"Ça a beaucoup trop duré, là. Soixante-quinze jours, c'est beaucoup trop long". Ainsi s'exprimait samedi 2 novembre Richard Bergeron, qui se considère comme le principal opposant à Denis Coderre pour la course à la mairie de Montréal. Au Québec, les élections municipales ont lieu ce dimanche 3 novembre, jour du retour à l'heure normale. L'occasion de dresser un panorama de ce scrutin, très différent de ce qui se passe en France.
District de Cap aux Diamants, à Québec (15.000 électeurs): la conseillère sortante, de l'opposition municipale, se représente (photo F. A.)
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Déjà, donc, en France, faire campagne la veille d'un scrutin, ça n'est pas possible: il y a le principe du silence des candidats (et de leurs équipes de campagne) depuis le vendredi soir minuit, ou le vendredi 00h, pour la zone Amérique-Antilles. Quant à la durée de la campagne électorale, si au Québec elle est de 75 jours, en France dans le cas des municipales elle était de 13 jours en 2008 (du 25 février au 8 mars) pour la campagne officielle, mais au total d'une année pour les règles de financement et de dépenses. Ce qui apparaît ici comme "beaucoup trop long" est en fait un condensé des tractations qui se nouent depuis de longs mois en France en vue des élections municipales de mars 2014.
Les municipales au Québec ont une double particularité, qui peut paraître normale aux yeux d'un Français: elles se déroulent "à date fixe" (tous les quatre ans) et un dimanche. La loi instaurant ces élections quadriennales le premier dimanche de novembre exempte toutefois notamment les réserves indiennes de scrutin en son article 1.
Au Québec, les autres élections n'ont lieu ni un dimanche ni à date fixe, ce qui ces derniers temps fait ressurgir les débats sur l'abstentionnisme et l'instabilité politique. Le gouvernement Marois (minoritaire) a du reste déposé peu après son arrivée un projet de loi instaurant des élections à date fixe, mais ce projet de loi a été sanctionné sept mois plus tard.
Afin de réduire l'abstention, la possibilité est donnée aux électeurs de voter par anticipation le dimanche précédent, voire certains jours dans la semaine pour quelques municipalités. Autrefois réservé à certains (notamment le personnel qui tient les bureaux de vote), le vote par anticipation a récemment été ouvert à tous. Ainsi, aux élections générales provinciales de 2012, plus de 900.000 électeurs avaient voté avant la date. Pour ces élections municipales, on annonçait dimanche dernier des taux de participation assez variés. La palme semble revenir à La Tuque (deuxième municipalité du Québec en superficie, avec ses 28.000 kilomètres carrés pour 12.000 habitants, en Mauricie), avec un taux de 19% affiché par le service communication de la ville. À Québec, la Capitale nationale, les taux de participation par district et par arrondissement sont affichés ici, ce qui fait une moyenne de l'ordre de 14,5%. À Montréal toutefois, il est resté inférieur à 6% (5,58%), soit une très faible progression par rapport à 2009 (5,37%). Capitale économique du Québec, Montréal regroupe à elle seule un québécois sur quatre.
Le rôle prédominant du DGE
Alors qu'en France les pouvoirs sont partagés entre le ministère de l'Intérieur, les communes, et les différentes instances administratives ou judiciaires en cas d'irrégularité ou contestation au Québec tout est concentré entre les mains du DGE (ou DGEQ), le Directeur général des élections (du Québec). À la fois institution et personne qui la dirige (depuis le 1er janvier 2011, c'est M. Jacques Drouin, nommé par l'Assemblée nationale), le DGE existe depuis 1945. Comme on peut le voir ici, le rôle du DGE est immense, tant pour les élections provinciales que municipales ou scolaires. Par exemple, vendredi 1er novembre, devant le succès du vote par anticipation, le DGE a décidé que, sous certaines conditions, les scrutateurs pourraient commencer à dépouiller dès 18h tandis que les électeurs peuvent, comme toujours, voter jusqu'à 20h. Ce "dépouillement hâtif" concerne les bureaux de vote ayant enregistré au moins 300 bulletins à l'occasion du vote par anticipation.
Parmi les pouvoirs du DGE, ceux de poursuites comme d'annonce des sanctions. Le DGE a également mis à disposition des citoyens une ligne dénonciation concernant le financement des partis politiques.
Cette concentration des pouvoirs aux mains du DGE est très intéressante et évite l'éparpillement lorsque le citoyen ou le candidat recherche une information. Alors que le Québec est très décentralisé, que les maires ont un pouvoir bien plus élargi que les maires de France (allant jusqu'à la santé publique), l'existence de ce "gendarme" a quelque chose à la fois d'étrange et rassurant en Amérique du Nord.
Partis municipaux et candidats indépendants
Un mois avant la clôture des candidatures aux municipales, le DGE a dressé un bilan des partis politiques municipaux. 153 partis municipaux sont autorisés au Québec (contre 118 au 31 décembre 2012). Les partis provinciaux, eux, étaient au nombre de 20 au 31 décembre 2012, selon un communiqué publié quelques jours plus tard. Contrairement à ce qui se passe en France, ici c'est uniquement sous une étiquette municipale (ou sous la forme de candidat indépendant) que l'on se présente à une élection municipale. À titre d'exemple, le libéral Denis Coderre, ancien député fédéral du Canada et ancien ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada, brigue la mairie de Montréal sous l'étiquette Équipe Denis Coderre. De même, à Québec, Équipe Labeaume est le nom de la liste du maire sortant Régis Labeaume, qui avait pris la mairie à l'été 2007, lors du décès inopiné de la mairesse Andrée P. Boucher. A contrario, dans la ville de Magog (25.000 habitants, en Estrie), Robert Mabit, un Français d'origine nantaise, immigré au Québec en 1968, se présente sous l'étiquette "Magog Action". M. Mabit a joui d'une assez large publicité à l'émission humoristique hebdomadaire du service public de télévision Infoman, plaisanterie qu'il a prise avec humour.
Le nécessaire est fait pour faciliter la vie des handicapés (photo Jacques Paquet, courtoisie DGEQ)
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C'est ainsi que, avec huit fois moins d'habitants que la France, le Québec n'a que... deux fois moins de partis politiques. Des partis qui tournent, comme en France, avec une large part de financement public, y compris pour les partis locaux. En 2012, 66% des recettes des partis municipaux provenaient des municipalités, selon les calculs du DGE, et près de 29% des contributions recueillies. En 2012, seuls 15% des partis politiques affichaient une comptabilité négative. Les partis municipaux affichaient globalement 4,1M$ de recettes (2,87M€) pour 3,8M$ de dépenses (2,66M€), et avaient 1,3M$ (910.000€) d'actifs nets. Désormais, le financement des partis politiques est très encadré. Les récents scandales de corruption et collusion, sur lesquels la "Commission Charbonneau" travaille encore, et qui ont entre autres mené en juin dernier à des arrestations à Montréal, y sont sans doute pour quelque chose.
Désormais, un citoyen ne peut pas donner plus de 300$ par an à un parti municipal ou à un candidat indépendant (ouvrant droit à un retour d'impôt de 155$ maximum sous conditions). Et un candidat dans une ville de plus de cinq mille habitants ne peut pas dépenser plus de 3.780$ (soit 2.650€) s'il brigue un poste de maire ou la moitié pour un poste de conseiller; cette somme est augmentée au prorata du nombre d'électeurs. En France, le plafonnement des dépenses est aussi au prorata du nombre d'habitants. Mais, comme l'explique ce mémento (page 40), il varie de 1,22€ pour une commune de moins de 15.000 habitants à 0,53€ pour une ville de plus de 250.000 habitants. En clair, un candidat français dans une commune de dix mille habitants peut dépenser jusqu'à 12.200€, le même dans une commune de trois cent mille habitants peut dépenser 159.000€.
Au Québec, où le plafond autorisé des dépenses est très bas, la possibilité de se faire rembourser les dépenses est plus restreinte qu'en France. En France, pour les élections locales, cette circulaire de la CNCCFP rappelle que 5% des voix sont nécessaires. Au Québec, c'est... 15% qu'il convient d'obtenir pour pouvoir se faire rembourser à 70% les dépenses engagées.
C'est ainsi que, alors qu'en France se présentent généralement quatre à quinze candidats, au Québec une grosse moitié des communes a deux candidats, une petite moitié n'en a qu'un. Quelques villes font exception. Montréal, bien entendu, avec ses onze prétendants (les médias ne retiennent que les quatre "principaux" candidats, dont une femme que personne n'attendait, Mélanie Joly), mais aussi Laval et Saint-Jean sur Richelieu, toutes deux à neuf candidats. Ces trois villes ont été évoquées en long et en large au cours des travaux de la Commission Charbonneau. Même la Vieille capitale, Québec, a cinq candidats au poste de maire, mais les médias ne parlent que des deux principaux, peut-être parce que seuls ces deux-là présentent des colistiers dans tous les districts. Car ici, il n'est pas nécessaire, lorsqu'on se présente, de chercher à avoir des élus partout. Ainsi, un citoyen le jour du vote peut-il choisir de conserver son maire sortant (ou de le changer) et d'élire localement un conseiller d'une autre étiquette. Car si en France "au premier tour on choisit, au second on élimine", au Québec il n'y a qu'un tour.
À Lac-Mégantic, il n'y a pas d'élection. La Loi nº57 prévoit en son article 17 le report des municipales en 2015, le scrutin suivant devant tout de même avoir lieu en 2017 lors du renouvellement général des maires. Le législateur a jugé bon, après la catastrophe ferroviaire de juillet dernier, qui a fait 47 morts et détruit le centre ville, de maintenir en place la mairesse et son équipe. L'opposition n'y a rien trouvé à redire.
Des élus sans élection
Dans les 185 municipalités de plus de 5.000 habitants (celles soumises aux règles sur le financement), qui regroupent 88% de la population du Québec, le DGE relève que seules 28% sont des candidatures féminines (35% dans les partis, 24% parmi les indépendants). 1.728 candidates et candidats sont présentés par un parti politique (contre 1767 en 2009) et 4.089 candidatures indépendantes ont été recensées (3.616 il y a quatre ans). À Montréal et Laval, deux des villes les plus citées dans les affaires de collusion, la hausse de candidatures par rapport à 2009 a été respectivement de +21% et +133%. Plus de la moitié des candidats (55%) ont entre 50 et 70 ans, 30% entre 35 et 50 ans, et 10% ont moins de 35 ans. Seuls six candidats ont moins de vingt ans dans les municipalités de plus de 5.000 habitants (l'âge légal étant de 18 ans). En octobre 2012, environ 5,9 millions de citoyens étaient inscrits sur les listes électorales du Québec.
Au total, les élections de ce premier dimanche de novembre concernent 1.103 communes. 510 maires sont déjà élus, faute d'opposant, contre 548 en 2009 (ils n'ont pas besoin de faire campagne, les électeurs n'ont pas besoin de voter). Sur les 6.950 postes de conseillers municipaux à pourvoir, 3.796 sont déjà élus sans opposition, contre 3.984 en 2009. Il y a donc un nombre total de postes à pourvoir de 8.053 maires ou conseillers, mais déjà 4.306 d'entre-eux (soit 53,5%) sont élus.
En 2009, la participation aux municipales a été de 45%. Elle est le principal enjeu de ce scrutin, à l'échelon du Québec.
Fabien Abitbol
NB: je n'ai pas l'intention de donner les résultats des élections, qui pourront être retrouvés ici. Je tenais juste à mettre en perspective ce premier scrutin municipal après le resserrement du financement électoral, et à en faire un comparatif avec la France, qui modifie pour mars 2014 certaines règles électorales.
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