Beat Richner : « Non à Carla Bruni ! »
Le médecin suisse, dit « Beatocello » parce qu'il sauve des milliers de petits Cambodgiens grâce à son violoncelle, a fait un nouvel éclat. En quête de fonds pour ses hôpitaux, il a refusé un gros chèque. Parce que cet argent serait venu de la vente de la photo de Carla Bruni nue. Mis aux enchères par Christie's jeudi à New York, le « portrait intégral » a été enlevé pour 91 000 dollars.
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Beatocello n'a pas voulu des 91 000 dollars qu'a rapporté la vente du « nu » de Carla Bruni-Sarkozy. Par respect pour son institution et ses patients.
Photo Keystone
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Neuf heures du matin, jeudi 10 avril à Siem Reap au Cambodge. Déjà 32 degrés à l'ombre. Moiteur. L'hôpital créé par le médecin suisse Beat Richner bourdonne depuis l'aube sous les pales des ventilateurs. Opérations, visite médicale des salles, labos en plein boom, consultations ambulatoires, vaccinations. Petits patients au regard grave, ou rieur quand même, mères inquiètes. Sur le trottoir de l'avenue qui conduit au site d'Angkor, sous les grands arbres, la file d'attente s'allonge. Tous reçoivent un numéro et seront reçus dans la journée. Dans quelques heures, à l'autre bout du monde, une vente aux enchères très spéciale va commencer chez Christie's New York.
Suspense insoutenable : la photo de Carla Bruni nue, signée du Suisse Michel Comte et mise en vente par le collectionneur allemand Gert Elfering va-t-elle atteindre un prix record ? Véritable joyau de la collection d'Elfering, qui s'en sépare, le « nu » de l'alors future Mme Sarkozy, daté de 1993, a été estimé par Christie's à 4 000 dollars. Malgré une prétendue offre pour 180 000 dollars d'un millionnaire de Lucerne, la photo a finalement été vendue pour la moitié. Le collectionneur avait offert de faire don de la somme atteinte par l'enchère finale à la fondation des hôpitaux pédiatriques Kantah Bopha. Or Beat Richner a refusé ce cadeau. Il nous explique sa décision.
Vous êtes perpétuellement en quête d'argent, et vous dites non à une poule aux oeufs d'or. Pourquoi ?
Mon refus n'est pas une critique de cette photo, ni de son modèle. Je refuse en revanche que notre institution soit mêlée à l'utilisation médiatique de la nudité de Mme Bruni. L'idée de ce don est un moyen d'assurer la publicité de cette vente aux enchères - et le renom du photographe. C'est une manière de se servir de nous. Beaucoup de nos donateurs restent anonymes. Ce n'était pas le cas ici. Les personnes qui travaillent avec moi approuvent toutes mon refus.
A cause aussi de la nudité du modèle ?
L'utilisation de la nudité n'est pas comprise ici comme elle l'est en Occident. Nous ne sommes pas à Hollywood. Ma décision a été prise par respect envers nos patients et leurs mères. Ceux-ci se sentent en sécurité dans nos hôpitaux autant que dans une pagode. L'acceptation d'argent venant de l'exploitation du corps féminin serait perçue comme une insulte à leur sensibilité et à leur pauvreté. En même temps pour les Cambodgiens et leur gouvernement, Mme Bruni est vue désormais comme la première dame de France. Notre réputation serait entachée par l'irrespect que constituerait à leurs yeux l'acceptation d'un don de cette nature.
Si Mme Bruni-Sarkozy vient visiter un de vos hôpitaux, que lui direz-vous ?
Je l'accueillerai avec respect. Je suis sûr qu'elle comprendrait mon refus.
Beaucoup de stars s'investissent dans les causes humanitaires. Bono, Angelina Jolie, etc. Vous critiquez leur action. Elle est efficace pourtant, non ?
L'impact réel est égal à zéro. Ces gens se font de la publicité à eux-mêmes. En même temps, le public croit que des choses utiles à la santé des pays pauvres sont entreprises grâce à ces people. On le trompe.
Le Nouvel-An cambodgien commence lundi. Quel vœu aimeriez-vous voir se réaliser pour vous ?
Je voudrais recevoir deux cent cinquante millions de dollars pour assurer le fonctionnement de nos hôpitaux pendant les dix prochaines années. Ils marchent magnifiquement, le bouche à oreille nous amène des petits malades des villages les plus éloignés. Nous sauvons des milliers de vies. Il faudrait en fait que Bill Gates vienne ici voir les choses de ses propres yeux. Il me les donnerait, ces dollars…
Myriam Meuwly, pour Le Matin Dimanche
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Médecine pour enfants pauvres : « People et experts disent n'importe quoi »
Le célèbre pédiatre zurichois Beat Richner n'aime pas tellement « people » et « experts ». Il y a entre lui et la plupart d'entre eux un gros malentendu : les « people » se servent des pauvres pour se faire de la pub. Les « experts » coûtent très cher en salaires et confortables déplacements et, selon ce qu'il observe, ils font plus de mal que de bien. Tandis que lui se sert de toute la pub qu'il peut pour assurer gratuitement les meilleurs soins aux pauvres enfants d'un pays pauvre entre tous, le Cambodge, et il les sauve effectivement.
En un peu plus de quinze ans, le Zurichois a remis en état à Phnom Penh un hôpital désaffecté sous les Khmers Rouges, et en a construit trois nouveaux, deux dans la capitale et un à Siem Reap, la ville qui borde le site d'Angkor. Principalement grâce à la générosité des Suisses, qui aiment bien savoir où va l'argent qu'ils donnent aux oeuvres humanitaires, et qui ont participé pour une large part aux 260 millions récoltés depuis 1993. Argument massue : 5,8 % seulement des fonds récoltés sont affectés aux frais administratifs de la fondation qu'il a créée.
Pour une médecine de qualité équivalente à celle des pays riches
Ce n'est pas parce qu'il est en désaccord avec les « people » que Beat Richner a refusé l'argent produit par la vente du « nu » de Carla Bruni, dit-il au « Matin Dimanche » en nous faisant visiter son hôpital Jayavarman VII de Siem Reap. Il ne connaît pas l'opinion de la première dame de France sur la médecine du tiers-monde, si elle en a une.
Beatocello, comme on l'appelle parce qu'il joue - superbement - du violoncelle et s'en sert pour plaider sa cause, Beatocello, donc, croit que les pauvres des pays pauvres méritent d'être soignés aussi bien que les gens des pays riches.
L'Organisation mondiale de la santé et nombre d'ONG ont pour politique de financer la santé du tiers-monde par l'approche « durable » : prévention et profil bas en matière de coûts. Une sorte de rapport qualité-prix « meurtrier » - Richner dit en fait « génocidaire » - qui signifie que, faute d'équipements adéquats, les diagnostics ne peuvent souvent pas être posés avec précision, ni les soins prodigués efficacement. Autre exemple de fausse route : les mêmes instances financent largement la vaccination des enfants contre la tuberculose, dont le Zurichois à l'origine de la fondation « Kantha Bopha Children's Hospital » affirme qu'elle est totalement inefficace. « On ne peut prévenir la tuberculose dans les pays pauvres. On la traite. »
« Il faut apprendre à pardonner, sinon on devient fou », dit-il en souriant, évoquant les insanités qu'il entend proférer par les « people » et autres experts en « médecine pour les pauvres ». Une des meilleures ? C'est la déclaration que lui a faite SAR la princesse Anne, présidente de Save the Children, lors de sa visite à Kantha Bopha et après qu'elle eût jugé « vraiment très coûteux » son équipement : « Il faut d'abord que ces gens apprennent à se laver les mains. »
Financement assuré pour cinq mois
Plus aberrante car traduisant une vraie politique des ONG, l'approche de la lutte contre la dengue, une forme très agressive de paludisme qui entraîne chez les enfants soignés tardivement la mort ou des séquelles gravissimes. Le moyen préventif préconisé par la médecine « durable » est la moustiquaire. Or le moustique porteur de dengue sévit le jour. Beatocello rigole : « Vous imaginez ces petits mioches dans leurs salles d'école ouvertes ou jouant au bord de la rivière, tous enveloppés d'une moustiquaire ? »
S'il rit, le médecin zurichois se sent parfois un peu déprimé. Au point de n'avoir plus l'énergie d'ouvrir l'étui de son cher violoncelle. Le fonctionnement de ses hôpitaux coûte quelque 25 millions de francs par année. Mais leur financement n'est assuré que pour cinq mois d'avance. La quête d'argent constante est son harnais, sa tâche jamais terminée. « Pourquoi n'allez-vous pas rencontrer les grands du monde quand ils sont réunis au Forum de Davos, pour leur demander de vous aider ? » « Des amis ont cherché à m'y faire inviter. M. Schwaab n'a jamais répondu. » Et l'industrie pharmaceutique suisse ? « M. Vasella m'a offert un petit rabais sur ses prix de vente. Mais j'achète ses médicaments meilleur marché par un grossiste suisse en Thaïlande. » Oui, Beato a de quoi être parfois déprimé. N'empêche, depuis quinze ans, grâce à son travail incessant, huit millions de petits Cambodgiens ont été traités, dont cinq cent mille malades hospitalisés.
Les 80 % de ces derniers n'auraient pas survécu sans cette prise en charge.
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