Nicolas Sarkozy est devenu mercredi à 52 ans le sixième président de la Ve République - et le premier dirigeant français d'origine immigrée élu au suffrage universel direct.
Ce descendant de hobereaux hongrois et de juifs de Salonique revendique ses origines étrangères bien qu'il soit né à Paris le 28 janvier 1955 et n'ait jamais quitté les beaux quartiers.
« Fils et petit-fils d'immigré, la France est ma patrie. Après avoir tant reçu d'elle, je veux lui donner à mon tour », déclare-t-il ainsi dans son dernier livre, « Ensemble ».
Dès septembre 2006, Nicolas Sarkozy y croyait, contrairement à ce qu'il laissait entendre jusqu'au bout aux électeurs, se présentant comme un « challenger ». Photo AFP
Pour sa porte-parole, Rachida Dati, elle-même fille d'immigrés, cette origine est une des clefs du parcours de Nicolas Sarkozy : « Il a la rage de faire », dit-elle.
Ses parents, divorcés en 1960, ses frères, Guillaume le chef d'entreprise et François le médecin, et ses amis, conservent le souvenir d'un adolescent complexé par sa petite taille, coléreux et bagarreur.
Une hargne mise au service de la politique, passion précoce qui semble avoir toujours eu un goût de revanche pour cet avocat boulimique de pouvoir. Elle lui vaut aujourd'hui une popularité certaine mais aussi des haines tenaces, après 33 ans de combats politiques dont il arbore les « cicatrices » comme des trophées.
En 1975, un an après avoir poussé la porte de la permanence de l'UDR, parti gaulliste ancêtre du RPR et de l'UMP, à Neuilly, il prononce son premier grand discours devant les assises du mouvement et se fait remarquer par un certain Jacques Chirac.
Sous l'étudiant en droit de 20 ans perce l'orateur de talent qui arrachera huit ans plus tard, à la barbe d'un de ses mentors, Charles Pasqua, la mairie de Neuilly-sur-Seine.
Il sera constamment réélu ensuite, de même qu'au siège de député des Hauts-de-Seine, qu'il remportera en juin 1988.
Soutien à Balladur
Protégé par le maire de Paris et patron du RPR Jacques Chirac, il devient secrétaire général adjoint de ce parti en 1990. Il fait alors partie des intimes des Chirac.
Trois ans plus tard, ministre du Budget d'Edouard Balladur à 38 ans, il choisit pourtant de soutenir activement les ambitions élyséennes de ce dernier. Ni Jacques Chirac, élu en 1995, ni les « chiraquiens » ne le lui pardonneront.
Après la victoire de la gauche aux législatives de 1997, « N le maudit » assure néanmoins la présidence du RPR, le temps d'un échec cuisant aux élections européennes de 1999.
Fin 2001, Jacques Chirac, qui brigue un second mandat, sollicite son aide. Il joue un rôle de premier plan dans la campagne du chef de l'Etat.
Mais, nouvelle déconvenue : réélu en 2002, Jacques Chirac lui préfère Jean-Pierre Raffarin pour occuper Matignon, de même qu'il lui préférera en juin 2005 Dominique de Villepin.
Nicolas Sarkozy doit se contenter du ministère de l'Intérieur, dont il fait, à l'exception d'un passage de huit mois au ministère de l'Economie et d'un intermède de six mois sans poste ministériel, une base de conquête du pouvoir.
Omniprésent dans les médias, il est sur tous les fronts sans que les résultats soient toujours au rendez-vous. En juillet 2003, il essuie ainsi un revers cuisant avec le rejet d'un nouveau statut pour la Corse lors d'un référendum local. Fin 2004, il s'empare de l'UMP et détourne à son profit cette machine de guerre conçue par les « chiraquiens », dont il triple le nombre d'adhérents en deux ans.
« J’ai changé »
Ce nerveux qui se force à la sérénité paie de migraines et de sautes d'humeur une débauche d'énergie qui inquiète autant qu'elle fascine. Le goût du marketing politique de cet impatient qui n'avoue qu'une faiblesse, la « sensibilité », lui joue parfois des tours.
La médiatisation à l'américaine de sa vie privée a un effet boomerang, au printemps 2005, quand le couple qu'il forme avec sa seconde femme, Cécilia, traverse une crise qui l'ébranle.
Le 10 avril dernier, au détour d'un discours prononcé à Tours, il livre cette vision de la fonction de président de la République : « C'est sans doute la mise entre parenthèses de son bonheur personnel, de ses sentiments, de ses intérêts. »
Adepte d'un « parler vrai » qui confine au dérapage quand il promet de nettoyer une cité au « kärcher » ou de la débarrasser de sa « racaille », cet homme au tutoiement facile, qui aime s'entourer de « copains » venus de tous horizons mais a un « fonctionnement assez solitaire », selon un de ses proches, demeure un mystère pour les observateurs.
Est-il libéral et atlantiste, celui qui finira par reconnaître que la guerre américaine en Irak est une « faute » ? Est-il populiste, celui qui se présente en défenseur du « beau mot de travailleur » mais dit aussi parler au nom de la « France exaspérée (…) par la contestation de l'identité nationale, par une immigration non maîtrisée, par la fraude, par le gaspillage », qui est proche des milieux d'affaires, promet de « décomplexer la droite » et refondre le système social français ?
Pour François Miquet-Marty, de l'institut LH2, Nicolas Sarkozy, « défie l'étiquetage traditionnel » et apparaît plutôt comme un « pragmatique qui privilégie l'efficacité ».
« J'ai changé », jure Nicolas Sarkozy le 14 janvier 2007, lors de son investiture par l'UMP pour l'échéance présidentielle à laquelle il se prépare depuis des années. « En politique, je ne fais plus la guerre. Je ne cherche plus à vaincre. Je cherche à convaincre », explique dans « Ensemble », celui à qui Jacques Chirac a fini par promettre son soutien et son vote.
Elu le 6 mai avec 53,06 % des voix, Nicolas Sarkozy a réussi à accomplir « le choix d'une vie ».
© Emmanuel Jarry, pour l’agence Reuters
Dessins © Placide
MM. Yamgnane et Mitterrand au début des années 90 (D.R.)
Note : mon confrère Emmanuel Jarry écrit que Nicolas Sarkozy est le « premier dirigeant français d'origine immigrée élu au suffrage universel direct ». Je présume qu’il voulait écrire « président » et non pas « dirigeant ». Sinon, il convient de compter, entre autres, avec Kofi Yamgnane, élu conseiller municipal socialiste en 1983 à Saint-Koulitz (Finistère), l’année où M. Sarkozy devenait maire de Neuilly. Kofi Yamgnane a la particularité d’avoir acquis la nationalité française en 1975 (il est franco-togolais). Après avoir été Secrétaire d’Etat au début des années 90 (gouvernements Cresson et Rocard), ce Fabiusien « Breton d’après la marée noire » comme il se qualifiait lui-même en 1992, est devenu député de la République française en 1997 (près de dix ans avant de penser à la présidence du Togo…). On pouvait donc, de 1997 à 2002 entre autres, le considérer également comme un « dirigeant français d’origine immigrée élu au suffrage universel direct »…
Et j’en oublie sans doute (sans compter celles et ceux qui feront vraisemblablement leur entrée à l’Assemblée nationale en juin prochain).
Le blogue du vice-président du Conseil général du Finistère est ici. Son arbre à palabre a été lancé en décembre dernier.
F. A.
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