Tout le monde –sauf, bien sûr, les sarkozistes purs et durs- se dit déçu par le «nouveau» gouvernement Fillon. On s’attendait, parce qu’on nous l’avait promis, à monts et merveilles et on se retrouve avec, toujours et encore, Fillon à Matignon, Hortefeux à l’Intérieur, Christine Lagarde aux Finances, Chatel à l’Education, Baroin au Budget, Valérie Pécresse à l’enseignement supérieur, Le Maire à l’Agriculture, le petit Mitterrand à la Culture, etc.
Certes, Borloo est parti en claquant la porte parce que Sarkozy n’avait pas voulu lui ouvrir celle de Matignon et —un de perdu, un de retrouvé— le «vieux» Juppé est arrivé.
Le départ de Borloo signifie clairement pour ceux qui en auraient douté que Sarkozy a renoncé au «virage social» qu’il avait évoqué quand quelques millions de manifestants hurlaient leur antisarkozisme dans les rues. Le calme est revenu, le virage social a disparu.
Ce départ de Borloo signifie aussi que la majorité présidentielle a éclaté et que les centristes dont on pouvait se demander ce qu’ils faisaient là vont maintenant s’organiser entre eux, c’est-à-dire en clair, se préparer pour 2012. Or, comme le disait Gorges Pompidou qui s’y connaissait: «Une élection présidentielle se gagne toujours au centre». C’est donc un peu ennuyeux pour Sarkozy.
Le retour de Juppé est plus étonnant. On comprend mal que le seul goût des honneurs ait pu pousser l’ancien premier ministre de Chirac à embarquer à bord de cette galère et, de plus, pour un ministère sans doute encore (un peu) prestigieux mais qui n’a, il faut le dire, aucune prise sur les vrais problèmes du jour, le chômage, les déficits, la dette, la fiscalité, la compétitivité, etc.
Juppé va faire de la figuration, passer en revue quelques régiments, distribuer des décorations, mais il n’aura même pas son mot à dire sur la présence des troupes françaises en Afghanistan. Il aura davantage l’air du ministre des Anciens combattants qu’il est aussi que du numéro 2 du gouvernement.
On s’étonne d’ailleurs qu’ayant été viré du gouvernement en 2007 parce qu’il avait été battu aux législatives, il revienne aujourd’hui au pouvoir. Sauf erreur, il n’a pas été, entre temps, réélu député de Bordeaux.
Mais ce retour de Juppé c’est, en réalité, un signe pour ne pas dire un signal. On en revient au bon vieux RPR d’antan. Avec en plus la promotion de Michèle Alliot-Marie qui après avoir eu la Défense, l’Intérieur et la Justice se retrouve aux Affaires étrangères, «bonne à tout faire» donc et dont on ignorait jusqu’à présent les qualités de diplomate. Cerise sur le gâteau, «le petit ami de la petite dame» fait son entrée au gouvernement. Patrick Ollier devient ministre chargé des relations avec le Parlement. Une grande première, un peu scandaleuse, dans la vie de la République. Comme vient de le dire l’un de leurs «amis»: «C’est combines et concubines». Mais passons.
L’essentiel ce ne sont pas ceux qui arrivent mais ceux qui partent. En fait, on a eu droit à une vraie purge. Sarkozy (à la demande de Fillon ?) a balancé par-dessus bord : 1) les centristes (Borloo, bien sûr, mais aussi Morin et Létard), 2) les ralliés de gauche (Kouchner et Bockel) et 3) tout ce qui pouvait symboliser la diversité (Rama Yade, la préférée de tous les sondages et Fadela Amara). Dehors les «sociaux», dehors les «gauchos», dehors les «pas vraiment blancs».
Certains diront que beaucoup d’entre eux ont été totalement nuls. C’est vrai. Morin, Létard, Kouchner, Bockel, Fadela Amara ont clairement démontré qu’il ne suffisait pas de trahir ses convictions et ses amis pour devenir compétents.
Mais, s’il voulait vraiment se débarrasser des nuls, pourquoi Sarkozy a-t-il gardé Roselyne Bachelot (il est vrai expédiée aux «Solidarités et à la cohésion sociale» quézako ?) et Frédéric Mitterrand qui, il faut le dire, a eu, depuis quelques mois, la sagesse de disparaître complètement au point de se faire totalement oublier.
Les centristes, les gauchos et la diversité, c’était évidemment ce qui donnait le plus de boutons à la droite la plus traditionnelle qui reprochait, depuis le premier jour, cette «trahison» à Sarkozy.
Cette même droite n’aimait pas beaucoup non plus qu’on se préoccupe par trop du sort des immigrés. Du coup, le ministère (absurde) de l’Identité nationale et de l’Immigration a, comme par hasard, disparu et le traître Besson qui y avait lamentablement pataugé se retrouve sous-ministre de l’Industrie. On est inquiet pour nos industries. Il voulait délocaliser nos immigrés. Il va sans doute maintenant, et avec plus de succès, délocaliser nos entreprises.
Pour le cas où les électeurs de cette droite traditionnelle n’auraient pas compris les cadeaux qu’il leur faisait en leur présentant sur un plateau les têtes de leurs «bêtes noires», Sarkozy en a un peu rajouté.
Le retour de Xavier Bertrand qui a tout raté à l’UMP et l’arrivée de Frédéric Lefebvre, l’aboyeur de service, et de Thierry Mariani, le roi de l’ADN, frisent, en effet, la provocation.
Quant au débauchage de Marie-Anne Montchamp qui passe du poste de porte-parole de Villepin à République Solidaire au poste de secrétaire d’Etat aux… «Solidarités», il démontre que Sarkozy redoute peut-être plus qu’il ne le dit l’inévitable candidature de Villepin en 2012. Il démontre aussi, d’ailleurs, que la dite Montchamp a une bien curieuse conception des mots «solidaire» et «solidarités».
On savait que la formation de ce nouveau gouvernement ne serait que la mise sur pied de l’équipe de campagne du candidat Sarkozy. Ce qui surprend c’est de voir qu’il semble ignorer qu’une présidentielle se joue à deux tours. Pourquoi fait-il tout pour multiplier les candidatures de droite et du centre au premier tour ? Et comment peut-il s’imaginer que les voix qui se seront portées sur Borloo, Morin et Villepin au premier tour se reporteront sur son nom au second tour alors qu’il aura piétiné à plaisir le centre, les modérés et la droite sociale ?
Thierry Desjardins
Thierry Desjardins, 69 ans depuis le mois dernier, est entré au service politique du Figaro en 1963, puis au service étranger du Figaro en 1966. Grand reporter au Figaro de 1973 à 1981, directeur de la rédaction de France-Soir de 1981 à 1983 (les deux titres appartenaient alors au même groupe de presse, celui de Robert Hersant), grand reporter du Figaro de 1983 à 1990, directeur adjoint de la rédaction du Figaro de 1990 à 1993, puis adjoint du directeur général du Figaro de 1993 à 2000. Bénéficiant de la retraite à soixante ans, il est désormais journaliste honoraire depuis près de dix ans.
Féru de politique, très proche du RPR d’antan (et de son fondateur Jacques Chirac), il est resté, malgré son départ du Figaro, attentif à la vie politique française.
Prix Albert Londres en 1975, Prix Louis Pauwels en 2000, j’ai eu l’occasion de le croiser entre ces deux dates, aux débuts de ma vie professionnels, lui travaillant pour le groupe de presse de Robert Hersant (propriétaire, donc, du Figaro et de France-Soir à l’époque), moi pour celui de son fils Philippe Hersant (lire ici et là). Nos avis divergeaient, nos brèves rencontres (aux bureaux de France-Antilles Guadeloupe plus fréquemment qu’à ceux du Figaro à Paris) étaient plutôt… fraîches. Différence de culture politique, d’âge aussi, sans doute.
Avec le temps, peut-être aussi du fait qu’il n’est plus quotidiennement impliqué dans la vie d’un journal, je trouve certaines de ces analyses sur la droite française pertinentes. D’où la publication sur ce blogue de l’éditorial qu’il a rédigé ce jour sur son blogue, en complément de l’analyse générale que j’ai publiée la nuit dernière sous le titre Le Fillon nouveau est arrivé, qui, dans la nuit, a été repris par Dazibaoueb.
Dans un autre registre, une autre analyse politique est à venir, d'une ancienne permanente de l'UMP, villepiniste, de près de trente-cinq ans cadette de Thierry Desjardins, savoureuse…
F. A.
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