Diriger l'audiovisuel extérieur de l'Hexagone en étant la compagne du chef de la diplomatie provoque le débat
La reine Christine à la tête de France Monde. La nouvelle n'en finit pas de faire jaser. Christine Ockrent a été nommée mercredi directrice générale de la future holding qui réunira Radio France Internationale (RFI), TV5 et France 24 - Alain de Pouzhilac ayant été désigné président. Or elle est la compagne du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. « Que fera-t-elle lorsqu'il faudra rendre compte d'une visite du ministre à l'étranger ? On est en pleine république bananière », tempête Carole Petit, représentante du Syndicat national des journalistes (SNJ) pour l'audiovisuel public.
Christine Ockrent balaie la crainte du conflit d'intérêt. « Cela fait trente-cinq ans que je suis journaliste. J'ai prouvé tout au long de mon parcours professionnel mon indépendance et mes compétences. J'aime à penser que le président m'a choisie pour cette raison », répond-elle au Temps. « On ne remet pas en cause ses capacités, répond le SNJ, c'est une question de crédibilité. » Un argument repris par la CFDT et la Société des journalistes de RFI. Pour le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, le fait que la future holding dépende de Matignon et non du Quai d'Orsay évite tout malentendu. (Il suffirait de faire passer la holding sous cette direction pour rendre cette idée juridiquement possible, note du ouaibemaître)
« Jusqu'à dimanche, j'étais responsable du seul magazine politique hebdomadaire de France 3, en lien direct avec l'information politique. On ne m'a jamais reproché le moindre manquement », précise encore la journaliste vedette. En septembre dernier, cependant, la direction de France 3 a regretté que la dame ait animé une conférence à l'université d'été du Medef, le mouvement des entreprises de France - un « ménage » comme on dit dans le jargon des médias. En décembre, c'est le séjour du couple Ockrent-Kouchner à Charm el-Cheikh, là où le duo Sarkozy-Bruni passait justement ses vacances, qui avait suscité un certain émoi. (là aussi, il y a polémique sur la présence en Egypte de Mme Ockrent, du moins sur la partie publique du voyage, note du ouaibemaître)
Vitrine pour l'Hexagone
Le président s'est énormément investi sur le dossier de l'audiovisuel extérieur, qu'il a qualifié d'« enjeu majeur pour l'influence de la France et la diffusion de sa langue ». Une vitrine, dès lors en lien direct avec les agissements du ministre des Affaires étrangères. « On peut faire confiance aux journalistes de France Monde pour traiter l'information de manière objective. Et à Christine Ockrent pour ne pas entraver leur travail », tempère Frédéric Maillard, président du collectif Démocratie et Communication. « Cette nomination est tout à fait logique, Christine Ockrent n'a jamais fait autre chose dans sa carrière que de défendre les intérêts du pouvoir politique ou économique », dénonce de son côté Pierre Carles, auteur du célèbre documentaire pamphlet sur la connivence entre les dirigeants et les médias Pas vu pas pris.
Lorsque Dominique Strauss-Kahn était devenu ministre de l'Economie en 1997, Anne Sinclair avait quitté 7 sur 7, l'émission dominicale qu'elle animait sur TF 1. Béatrice Schönberg, elle, avait renoncé à la présentation du Journal télévisé (JT) de France 2 pendant la dernière campagne présidentielle, étant l'épouse de Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'Emploi, de la cohésion sociale et du logement. Marie Drucker, compagne de François Baroin, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire de mars à mai 2007, avait également abandonné temporairement Soir 3.
Christine Ockrent refuse la comparaison : « Je sais penser toute seule. J'appartiens à cette génération de femmes qui se sont battues pour cela. J'ai été la première à présenter le JT, la deuxième à diriger L'Express... J'attends le moment où l'on parlera de « l'homme de » et non plus seulement de « la femme de ». J'attends le moment où l'on demandera à Monsieur de démissionner.»
« C'est un faux débat, assure Carole Petit. Cela n'a rien à voir avec le sexisme. Les questions seraient identiques si l'époux de Michèle Alliot-Marie était journaliste et nommé à la direction d'une chaîne de télévision française. » La polémique est d'autant plus virulente que l'ère Sarkozy a apporté une certaine confusion des genres. Les intrusions de l'Elysée dans la sphère médiatique semblent se multiplier, tandis que les journalistes eux-mêmes admettent une certaine complaisance, tournant parfois à l'autocensure.
Caroline Stevan, pour Le Temps du 22 février, photo CBC Canada
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⇒ Depuis 1987 et la privatisation de TF1, le capital de TV5 et de TV5 Monde est approximativement constitué de 47,5 % de France Télévisions, 12,5 % de ARTE France, 11 % de la TSR, 11 % de la RTBF, 11,11 % du Consortium Télévisions Canada Québec (lui-même constitué de Télévision de Radio-Canada à 60 % et de Télé-Québec à 40 %), 6,6 % de l'INA, moins de 0,1 % à Jean-François Bonnemain, moins de 0,1 % à Thierry Bert et moins de 0,1 % à Patrice Duhamel. Si, par France Télévisions et Arte France, la France y est largement majoritaire, elle ne peut tout de même pas se faire des ennemis… parmi les fournisseurs de programmes, collaborateurs financiers et diffuseurs !
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