Pierre Péan a tenté de percer les secrets d’un président et en ressort séduit.
Un regard bien éloigné de celui que porte Franz-Olivier Giesbert.
La longue carrière de Jacques Chirac, et en particulier son bail de douze ans à l’Elysée, ont suscité de très nombreuses vocations littéraires, et on ne compte plus les biographies ou essais qui lui ont été consacrés. Celui qui fait le bruit ces derniers temps est l’improbable pavé signé Pierre Péan, ce journaliste de gauche qui s'est pris d'affection pour ce président de droite, « qui n'appartient toujours pas au camp qui est resté le mien, la gauche, malgré tout ce qu'elle a fait et n'a pas fait ». Chirac, à ses yeux, a l'immense mérite d'avoir tenu tête aux Américains sur l'Irak. Un fait d'armes qui, à lui seul, rendrait le solde de son bilan élyséen positif.
Mais Chirac est aussi, pour Péan, la victime de « la haine que déverse le Paris rédactionnel et éditorial sur ce président en fin de mandat ». Or avec l’âge, Péan s’est découvert une vocation – très iconoclaste, ce qui n’est pas pour déplaire au personnage – de défenseur de présidents en fin de règne. Il a donc réédité l'exercice pratiqué en son temps avec Mitterrand, sollicitant l'attention et le temps de Chirac qui lui a consacré une trentaine d'entretiens en quelques mois.
Résultat : un étonnant livre, mélange de confessions souvent arrachées aux forceps, d'autobiographie à demi-consentie, de biographie très accompagnée. Péan a tenté, à travers ses entretiens, sa propre enquête et la connaissance du sujet accumulée au fil des années, de dresser un portrait retouché de ce président finalement si mal connu. L'enfant, l'adulte, le mari, le père et le grand-père, mais aussi l'homme de pouvoir et d’ambition, le politique et le président.
Il en résulte un très long portait où Chirac lui-même, selon le mot de Mitterrand à l’égard de l’une de ses biographies, « a appris des choses », mais où le lecteur en apprendra lui aussi beaucoup. Surtout dans une très riche première moitié, dont le Chirac intime est le vrai sujet et où sa personnalité se dévoile, souvent à son corps défendant. On pourra survoler plus rapidement la seconde partie, très politique, donc forcément moins instructive, et rédigée un peu trop rapidement. Péan, il est vrai, devait absolument sortir son livre en temps et en heures pour devancer l’annonce du départ présidentiel.
Un souci que n’avait pas Franz-Olivier Giesbert lorsqu’il a rédigé l’an dernier son brulôt contre ce président qu’il a beaucoup fréquenté, dont il avait écrit la biographie, mais dont il avait cette fois voulu conter la « tragédie personnelle, devenue, à la fin, une tragédie nationale ». Son livre, best-seller en 2006, ressort opportunément en poche à l’occasion de la campagne pour la succession de Chirac. Cette fois, pas d’entretiens ramassés sur quelques semaines, mais le contenu de quinze ans de carnets de notes et de conversations qui n’étaient pas forcément destinées à être dévoilées. Une charge féroce de la part d’un journaliste aujourd’hui plutôt rangé du coté des sarkozystes, même s’il s’en défend.
C’est notamment dans le livre de Giesbert que Péan (les deux hommes se détestent cordialement) a décelé une partie de cette « haine » qui accable le président et lui a donné envie de le défendre. Ce chassé-croisé n’est pas le moindre des paradoxes de la vie et de la carrière de Chirac, qui en regorgent. Pour s’y retrouver un peu – mais cela évidemment ne suffira pas -, on peut s’attacher à enchaîner ces deux essais, le férocement contre et le volontairement pro. Chacun choisira l’ordre de lecture.
François Bourboulon, pour Metrofrance.com
L’inconnu de l’Elysée (Pierre Péan, Fayard, 501 pages, 23 €). Des extraits sont sur Grioo.
La tragédie du Président (Franz-Olivier Giesbert, J’ai Lu-Document, 410 pages, 6,70 €). Pour lire les « bonnes feuilles », cliquer ici.
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