Le Sénat préfère l'amende à la coupure, pour davantage d'égalité
La Commission des affaires économiques du Sénat est en passe de modifier la loi Hadopi (plus connue sous le terme de « riposte graduée »), alors même que le gouvernement a décrété l’urgence à cet égard. Un nouveau camouflet en perspective à l’endroit de la ministre de la Culture, Mme Christine Albanel, et du président de la République. Mais un bon point dans le sens de ce qu’a décidé la Commission européenne il y a un mois, alors que la présidence tournante de l’Europe est présentement assurée par… la France.
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Dans quelques heures, le gouvernement ayant décrété l'urgence (sans doute pour répliquer à la décision de la Commission européenne de septembre), la ministre de la Culture va avoir à ferrailler avec Bruneau Retailleau, sénateur (divers droite) de Vendée, inconnu du grand public, mais féru de nouvelles technologies et qui compte « jouer » sur des points assez surprenants en utilisant des arguments non dénués de bon sens
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C’était à prévoir depuis le 24 et officiel depuis le 27 : la loi Hadopi passera en urgence. Ce qui l’était moins, c’est que le Sénat préfèrerait l’amende à la coupure de la fourniture d’Internet dans le cadre de la riposte graduée. Cette mesure sera « plus efficiente et plus juste », selon le sénateur vendéen Bruno Retailleau, secrétaire de la commission économique, qui avait déjà critiqué le texte voici plus de dix jours.
Ce proche de Philippe de Villiers est notamment membre de la Commission du dividende numérique, du groupe d'études Nouvelles technologies, du groupe Médias et société, et du groupe d'études poste et télécommunications. Il sait donc a priori de quoi il parle, que l'on aime ou pas ses opinions politiques ; tout comme M. Hartuis en matière de finances (et ce depuis plus de vingt ans) ou M. Séguin en matière de Santé depuis plus de quinze ans. Certains hommes politiques font de ce qu'on leur impose une spécialité, ou l'inverse ; et il est difficile de les contredire sur tout. Le « hic » est que Bruno Retailleau est assez jeune en politique (sur le plan national) et que son interview aux Echos il y a une dizaine de jours est quasiment passée inaperçue…
Rapporteur pour avis du projet de loi Création et Internet auprès de la Commission des affaires économiques, il avait donc déclaré aux Echos trouver ce texte « déséquilibré, c'est-à-dire répressif sans contrepartie pour le consommateur » et souhaité revenir à l’esprit du texte proposé par Denis Olivennes, à l'origine du projet de loi » (lire le rapport de mission ici). Le voilà donc qui joint la parole aux actes. Reste à savoir s’il sera suivi. Voilà pour le premier camouflet.
La commission ne s’arrête pas là et souhaite préserver le « potentiel d’Internet comme gisement de croissance pour la France ». Par exemple « en écartant tout filtrage des réseaux, très difficile et coûteux à mettre en œuvre, intrusif et d’une efficacité très discutable ». Un discours qui détonne avec celui du ministère, où filtrage et efficacité vont de pair.
Non au fichier de trop, oui à l'égalité entre citoyens
Cerise sur le gâteau, les sénateurs menés par le Chouan Retailleau entendent s’arranger au mieux entre la protection des droits de propriété intellectuelle et celle de la vie privée. Chaque élément de leur travail une fine critique contre le projet Création et Internet : « amélioration des droits de la défense dans la procédure initiée par l’HADOPI à l’encontre d’un abonné ; meilleure caractérisation des moyens de sécurisation de l’accès permettant à l’abonné de s’exonérer de sa responsabilité ; surtout, afin de sécuriser juridiquement la riposte graduée, dont la sanction ultime (suspension de l’abonnement Internet) rompt l’égalité entre citoyens (certains, en zones non dégroupées, pouvant se trouver privés de téléphone du fait de la coupure d’Internet), et d’éviter la création d’un fichier des internautes suspendus (interdits de réabonnement), la commission des affaires économiques propose de remplacer la coupure d’accès par une amende ».
L’amende avait été mise en avant par certains fournisseurs et opérateurs lors des débats préparatoires à l’examen du projet de loi. Mais, pour la Commission des affaires économiques, une telle amende « administrative » s’appliquerait sans discrimination et aurait pour principal mérite de « laisser aux Français l’accès à la "commodité essentielle" qu’est le haut débit ». L’amende - dont on ne connaît bien évidemment pas le montant à l’avance - serait rétrocédée aux auteurs et artistes interprètes lésés par un putatif piratage… ce qui ne manquera pas de poser des problèmes de répartition. Aussi ne serait-il pas étonnant que les sénateurs se mettent d’accord sur l’amende de 1e classe à 11 €, la plus basse qui soit sur le marché (l’équivalent d’un stationnement impayé).
Certes, la Commission des affaires économiques ne décide pas de tout, et le « bébé » va être refilé en urgence à la Commission qui chapeaute l’ensemble du texte « Création et Internet » (la Commission des Affaires culturelles). Mais le rapport Retailleau ne manquera pas de faire parler de lui. Surtout dans un Sénat « rajeuni » par les dernières élections (la moyenne d’âge est passée de 64 à 62 ans), où ce sénateur non-inscrit n’aura que quarante-huit ans le mois prochain (il a été élu à 44 ans, neuf ans après l’âge légal, en 2004).
Au total, 27 amendements de la commission des affaires économiques vont s’ajouter à une cinquantaine déjà adoptés par celle des Affaires culturelles. Les débats débutent jeudi au Sénat et Bruno Retailleau, Choletais de naissance, vendéen d’adoption (il était à la tête de Alouette FM, la radio de Philippe de Villiers, en 1985) devrait intervenir avant le vote du texte. On imagine l’ambiance sur les bancs du gouvernement…
F. A., photo : Sénat
⇒ Le rapport sur le site du Sénat. L’urgence ayant été déclarée, après l’examen au Sénat à compter du 29 octobre, une autre lecture sera faite à l’Assemblée nationale. En cas de désaccord, une commission mixte paritaire (CMP, composée de députés et sénateurs) devra trancher.
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