Angolagate : la lettre qui change tout
Révélations : Le ministre de la Défense, Hervé Morin, assure par écrit que les ventes d'armes visées par la justice depuis 2000 n'auraient pas dû être poursuivies.
« Une page est tournée : celle des malentendus entre l'Angola et la France », lançait fièrement Nicolas Sarkozy à Luanda, le 23 mai. Le président français achevait alors une visite officielle dont l'objet principal était le règlement négocié de l'affaire des ventes d'armes au pouvoir angolais, scandale judiciaire qui a durablement miné les relations entre les deux pays. Mais, pour tourner cette page, il fallait qu'une autre soit écrite - au sens propre, cette fois. L'Elysée l'a ordonné ; le ministre de la Défense, Hervé Morin, s'est exécuté, scellant en quelques mots, noir sur blanc, le revirement français. Voici comment.
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La lettre est datée du 11 juillet ; elle est adressée par le ministre à l'avocat Pierre-François Veil, défenseur de l'homme d'affaires, personnage central de l'Angolagate, poursuivi depuis 2000 par la justice française pour « commerce d'armes illicite ».
« Il résulte de l'examen du dossier de mon ministère à la lumière de vos observations, écrit Hervé Morin, qu'en l'absence de transit par le territoire français la législation relative aux opérations de ventes d'armes et de munitions (...) ne s'appliquait pas, aux dates retenues par le dossier de l'instruction, à l'activité exercée par M. Pierre Falcone. »
Explication : les livraisons d'armes reprochées à Falcone se sont échelonnées entre 1993 et 2000, alors que l'Angola était déchiré par la guerre civile. A cette date, la loi française subordonnait toute vente de matériel militaire impliquant la France (comme lieu de fabrication ou de passage des armes) à une autorisation gouvernementale. Faute de ce tampon officiel, la transaction était assimilée à un trafic. Mais les chars, hélicoptères et munitions livrés par Falcone à Luanda provenaient, eux, de l'ancien empire soviétique et la société chargée de la vente avait son siège en Tchécoslovaquie - de sorte qu'elle n'avait aucune approbation à solliciter en France, comme l'indique nettement la missive d'Hervé Morin.
L'argument est trop évident pour avoir surgi à l'improviste. A maintes reprises durant l'instruction, menée tête baissée par le juge Philippe Courroye, Falcone et d'autres mis en examen l'ont invoqué pour tenter d'arrêter la machine judiciaire. Dans une note destinée au magistrat (et que rappelle Hervé Morin dans son courrier), le secrétaire général de la Défense nationale écrivait même, le 4 décembre 2000 : « En l'état actuel du droit, ces opérations ne sont pas soumises à autorisation au cas par cas lorsqu'elles n'entraînent pas de passage de matériel par le territoire français. »
L'objection fut balayée par le juge, dont les avancées provoquaient l'embarras des politiques : traquant un à un les obligés de Pierre Falcone, qui distribuait généreusement des enveloppes au Tout-Paris des affaires et du pouvoir, Courroye avait pêché à droite comme à gauche et ramené dans ses filets Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani, Jean-Christophe Mitterrand ou Jacques Attali. En pleine cohabitation Chirac-Jospin, personne n'osa intervenir, de sorte que le parquet s'inscrivit dans son sillage et que la Cour de cassation renvoya l'examen du point litigieux... à l'ouverture du procès.
Or les audiences, précisément, approchent. Le procès de l'Angolagate doit s'ouvrir le 6 octobre et les émissaires de Luanda ont averti Nicolas Sarkozy qu'une condamnation pour « trafic d'armes » constituerait pour eux un casus belli. De ses deux voyages en Angola le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, est revenu impressionné par la fermeté du président Dos Santos.
Le 27 mai, le général Helder Kopelipa, chef de la maison militaire et bras droit du président angolais, a porté à l'Elysée une lettre réclamant carrément l'abandon des poursuites. Une solution plus subtile a été préférée, qui a pris la forme du courrier du 11 juillet, dont le texte s'achève en nuance : « Il appartiendra à la juridiction d'apprécier souverainement l'étendue de sa saisine et la caractérisation des faits qui lui seront soumis. »
Il n'empêche : au procès, le parquet aura du mal à soutenir une accusation dont l'inanité est ainsi affirmée. Le dossier Falcone pourrait alors se réduire à une affaire financière ordinaire, dénuée de son caractère le plus explosif. Et si, comme le rapportent d'insistants échos venus du sommet de l'Etat, Nicolas Sarkozy veut nommer Philippe Courroye (actuel procureur de Nanterre) à la tête du parquet de Paris, ce dernier devra peut-être se déjuger au grand jour. Faut-il cela pour tourner vraiment la page du scandale angolais ?
Hervé Gattegno, pour Lepoint.fr
⇒ Pierre Falcone condamné à quatre ans de prison ferme pour fraude fiscale
⇒ France-Angola : les choses bougent
⇒ AngolaPress en français
⇒ NB : Pierre Falcone, comme d'autres personnalités visées dans ces différentes affaires, possède la nationalité angolaise, en sus de la française. C'est à ce titre qu'il représente l'Angola à l'Unesco et jouit d'une certaine immunité diplomatique.
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