Le massacre de Charonne
En pleine guerre d’Algérie, le 8 février 1962, neuf personnes ont trouvé la mort à la station de métro Charonne. Leur tort : faire partie des dizaines de milliers de personnes (on parle de 60 000) qui défilaient, essentiellement dans l’Est parisien, à l’appel du Parti communiste français et de divers organismes de gauche en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Une « Place du 8 février 1962 » sera inaugurée ce matin dans le 11e, en présence de nombreuses personnalités et à l'occasion du 45e anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, indique le quotidien El Watan dans son édition du 29 janvier 2007.
La perspective d’une fin de la guerre d’Algérie semblait loin, avec la suspension des pourparlers de paix, en 28 juillet 1961. D’aucuns s’accordent à dire que la seule issue possible est l’indépendance de l’Algérie. Les militants de l’OAS. (Organisation Armée Secrète), multiplient les attentats en Algérie et en France métropolitaine. La pression était mise sur le gouvernement français.
Les milieux de gauche se mobilisent autour du Comité Audin (Comité d’intellectuels luttant pour faire la lumière sur la disparition de Maurice Audin, militant du Parti Communiste Algérien), du PCF, de l’UNEF, et du PSU. Dans les universités, des journées de grève sont organisées. Et de Gaulle de déclarer : « Le peuple n’a pas à se préoccuper du problème de l’OAS ; c’est aux forces de l’ordre d’agir ». Le 7 février 1962, dix attentats sont commis à Paris, attribués à l’OAS. Les cibles sont des universitaires, des élus communistes, des officiers, des journalistes et le ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles de M. Michel Debré, André Malraux. La bombe qui visait le ministre blesse une enfant de quatre ans, Delphine Renard, qui perd un œil.
Cette vague d’attentats pousse la gauche à organiser un rassemblement, le 8 février 1962, place de la Bastille à Paris. Mais, du fait de l’état d’urgence de 1961, les manifestations sont officiellement interdites (le préfet de police de Paris, Maurice Papon est toujours en place).
Il ne faut tolérer aucun rassemblement et « faire preuve d’énergie » dans la dispersion des manifestants. Les policiers dépêchés sur place vont faire preuve de zèle… Un fort quadrillage de la manifestation. 2845 CRS, gendarmes mobiles et policiers organisés en cinq divisions entourent les quartiers de l’Est parisien (de la Bastille, aux Filles-du-Calvaire et de Saint-Ambroise au boulevard Voltaire, en passant par Charonne).
Un communiqué radiodiffusé précise le jour même aux manifestants qu’ils « sont invités à observer le plus grand calme ». En outre, les organisateurs prennent la décision de ne pas défiler, estimant que la police ne chargerait pas un rassemblement statique.
Répression policière sauvage
Mais les manifestants se heurtent aux forces de l’ordre. Certains sont refoulés sur la rive gauche, alors que, dans l’Est parisien, la tension monte peu à peu. Des affrontements se déclenchent boulevard Beaumarchais : on matraque des manifestants, des passants, les hommes, les femmes et personnes âgées, jusque dans les cafés et les stations de métro. Même des policiers en civil seront blessés.
C’est boulevard Voltaire et rue de Charonne que la répression est la plus violente. Alors que les organisateurs donnent le signal de dispersion, les forces de l’ordre chargent le cortège. Sur ordre du Préfet Papon, il faut « disperser énergiquement » les manifestants. Les policiers chargent de façon si soudaine qu’un mouvement de panique s’empare des manifestants, qui tentent de fuir vers la station de métro la plus proche.
Les premières cibles des forces de l’ordre sont des élus communistes, frappés à la tête. Puis des manifestants, portés par la foule, trébuchent dans les escaliers du métro et s’entassent les uns sur les autres. Au lieu d’aider les gens qui suffoquent, les policiers les frappent, les insultent, et n’hésitent pas à jeter sur eux les grilles d’acier qu’ils trouvent au pied des arbres, ou encore des grilles d’aération. Le bilan de cette agression est de neuf morts (dont un mineur de quinze ans et un décès à l’hôpital). Tous étaient communistes.
Au lendemain du drame, la presse, de façon unanime, stigmatise la responsabilité des forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, rejette quant à lui toute la responsabilité sur le Parti Communiste, qu’il accuse d’avoir tenu la manifestation malgré l’interdiction officielle. Au passage, il assimile les manifestants aux fascistes de l’OAS (« deux ennemis de l’intérieur »). La population française est largement choquée par ce déchaînement de répression. Selon les sources, un demi-million ou un million de personnes se rendent au Père-Lachaise, le 13 février, pour les obsèques des victimes.
La plaque commémorative de la station Charonne est traditionnellement fleurie chaque 8 février en hommage à Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur, Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire, Daniel Féry, 15 ans, apprenti, Anne Godeau, 24 ans, employée des PTT, Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier, Suzanne Martorell, 36 ans, employée à « l'Humanité », Hippolyte Pina, 58 ans, maçon, Raymond Wintgens, 44 ans, typographe et Maurice Pochard (décédé à l'hôpital), 48 ans. Pour que l'on n'oublie pas…
Fabien Abitbol
Photo © Gérard Lavalette prise sur le site Le Piéton de Charonne
A lire : « L’Express » du 15 février 1962 et « L’Humanité » du 8 février 2002, quarante ans plus tard.
Egalement : l’article de l’historienne Danielle Tartakowski sur l’ouvrage de Alain Dewerpe paru en 2006 sur Le Mouvement social et celui de Che Resistencia de janvier 2007.
Ce jeudi 8 février 2007, à 11h15 :
« Inauguration de la Place du 8 février 1962 : les élus de la municipalité du 11e et de la Ville de Paris ont voulu rendre hommage aux victimes des événements tragiques qui eurent lieu le 8 février 1962 à la station de métro Charonne en donnant le nom de place du 8 février 1962 à l’intersection entre le boulevard Voltaire et la rue de Charonne. », indique le portail de la mairie du 11e.
Bertrand Delanoë a inauguré jeudi matin la "Place du 8 février 1962", à l'occasion du 45e anniversaire de la manifestation du 8 février 1962 "contre l'OAS et pour la paix en Algérie", en compagnie de Khedidja Boucart (Les Verts 11e), Philippe Ducloux (PS, 11e), Patrick Bloche (Conseiller de Paris), Liliane Capelle (Conseillère de Paris, MRC, 11e) et Bernard Thibault, Secrétaire général de la CGT, ancien membre du bureau national du PCF).
Photo © Mairie de Paris
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