Quelle différence entre la manifestation parisienne du 24 janvier et celle du 31 ? Environ quatre-vingt-cinq… interpellations. Pourtant, que l’on se fie aux sources policières or à celles des organisateurs, ils étaient environ dix fois plus avant-hier à défiler, pour une fin « musclée », à en croire cette vidéo de Olivier Rotrou (durée : 7 minutes). Et « seulement » une quinzaine d’interpellations, dont sept étaient encore en garde à vue hier soir. Que s’est-il passé entre les deux samedis ? La Lettre A est parue en ligne jeudi à 15h et contenait un sujet de 217 mots (ci-dessous reproduit) intitulé « La patate chaude du dossier Tarnac ». Car le maintien en détention de Julien Coupat ne pouvait aucunement calmer les esprits…
Dans les jours qui viennent, le juge d’instruction chargé du dossier dit de Tarnac devrait (enfin) lancer diverses commission rogatoires internationales. Il faudrait au moins savoir, avec l’aide des autorités allemandes, ce que contient précisément la lettre de revendication des « actes de sabotage » sur des lignes de TGV postée en Allemagne le 9 novembre 2008 et arrivée dans un quotidien berlinois le 10, soit la veille de la vague d’interpellations… en France. Il est question aussi de chercher à savoir auprès des autorités canadiennes comment Julien Coupat et sa compagne Yldune Lévy ont fait, en janvier 2008, pour franchir la frontière entre les Etats-Unis et le Canada. Il serait temps. Car le couple avait été signalé à la France… par le Canada, et ce au moins depuis le premier trimestre 2008, après une explosion devant un centre de recrutement de l'armée américaine. Pour ce qui est des gilets pare-balles retrouvés à la ferme de Tarnac, les nouvelles analyses ne permettent pas, d’après les derniers éléments de l’enquête, de les attribuer à un membre du groupe des mis en examen.
Le « laxisme » des forces de police nord-américaines est bien connu, surtout en matière de terrorisme, et encore plus depuis septembre 2001.
Puis, le 11 février, Julien Coupat doit de nouveau être entendu sur le fond du dossier par le juge Thierry Fragnoli. Un magistrat qui, le 27 janvier, avait publié ce point de vue dans Le Monde en Ligne (fait rarissime, voire unique, ayant entraîné une centaine de réactions de lecteurs abonnés). Puis le lendemain une réaction du député socialiste de l’Isère, président de la Commission Outreau, André Vallini, qui se montrait très mesuré (et qui, de fait, suscitait moins de réactions, et moins enflammées).
Gérard Gachet, le porte parole du Ministère de l'Intérieur, accordait de son côté une interview exclusive à Fabrice Bidault et José Sousa, pour France 3 Limousin, à visionner ici (5 min.45). D’où l’on retenait essentiellement que la ministre de l’Intérieur n’était pas responsable de la qualification des faits en actes de terrorisme… La justice est indépendante, soit. Mais la police antiterroriste était saisie et la ministre de l’Intérieur, dès le 11 novembre, parlait d’« ultra-gauche » et de « terrorisme ». Les médias, dans leur ensemble, suivaient. L’équipe de France 3 Limousin a aussi profité de son séjour à Paris pour réaliser un entretien avec Me Irène Terrel, l'avocate de Julien Coupat (durée : 4min.44).
Julien Coupat étant maintenu en détention le 30, le trajet de la manifestation du 31 (prévue de longue date) a été modifié pour finir non loin de la prison de la Santé. Ce que certains médias (y compris Europe 1, du groupe Lagardère) n’ont pas manqué de faire savoir. Pour la manifestation du 24 janvier, une centaine de personnes avaient été interpellées, pour une participation estimée entre 150 selon la police et 300 selon les organisateurs. Ce qui avait « inquiété » Les Verts.
Ce samedi 31, la Préfecture de Police a annoncé 1 200 manifestants. Pour les organisateurs, ils étaient « environ 3 000 ». Un compte-rendu de la manifestation (texte et photos) est en ligne ici. Et, selon la police, relayée par cette dépêche d’agence, il y a eu quinze interpellations, pour huit policiers blessés, dont deux ont été conduits à l’hôpital. Quinze interpellations seulement, serait-on tenté de dire…
Dans « La Lettre A » N°1397, datée du 30 janvier (disponible pour les abonnés en ligne le jeudi 29 à 15h), on pouvait trouver en page 2, sous le titre « La patate chaude du dossier Tarnac », ce qui pourrait tout expliquer…
Michèle Alliot-Marie rejette désormais sur le parquet de Paris le choix de la qualification de "destruction en réunion en relation avec une entreprise terroriste" retenue contre le groupe dit de Tarnac, soupçonné de dégradations de lignes TGV. Réponse du procureur Jean-Claude Marin : le dossier n'est "pas vide" ! Mais, selon les informations de La Lettre A, celui-ci n'exclut plus une requalification des faits annulant l'accusation de terrorisme, au terme de l'instruction.D'après des confidences de policiers, cette incrimination n'a été retenue que pour répondre aux exigences de l'Elysée, qui réclamait l'arrestation rapide de suspects. Pourtant, les surveillances exercées sur le groupe animé par Julien Coupat n'avaient pas permis de réunir des preuves irréfutables. La révélation récente du peu de fiabilité du seul témoin à charge, qui a décrit les projets "terroristes" des neuf personnes mises en examen, a un peu plus affaibli cette accusation. Celle-ci ne reposera bientôt plus que sur les relations internationales de Coupat, notamment en Allemagne.
Le criminologue Alain Bauer - qui a très tôt attiré l'attention du directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, sur ce groupe (LLA nº1392) - convient lui-même que l'incrimination de terrorisme inscrite en 1986 dans le code pénal français est très vague, puisqu'elle peut s'appliquer à tout trouble à l'ordre public. L'argument pourra toujours constituer une porte de sortie si le dossier finit par s'effondrer…
F. A., avec La Lettre A, photo : Article 11
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