Fait rarissime dans l'histoire judiciaire française, un juge d'instruction s'est rendu mardi dans un service de l'Elysée et y a saisi un dossier sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004 en Côte d'Ivoire.
Confirmant cette information révélée par une source proche du dossier, l'Elysée a précisé qu'il ne s'agissait pas d'une perquisition mais d'un « transport » de justice.
« Un juge s'est présenté hier à la cellule diplomatique rue de l'Elysée dans le cadre d'une procédure qu'on appelle "transport sur les lieux" », a-t-on expliqué dans l'entourage de Nicolas Sarkozy. « Nous lui avons remis volontairement un document archivé relatif à l'affaire Kieffer, antérieur à l'arrivée du président actuel. »
Le juge d'instruction Patrick Ramaël soupçonne des officiels ivoiriens d'avoir ordonné le meurtre de Guy-André Kieffer. Son enquête se heurte au pouvoir ivoirien.
Convoqués par le magistrat français le 10 juillet, Simone Gbagbo, épouse du président ivoirien Laurent Gbagbo et l'ex-ministre de l'Economie Paul-Antoine Bohoun Bouabré ne sont pas venus.
Lors d'une conférence de presse le 11 juillet à Abidjan, le procureur de la République Raymond Fehou Tchimoet s'est opposé à ces auditions. Il a demandé en revanche l'inculpation de quatre collaborateurs français de Guy-André Kieffer, ouvrant ainsi une piste jamais envisagée jusqu'alors.
Le frère du disparu, Bernard Kieffer, a estimé que le déplacement du juge français à l'Elysée était un « signe envoyé à la présidence ivoirienne ».
« C'est intéressant de voir que les autorités publiques françaises jouent le jeu de la coopération, on aimerait que ça se passe de la même manière à Abidjan », a-t-il dit à Reuters.
Un seul précédent
Il n'existe qu'un seul précédent d'une action judiciaire à l'Elysée, le 2 mai 2007. Deux magistrates s'étaient rendues à la cellule "Afrique" de l'Elysée, à la fin de la présidence Chirac, pour saisir un dossier sur le meurtre du magistrat Bernard Borrel à Djibouti en 1995.
Invoquant la « séparation des pouvoirs », l'Elysée alors dirigé par Jacques Chirac avait refusé aux juges l'accès aux documents et aux bureaux de Michel de Bonnecorse, alors conseiller pour l'Afrique de Jacques Chirac.
Le même Michel de Bonnecorse a été justement entendu comme témoin vendredi dernier par Patrick Ramaël.
Guy André Kieffer, journaliste spécialisé dans les questions de matières premières, notamment le cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial, a été assassiné, pense son entourage.
Ses proches disent qu'il enquêtait sur des malversations impliquant le régime d'Abidjan et les juges français examinent l'hypothèse d'un crime à mobile politique.
Jean-Tony Oulaï, présenté comme un ancien membre des services spéciaux ivoiriens, est mis en examen et écroué en France depuis le mois d'octobre en France dans cette affaire.
L'entourage de Simone Gbagbo a été d'emblée évoqué par des personnes entendues. Le beau-frère de cette dernière, Michel Legré, a même été un temps emprisonné à Abidjan avant d'être libéré.
En février dernier, les juges français ont entendu un témoin, Berte Seydou, qui se présente comme l'ancien chauffeur de Jean-Tony Oulaï.
Berte Seydou a affirmé dans le cadre de la procédure que Guy-André Kieffer avait été enlevé par un commando en avril 2004, emmené dans une première villa, puis transféré à la présidence ivoirienne pendant deux jours et deux nuits et enfin conduit à la « ferme aux volailles », un lieu d'exécution secret, où il aurait été abattu par deux hommes sur signal de Jean-Tony Oulaï.
Thierry Lévêque et Elizabeth Pineau, pour Reuters
⇒ Le juge saisit un dossier à l’Elysée, « signe fort » pour la famille (AFP, sur le site Assassinats de coopérants)
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