La justice européenne a infligé un camouflet à Microsoft en confirmant les sanctions très lourdes décidées par la Commission européenne en raison de ses pratiques anticoncurrentielles. Les juges du Tribunal de première instance (TPI) de l'UE, qui ont eu plus de trois ans pour rendre leur verdict sur cette affaire après avoir été saisis d'un recours du géant de Redmond contre l'exécutif européen, ont confirmé l'amende de 497,2 millions d'euros assortie de « remèdes » contraignants.
« Le tribunal confirme, pour l'essentiel, la décision de la Commission concernant l'abus de position dominante de Microsoft », peut-on lire dans cet arrêt qui fera date et qui conforte les pouvoirs antitrust contestés de la Commission.
Bo Vesterdorf, le président du TPI, qui prendra sa retraite après ce cas, avait en effet infligé en 2002 une série de revers à l'exécutif dont les compétences étaient contestées. Les juges n'ont cette fois pas hésité et les avocats de Bill Gates, qui se disaient confiants de pouvoir faire mordre la poussière à la Commission, repartent bredouilles.
Oui, estime la justice européenne, l'amende est justifiée étant donné « la gravité et la durée de l'infraction. » Oui, Microsoft a bien violé les règles antitrust en limitant l'interopérabilité entre les PC Windows, son système d'exploitation présent sur plus de 95 % des ordinateurs personnels, afin de maintenir son quasi-monopole.
« Éliminer la concurrence »
Outre l'amende, la firme américaine avait été condamnée à communiquer à ses concurrents les informations nécessaires pour assurer la compatibilité de leurs machines avec les PC sous Windows, moyennant une rémunération « raisonnable ».
« L'absence d'une telle interopérabilité a pour effet de renforcer la position concurrentielle de Microsoft et risque d'éliminer la concurrence », peut-on lire dans l'arrêt.
Les objections de Microsoft, selon lequel cette obligation porte atteinte à la propriété intellectuelle et à sa capacité d'innovation, ont été balayées dans cet arrêt historique.
Le TPI rappelle que Microsoft avait été obligé de fournir des spécifications sur certains « protocoles » pour rendre cette interopérabilité possible et non des éléments de code source qui auraient permis à ses concurrents de cloner ses produits.
Les concurrents de Microsoft se sont donc félicités d'une décision importantissime pour la survie de leurs logiciels dans la mesure où la firme de Gates avait ignoré les injonctions de la Commission, ce qui lui a valu le 1er mars dernier une nouvelle amende de 280,5 millions d'euros pour ce retard.
L'autre « remède » imposé à Microsoft a également été jugé proportionné et opportun par le tribunal européen.
Il concernait l'interdiction de la « vente liée » de Windows et de Windows Media Player (WMP), son lecteur de fichiers audio et vidéo, grâce, par exemple, à des rabais aux équipementiers.
« Omniprésence »
La Commission suivait ainsi la justice américaine, qui a octroyé en 2005 au lecteur de fichiers audio et vidéo Realplayer de Realnetworks, qui dominait auparavant le marché, une compensation de 761 millions de dollars de Microsoft.
Pour le TPI, « les consommateurs n'ont pas la possibilité d'acquérir le système d'exploitation Windows sans acquérir Windows Media Player », ce qui est contraire à la concurrence (Lire plus bas "A savoir").
« Le Tribunal considère que cette pratique a en effet permis à Microsoft d'obtenir un avantage sans équivalent en termes de distribution pour son produit et de garantir l'omniprésence dans le monde, décourageant ainsi les utilisateurs d'avoir recours à des lecteurs multimédias tiers et les équipementiers de préinstaller de tels lecteurs sur les PC clients », peut-on lire dans l'arrêt.
Seul - tout petit - bémol, le tribunal estime que la Commission a fait une erreur en nommant un « mandataire » indépendant - choisi par l'entreprise Microsoft elle-même - pour vérifier l'application de la décision, une mesure qui n'a pas de base juridique dans le droit communautaire.
La Commission s'est immédiatement félicitée de la décision. « Cet arrêt confirme l'objectivité et la crédibilité de la politique de la concurrence de la Commission européenne. Cette politique protège les intérêts des consommateurs européens et garantit la concurrence loyale entre les entreprises et le marché intérieur », a déclaré son président, José Manuel Barroso. La commissaire à la Concurrence Neelie Kroes, qui n'a pas pris la décision en 2004 puisque Mario Monti était alors aux commandes, s'est également réjouie du verdict. « Cette décision constitue un précédent important en ce qui concerne les obligations des entreprises dominantes de permettre la concurrence, en particulier dans les hautes technologies », souligne-t-elle. « La Commission fera tout son possible pour assurer que Microsoft se mette rapidement en conformité. »
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En 1998, Bill Gates était attendu pour se faire rhabiller… Photo AFP.
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Elle a confirmé que, dans l'avenir, les consommateurs continueraient à être au centre de la politique de concurrence. « La Cour a décidé que Microsoft ce pouvait plus empêcher le marché de fonctionner », a-t-elle souligné. « Nous pouvons insister encore plus sur le fait que le consommateur est le numéro un et que l'innovation vient en deuxième en termes de politique de concurrence », a-t-elle dit.
Le jugement était très attendu par des sociétés comme Intel, Qualcomm ou Rambus, qui sont également sous la menace de poursuites de la Commission. Mais Kroes a déclaré lundi qu'il était trop tôt pour dire quelle serait la décision de la Commission dans leur cas.
Microsoft n'avait pas encore décidé lundi d'utiliser son droit de faire appel devant la Cour de justice de l'UE, ce qu'il ne peut faire que sur des points de droit, évoquant des « discussions » avec la Commission dont on voit mal les contours. Le titre Microsoft a baissé de moins de 2 % à l'annonce du verdict du tribunal dans un volume très important.
© Yves Clarisse, pour Reuters
A lire :
⇒ Microsoft - Commission : procès hors norme, dans Génération nouvelles technologies (GNT) du 21 avril 2006.
A savoir :
⇒ Lorsque votre ouaibemaître a acquis les droits d’utilisation d’un Pack Microsoft pour Mac, en décembre 2005, en France, le choix lui a été laissé entre une version 2003 et une version 2004, sans que la différence ne lui soit expliquée. Or, dans le Pack Office 2004 le logiciel Windows Media Player n’existait déjà pas…, encore moins la version de 2006. RealPlayer, oui. La Suite Office 2007 est encore différente !
Notes :
⇒ Pour mieux connaître la justice européenne, cliquer ici.
⇒ Pour connaître les principes de la loi antitrust américaine, c’est là.
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