Suite à la décision début mars de la Première ministre (PQ) de retourner en élections, les citoyens canadiens résidant au Québec depuis au moins six mois voteront ce lundi 7 avril pour renouveler les 125 députés qui composent l'Assemblée nationale du Québec. Un scrutin qui n'est pas sans risques pour l'équipe sortante, qui dirigeait la "Belle Province" depuis l'automne 2012, avec un gouvernement minoritaire qui ne comptait que cinq députés de plus que les libéraux du PLQ. Résumé de cette campagne, et explication des différences entre la France et le Québec.
Début mars, le Parti québécois (PQ) avait le vent en poupe. Lorsqu'elle a pris la décision (attendue par les observateurs depuis des mois) de dissoudre l'Assemblée, Mme Marois se basait sur des sondages qui soit lui assuraient une victoire, soit lui attribuaient carrément la majorité absolue. Peut-être son équipe n'avait-elle pas examiné de près le dernier sondage Léger, qui ne lui donnait que 2% d'avance: une très mince avance, qui représentait un recul par rapport au même sondage réalisé en janvier.
Samedi peu après 19h, après une journée encore enneigée, le port de Québec (au loin au centre de la photo) était encore blanc.
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C'est sous un mois de mars considéré par MétéoMedia comme l'un des plus froids depuis 60 ans que s'est déroulée cette campagne. Cinquante ans après l'interprétation par la chanteuse et comédienne Monique Leyrac, de Mon Pays (de Gilles Vignault), ce détail imprévu aurait pu rendre la campagne électorale fade.
C'était sans compter sur l'entrée en scène de PKP...
Le 7 mars, l'animatrice de télévision Julie Snyder postait sur Facebook un message remerciant notamment les médias d'avoir "respecté l'aspect privé" de sa séparation d'avec Pierre-Karl Péladeau, le magnat des médias au Québec, que la Première ministre Pauline Marois avait nommé en avril 2013 à la tête de Hydro-Québec.
L'affichage ne respecte pas toujours les règlements municipaux, comme en atteste cette affiche de Pauline Marois, prise le samedi 8 mars à Montréal.
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Deux jours plus tard, Pauline Marois sortait de sa manche son candidat-vedette: le poing levé, PKP annonçait qu'il se présentait à Saint-Jérôme (dans les Laurentides) et souhaitait "faire du Québec un pays". Aussitôt, c'était l'aubaine pour les libéraux du PLQ: leur chef Philippe Couillard allait reprendre la déclaration du patron des médias à son avantage, même si, deux semaines plus tard, M. Couillard reconnaissait que le Québec avait les moyens d'une indépendance, cette déclaration étant passée relativement aux oubliettes des journaux télévisés. Car, depuis le 15 mars, PQ et PLQ faisaient jeu égal dans les sondages.
À la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), on s'inquiétait dans un communiqué daté du 10 mars, du "mélange de l'État et de la presse", estimé "explosif".
En France, une telle situation a déjà existé (avec la famille Hersant, par exemple), et existe de nos jours (avec la famille Dassault notamment). Député de 1956 à 1958, puis trente ans plus tard de 1986 à 1988, Robert Hersant est le fondateur en 1950 de L'Auto-Journal (passé en 2006 entre les mains du groupe Berlusconi), journal à la base de la création de la Socpresse (passée depuis 2004 dans les mains du marchand d'armes et néanmoins sénateur Serge Dassault) et du groupe France-Antilles, devenu Groupe Hersant Médias (GHM), détenu depuis 1985 par l'un de ses fils Philippe Hersant, pour contourner les lois françaises sur le monopole de la presse.
Mais les nord-américains semblent plus pointilleux que les Français (voire les Italiens avec Berlusconi) sur le risque réel ou supposé de mélange des genres.
Les médias du groupe de M. Péladeau n'ont cependant pas modifié leur tonalité habituelle. Dès le 11 mars, une vidéo satirique partagée plus de 5.000 fois sur Facebook a tourné en dérision l'ensemble des "ténors" de la politique québécoise. Par la suite, l'agence QMI, le Journal de Montréal, le Journal de Québec et la chaîne privée d'information en continu LCN (équivalent de LCI en France à bien des égards) n'ont pas "roulé" pour le PQ, bien qu'ils appartiennent tous au groupe Québécor, détenu par PKP.
Ce dimanche, le Journal de Québec a même précisé qu'il n'influencerait pas ses lecteurs, à 24h du vote à l'urne. Le 3 avril, La Presse avait donné trois raisons de voter PLQ, et le 5 avril Le Devoir suggérait fortement de voter PQ.
Pas représenté à l'Assemblée, Option nationale est de ces partis ignorés des médias audiovisuels nationaux. Affiche de la candidate de Taschereau (dans le faubourg Saint-Jean à Québec), où la députée sortante est Agnès Maltais, ministre PQ en charge du Travail, de l'Emploi, et de la Solidarité, seule élue PQ de Québec dans l'Assemblée sortante.
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Le rôle des médias. L'instance régulatrice des médias au Québec est le CRTC. Il n'a pas du tout les mêmes pouvoirs que le CSA en France, qui vient par exemple de mettre en garde une radio pour avoir diffusé des résultats partiels du second tour des municipales à Béziers (Hérault) avant l'heure de fermeture des derniers bureaux de vote français. Par conséquent, les médias audiovisuels -publics comme privés- ont tendance à donner la parole soit aux deux principaux partis (PQ et PLQ), soit au quatre partis représentés à l'Assemblée sortante (PQ, PLQ, CAQ, QS, ainsi répartis au 5 mars dernier).
Il faut donc aller dans les journaux papier ou sur leurs sites Internet, pour avoir par exemple la position de ON (Option Nationale) sur l'indépendance. Pourtant, ce parti à fait le tour du Québec, comme les autres. Mais Sol Zanetti, son nouveau chef, précise dans Le Devoir qu'il a eu "une très belle couverture" de la part des médias locaux, faute de passer à la télé ou d'être convié aux deux débats organisés avec les responsables de partis. Du Parti Nul au Parti du Pot, en passant par le Parti marxiste-léniniste du Québec, dix-neuf partis politiques sont présentement reconnus par le Directeur général des élections au Québec (DGEQ) et habilités à participer à la campagne provinciale.
Le rôle du DGEQ. Comme pour les élections municipales, c'est le Directeur général des élections (DGEQ) qui gère et organise les élections provinciales. Mon épouse et moi, par exemple, qui n'avons pas le droit de vote, avons reçu toutes les informations à notre adresse (sur ce modèle) mais sans aucun nom d'électeur connu à cette adresse sur la colonne de gauche. Si nous avions été habilités à voter, cela nous aurait aidé dans les démarches d'inscription de dernière minute. Puis nous avons reçu en début de semaine dernière la liste des candidats présents sur notre circonscription, l'adresse de notre bureau de vote si nous avions le droit de vote, et les horaires d'ouverture.
Qui vote? Pour avoir la qualité d'électeur, il faut être majeur, Canadien, résider au Québec depuis au moins six mois, et ne pas être privé du droit de vote. Pour les étudiants, les conditions de domicile sont précisées sur ce document du DGEQ daté du 22 mars 2014. Pour les électeurs se trouvant hors du Québec, la durée de vie au Québec est portée à douze mois avant le départ du Québec. Sur les huit millions d'habitants du Québec, six millions environ ont la qualité d'électeur: 75% de la population a donc le droit de vote. Par comparaison, la France, qui compte huit fois plus d'habitants (65,8 millions au 1er janvier 2014), n'a que 67% d'électeurs (44,1 millions en 2013).
Quand voter? Les bureaux de vote seront ouverts lundi 7 avril de 9h30 à 20h. L'article 335 de la loi électorale prévoit que l'employé peut prendre quatre heures consécutives pour aller voter.
Le vote par anticipation était possible entre le 28 mars et le 3 avril. Selon un communiqué du DGEQ, 1.153.058 électeurs avaient voté, représentant 19,27% du corps électoral: une sérieuse augmentation de la participation au vote par anticipation, qui était de 16,61% lors des élections de septembre 2012, déclenchées par la crise étudiante ("Printemps érable", qui s'était étendue jusqu'à Paris).
Ainsi, ce dimanche 6 avril, le DGEQ a publié un communiqué indiquant que "près de cinq millions d'électrices et d'électeurs" sont convoqués aux urnes lundi.
Québec solidaire a décliné son slogan sur plusieurs thèmes, dont l'écologie. Ici à Québéc, à proximité des bureaux de CBC-Radio Canada.
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Les slogans. Les slogans des quatre principaux partis n'ont pas été ressentis par les concurrents ou les médias de la même façon.
Le PQ (Parti québécois, social-démocrate proche du PS français), avec une Pauline Marois "déterminée", n'a pas prêté à la critique quant à son accroche de campagne. Quelques détournements ont été relevés, notamment une vingtaine de jours après le début de la campagne, "déterminée" se transformant en "terminée".
Le PLQ (Parti libéral du Québec, fédéraliste au pouvoir d'avril 2003 à septembre 2012) a annoncé vouloir s'occuper "des vraies affaires". Dès le 4 mars peu avant midi, un compte Twitter parodique se lançait (@VraiesAff), et les libéraux ont eu droit à des révélations sur l'argent légalement placé voici vingt ans par M. Couillard à Jersey, alors qu'il n'était provisoirement pas résident canadien, ainsi qu'à une demande d'enquête de la part du PQ, samedi 5 avril, relative à une perquisition remontant à l'été dernier...
La CAQ (Coalition Avenir Québec, récemment créée par le co-fondateur de la compagnie aérienne Air Transat) a joué sur le nom de son chef pour utiliser un slogan autocentré et pas très francophone.
QS (Québec Solidaire, assez proche dans les idéaux du PG français) a pour sa part choisi Je vote avec ma tête, slogan décliné sous les angles écologique, solidaire, et souverainiste.
Les axes de la campagne. Ils ont été peu à peu chamboulés au gré de l'actualité.
La Première ministre sortante se flattait de son bilan, mais fut contredite sur l'emploi par Philippe Couillard. Qui avait raison? Les deux, chacun à sa façon. Là où Mme Marois disait qu'il y avait plus de monde au travail que jamais, M. Couillard parlait de la baisse du nombre d'emplois à temps plein. L'équivalent de la guerre que se livrent en France les partis politiques à chaque fin de mois lorsque l'un d'eux prend les chiffres de Pôle emploi catégorie A et qu'un autre prend les mêmes chiffres de Pôle emploi, mais des catégories A, B, et C, toutes trois concernées par l'obligation de recherche active d'emploi.
Malmenée sur le tournant apparemment indépendantiste que prenait la campagne dès l'annonce de la candidature de Pierre-Karl Péladeau, Mme Marois fut contrainte de "rassurer" une partie de son électorat, affirmant en substance que la souveraineté du Québec n'était pas à l'ordre du jour tant que les Québécois n'y étaient pas prêts. Du coup, Françoise David, co-porte parole de Québec Solidaire, sautait sur l'occasion pour dire aux électeurs que s'ils voulaient l'indépendance, ils devaient voter pour son parti.
Le chef du PLQ et le chef de la CAQ ont tous deux tenté de recentrer le débat sur l'économie. La différence majeure entre les deux, c'est que François Legault (CAQ) ne craignait pas de dire lors de certains déplacements qu'il n'était pas là pour faire plaisir au maire, comme il le fit par exemple à Québec.
Mais, si le discours de M. Couillard était plus "rond" sur le plan économique, ce dernier se montrait plus offensif sur les questions de souveraineté ou sur les attaques dont il était victime. Ce qui fit dire à certains observateurs habitués des campagnes électorales que celle-ci était particulièrement "violente". Même Lucien Bouchard, 75 ans, Premier ministre (PQ) de 1996 à 2001, a estimé qu'elle était la plus dure de l'histoire. À la suivre au quotidien par le biais des médias traditionnels et des réseaux sociaux, j'avoue que je n'y ai pas réellement vu de différence avec une campagne nationale française. À croire que, sur ce point-là aussi, les nord-américains sont bien plus frileux (ou courtois) que les européens.
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Samedi 5 avril était diffusé le dernier sondage Léger, commandé par l'agence QMI, du groupe Québécor de PKP (fiabilité à 3,2 points).
Compte-tenu du mode de scrutin (uninominal à un tour), il ne permet pas de prédire que le parti gagnant jouira de la majorité à l'Assemblée.
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Les derniers sondages, rendus publics samedi, donnaient une confortable avance aux libéraux, pas certains néanmoins, en cas de victoire, d'avoir une majorité à l'Assemblée. D'autant qu'il y avait encore 25% d'indécis, et que le vote par anticipation, qui représente un cinquième du total des électeurs inscrits ne sera évidemment dépouillé que lundi.
Invité voici près de quarante ans, le 6 novembre 1976, sur la première chaîne française par Maritie et Gilbert Carpentier (Numéro 1), Gilles Vigneault (toujours lui...) disait avec humour, en préambule à "I went to the Market", que "pour mieux régler nos problèmes, on chante. Puis après ça on vote libéral comme tout le monde".
Texte et photos: Fabien Abitbol
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