Pour certains, la nuit du 31 décembre 2007, le compte à rebours des douze coups de l'horloge a eu un goût amer. A minuit, le ministère de l'intérieur a-t-il atteint l'objectif de 25 000 étrangers expulsés de France ? Ils sont des centaines de milliers, la peur chevillée au corps, à être visés par cette politique stupide et inhumaine du chiffre. Ces temps-ci, il ne fait pas bon être « noir », « basané » et pauvre.
Souvenez-vous, en juin 2006, une circulaire émanant du ministère de l'intérieur dirigé alors par Nicolas Sarkozy proposait aux parents étrangers dont les enfants, pour la plupart nés sur le territoire et scolarisés en France, de s'inscrire dans les préfectures pour, enfin, accéder à leurs pleins droits de citoyens, c'est-à-dire de résidents légaux. Mis en confiance, 33 000 personnes déposèrent leur dossier. Leurs noms et adresses sont désormais connus. Le gouvernement décida alors de ne régulariser que 6 924 personnes. Nul n'ose imaginer que ces fiches de renseignements vont faire l'objet d'une funeste instrumentalisation... Pourtant, la chasse à l'homme commence. Le processus consistant à ficher pour repérer puis piéger ne peut manquer d'évoquer des heures sombres de notre histoire.
La machine se met en place pour atteindre l'objectif : 25 000 expulsions avant la fin 2007. Policiers, juges, compagnies aériennes, tous sont mobilisés. Le ministère de l'identité nationale et de l'immigration peut ainsi fièrement afficher, chaque semaine, ses résultats chiffrés. Qu'importe si, derrière ces « chiffres », ce sont des êtres humains ! Et déjà les objectifs sont planifiés pour l'avenir : 26 000 expulsions en 2008, plus encore par la suite.
Derrière cette cynique politique du chiffre, se cache une réalité humaine tragique. Des arrestations à l'aube au domicile, le père souvent tutoyé, puis menotté, humilié devant ses enfants qui à leur tour sont parfois aussi menottés et placés en centre de rétention, sans médecin, dans des conditions précaires, des semaines durant, puis jetés dans un avion encadrés de policiers, en route vers un pays auquel plus grand-chose ne les rattache. Des arrestations dans la rue d'hommes qui rentrent du travail et qu'on sépare de leur famille. Nous pensons à tous ces enfants qui demandent : « Où est papa ? Qu'est ce qu'il lui arrive ? Qu'a t-il fait de mal ? » Oui, qu'ont-ils fait de mal pour être traités de façon aussi dégradante ? Des arrestations de personnes convoquées dans les préfectures pour « réexaminer » leur dossier, prises au piège.
Détruire des vies, séparer des parents, déraciner des enfants intégrés et scolarisés, pourchasser l'étranger comme un criminel, toutes les méthodes sont bonnes pour parvenir au score des 25 000. Comment ne pas déclarer iniques des lois et décisions administratives qui entraînent un comportement inhumain et discriminatoire ? Peut-on accepter ce traitement indigne qu'on fait subir à des personnes qui ne menacent en rien l'ordre public, qui depuis des années travaillent, paient leurs impôts, participent ainsi à la vie économique du pays, tentent d'obtenir des papiers et se retrouvent face à la logique comptable et déshumanisante de la République, pays des droits de l'homme ? Une maman chinoise qui se jette par la fenêtre terrorisée par la venue de la police ? Des suicides en centre de rétention ?
Cette politique d'expulsion n'est en rien justifiée par les nécessités économiques de notre pays. Personne ne peut, en conscience, admettre que la diversité des situations individuelles et familiales ne s'efface derrière des chiffres et des quotas dont la pratique renvoie à des temps dramatiques. Des vies sont broyées par des lois qui changent selon l'opportunisme des politiques.
Pour rendre un peu de dignité à ces vies, il y a en France toute une chaîne de solidarité dans les écoles, menée par Réseau éducation sans frontière, la Cimade, des avocats du Gisti qui se battent mais sont souvent démunis devant une cohorte de dispositifs juridiques. Il est difficile de se faire entendre par des préfets qui sont soumis à cette « obligation de résultat ». Et, fait nouveau qui donne une nouvelle dimension au scandale, les Français solidaires qui cachent les enfants et leurs parents sont aussi traqués, perquisitionnés et poursuivis en justice. Ceux qui ne supportent plus la violence de cette politique doivent s'engager à protéger les familles qu'ils côtoient, soutenir ces familles qui manquent souvent de moyens pour rémunérer un avocat, et pour ce faire prendre contact avec les associations.
Nous ne contestons pas que la mise en place d'une politique restrictive d'entrée sur le territoire puisse être acceptable et qu'elle dispose sans doute, même si certains d'entre nous le regrettent, d'une légitimité démocratique. Cependant les critères d'application de cette politique méritent d'être discutés, tout n'est pas permis.
On veut nous persuader que nous n'aurions plus besoin de « ceux-là » et nous ouvrons dans le même temps nos frontières à « d'autres » au nom de cette politique d'« immigration choisie » (plus blanche et jetable...). Pourtant, ils construisent tous notre identité commune, comme, avant eux, les parents d'origine étrangère de beaucoup de nos scientifiques, sportifs, musiciens, écrivains, cinéastes, ouvriers, maçons, artisans et commerçants, cadres et chefs d'entreprise, hommes politiques, parfois présidents, de l'Assemblée nationale, de région ou de la République, qui ont tous contribués à l'enrichissement de la France et, souvent, à écrire son histoire.
De ce pays où nous sommes nés, où nous n'avons pas eu à nous poser la question de « mériter » notre lieu de naissance et notre droit à notre nationalité. Notre France n'est pas celle de la suspicion, de la délation et de la xénophobie. Nous sommes persuadés que les pratiques actuelles sont indignes de notre pays et ne peuvent avoir été désirées par les électeurs. Le silence dans lequel tout s'accompli nous fait honte, il faut le rompre.
Valérie Lang, actrice ; Axel Kahn, généticien ; Charles Berling, acteur ; Laurent Cantet, cinéaste, pour Le Monde
⇒ Le rapport de la commission Attali suggère de relancer l’immigration
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