 qui avait commencé à parler lorsque la famille Kieffer avait été reçue par le président Sarkozy en août 2007, en qui elle avait fondé un certain espoir.
On apprend par ailleurs l'assassinat de André Journée, le directeur exécutif de PriceWaterhouse en Côte d'Ivoire, chargé d'un audit sur la filière cacao, près de Grand Bassam. PriceWaterhouse est une société de droit canadien... comme la seconde nationalité de notre voisin Guy-André Kieffer. Et les relations entre le président de la République française et certains hommes d'influence canadiens sont au beau fixe, comme en témoigne cette remise exceptionnelle de décoration sous les ors de l'Elysée.
Lors de son arrivée en Côte d'Ivoire en 2002, Guy-André Kieffer avait, justement, été indirectement chargé d'un audit sur la filière cacao par le président Gbagbo. Avant de s'apercevoir de certaines malversations et de se remettre à son métier de journaliste. En fait, le congé sabbatique pris à La Tribune pour se rendre en Côte d'Ivoire avait pour but une mission au sein du cabinet Commodities Corporates Consulting (CCC), animé par... Stéphane de Vaucelles, l'une des quatre personnes visées par le procureur d'Abidjan-Plateau. Les conclusions auxquelles GAK était rapidement arrivées correspondaient en de nombreux points à un rapport d'audit de l'Union européenne sur l'argent du cacao, publié à la fin 2005.
Sur son blogue, Théophile Kouamouo, correspondant du Monde à Abidjan, avait, à la mi-juin, fait le point sur les inculpations dans la filière cacao en Côte d'Ivoire. Avant-hier, il avait évoqué le "principe de réciprocité" au sujet de la double convocation de dignitaires ou responsables ivoiriens dans le cadre de l'affaire Kieffer.
Fabien Abitbol
==> Ramaël outrepasse ses droits, Tchimou monte au créneau (Fraternité matin sur Delugio blog)
==> Comment le cacao a alimenté le conflit en Cote d'Ivoire (d'après Global Witness, juin 2007)
==> Arrestations en série au sein du Fonds de régulation (Le blog finance, juin 2008)
==> La justice ivoirienne avance la piste "française" dans l’affaire Kieffer (AFP)
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