Un « remake » de 1996 contre les lois Sarkozy ?
Alors que sort demain mercredi en salles (dans le réseau MK2 notamment), un court-métrage collectif intitulé Laissez-les grandir ici !, « Libération » de ce mardi 6 mars consacre dans son édition papier plusieurs sujets (dont l’éditorial de Laurent Joffrin), aux cinéastes qui s’engagent auprès du Réseau éducation sans frontières (RESF). Mercredi dernier, en plein jour, une nouvelle rafle a eu lieu dans le 11e, dans le secteur Oberkampf/Saint-Maur…
Ouverture
Par Laurent JOFFRIN
Voilà un utile remake. A la tête du mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard il y a dix ans, les cinéastes français ont repris le sentier de la mobilisation. Au début de l'été dernier, un vaste mouvement de solidarité s'était déclenché en faveur des familles sans papiers dont les enfants étaient scolarisés, souvent depuis longtemps, dans les écoles françaises. Le ministre de l'Intérieur, tout occupé d'atteindre les objectifs d'expulsions qu'il s'est fixé, avait dépêché la maréchaussée jusque dans les classes pour traquer les enfants contrevenants. Soutenu, entre autres, par Libération, le mouvement dépassait le cercle habituel des militants associatifs pour englober des familles qu'animait un simple sentiment de voisinage et de solidarité. Embarrassé, Nicolas Sarkozy avait alors pondu une circulaire mal ficelée qui laissait planer sur tous ces gens le risque de l'arbitraire. Un effort a été fait et nombre de familles ont été régularisées. Mais d'autres, répondant pourtant aux mêmes critères, ont vu leur dossier rejeté.
Certes, il faut bien fixer une limite à l'entrée sur le territoire : tous les candidats, Besancenot mis à part, le reconnaissent. Mais le ministre de l'Intérieur admettra facilement que l'expulsion d'enfants ou de familles installées depuis plusieurs années sur le territoire n'est pas digne de la «démocratie irréprochable» qu'il appelle de ses voeux. Et, s'il voulait faire preuve de l'ouverture dont il se réclame, par exemple dans son discours d'entrée en campagne Hugo, Jaurès, etc. , il donnerait des consignes libérales à ses préfets. Le bon sens comme l'humanité le commandent.
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Des bobines contre des bobards
Par Gérard LEFORT, Didier PERON
C'est donc la seconde fois qu'un collectif de cinéastes se mobilise pour les sans-papiers et, en l'espèce, pour leurs enfants. A l'été 1996, la mobilisation se fit à chaud dans le feu des expulsions musclées (et à la hache) d'hommes, de femmes et d'enfants réfugiés dans l'église Saint-Bernard à Paris (XVIIIe arrondissement), au nom d'un très ancien droit d'asile ménagé par la religion catholique.
Les journaux télévisés diffusèrent les images chocs de quelques vedettes solidaires, dont Emmanuelle Béart, évacuées par les CRS. Dans la foulée, à l'initiative des réalisateurs Pascale Ferran et Arnaud Desplechin, en février 1997, pour protester contre les lois Debré visant à criminaliser ceux qui viennent en aide aux sans papiers, 66 cinéastes se déclarent « coupables d'avoir hébergé des étrangers en situation irrégulière sans les dénoncer ».
Délit. Ils demandent à être mis en examen et jugés pour ce délit. La même année, un film en faveur des sans-papiers fut projeté le 16 mai en sélection officielle au Festival de Cannes. Un seul plan de trois minutes (la Sénégalaise Madjiguène Cissé lisant un texte), coréalisé par un collectif anonyme mais cosigné symboliquement par 175 cinéastes. Cette mobilisation virulente et très médiatisée appelant à régulariser tous les sans-papiers qui le désiraient, a probablement contribué en partie à la défaite de la droite aux élections législatives de 1997. C'est sans doute ce retour de la gauche au pouvoir qui, pour un temps, a dispersé les énergies militantes. Pendant dix ans, il n'y a eu aucun équivalent d'action continue, sinon celle, plus interne aux intérêts propres de la profession, des intermittents du spectacle.
Que des acteurs comme Josiane Balasko ou Charles Berling se soient mobilisés à l'été 2006 contre les expulsions du gymnase de Cachan n'est peut-être pas étranger à ce retour des cinéastes sur la scène de la contestation. Le lancement de la pétition signée par plus de 350 personnes du cinéma français, et la distribution massive, à partir de demain, de 360 copies du film Laissez-les grandir ici !, a une double valeur d'anniversaire et de rappel à l'ordre. Comme son titre l'indique, ce film, projeté en avant-programme dans tout le réseau des salles Art et essai indépendantes, veut sensibiliser le public à la question des enfants de sans-papiers.
« Pour réaliser ce film, nous nous sommes adressés au Réseau éducation sans frontières », dit le texte de présentation du film. Ce « nous » n'est pas de majesté, mais l'affirmation d'une volonté commune de la part de techniciens, de cinéastes, d'acteurs qui se trouvent être aussi pour beaucoup parents d'élèves confrontés dans leurs écoles à des cas douloureux.
« En danger ». Ce film court (trois minutes) n'a pas d'auteur. A partir d'ateliers d'écriture avec des enfants en situation irrégulière dans des écoles, un texte a été rédigé. Il est lu face caméra par douze gamins d'âge et d'origine diverses. Le texte dit sans être joué est d'autant plus secouant qu'il est traversé par le sentiment de la peur, de l'insécurité, de l'arbitraire : « On est en danger, on doit se cacher. »
Autre bénéfice du film, son effet multiculturel qui conforte et rajeunit l'idée républicaine et laïque d'une école pour tous. Le film se veut une interpellation par les cinéastes-citoyens des candidats à la présidentielle, globalement jugés aphones sur ces problèmes.
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Ils expliquent leur « révolte contre l'arbitraire »
Par Gérard LEFORT, Didier PERON
Parmi les nombreux premiers pétitionnaires qui cosignent Laissez nous grandir ici !, « Libération » en a contacté quatre (deux actrices et deux cinéastes) qui expliquent pourquoi ils ont tenu à participer à cette nouvelle mobilisation dans le sillage de l'association RESF.
Josiane Balasko actrice
« J'espère que les candidats vont prendre une position claire »
« Quand on s'est mobilisé pour Cachan, on ne peut pas dire que les politiques étaient très présents. Il y avait des gens de la LCR, du Parti communiste, quelques personnalités politiques à titre individuel comme Jack Lang, mais c'est tout... J'espère que les candidats à l'élection présidentielle vont enfin prendre une position claire sur ce sujet. Ce genre de collectif et le film sont là pour alerter l'opinion, faire en sorte que les a priori contre les étrangers s'atténuent, à défaut de s'effacer complètement. Ces enfants que l'on voit à l'image ont le droit à une scolarisation sans discrimination, or aujourd'hui on menace de les expulser. C'est d'autant plus insupportable que les adultes, par principe, doivent protéger les enfants, et non pas les menacer. »
Laurent Cantet cinéaste
« J'ai entrevu des histoires révoltantes »
« Je fais partie de RESF à Bagnolet où je vis et où mes enfants sont scolarisés. Je parraine deux familles en situation irrégulière et dans les démarches de constitution de dossiers, j'ai entrevu des histoires révoltantes et on peut dire alors qu'on peine à sonder la complexité de la vie de centaines de milliers de gens. Je me souviens d'une famille chinoise dont le gamin de dix ans était le seul à maîtriser le français et nous servait donc d'interprète dans les démarches pour obtenir la régularisation. Quand on a dû lui expliquer l'éventualité d'une arrestation, son visage s'est contracté d'angoisse, parce qu'un enfant de cet âge ne devrait pas avoir à affronter de telle situation. Vivant dans le 93, je sais que les dossiers étaient nombreux et qu'ils ont été gérés de manière expéditive. Ces gens sont désormais fichés et ils ont tous reçu des courriers pour leur signifier qu'ils devaient quitter le territoire français. Ce qui me révolte, c'est l'arbitraire flagrant, des situations identiques qui se sont soldées un coup par une régularisation, un autre par un refus non motivé. Il faut maintenant que les candidats s'expriment sur le sujet des sans-papiers. »
Juliette Binoche actrice
« C'est curieux que cela vienne de Sarkozy, qui, lui-même, est issu de l'immigration »
« L'immigration fait partie du chemin qui mène aux autres. Allez vers soi-même, c'est aller vers l'autre. Sans immigration, il n'y aurait jamais eu de civilisation, ce sont des mouvements de brassages, de rencontres, de dialogues contradictoires qui font partie de notre histoire et singulièrement de mon histoire. Ma grand-mère était polonaise, mon père a vécu au Maroc. Le fait que cette pétition concerne des enfants de sans-papiers m'a touché. Pourquoi fabriquer une génération de traumatisés ? Des enfants à qui on ouvre les portes de l'école pour tous, pour la leur refermer sur les doigts. Je vois là des futurs adultes blessés, mortifiés, voire plein de ressentiments. La politique et les idées de Sarkozy sur les immigrés me font peur. C'est effroyable, cette ambiance de défiance, de réquisition. Ce sont des procédés, des états d'esprit, qui remettent en mémoire les pires cauchemars de la Seconde Guerre mondiale. C'est curieux que cela vienne d'un homme, monsieur Sarkozy, qui, lui-même, est issu de l'immigration. Que veut-il ainsi prouver ? Qu'il est plus gaulois que les Français ? »
Robert Guédiguian cinéaste
« Un arbitraire complètement dingue »
« Je crois qu'un certain racisme idéologique tombe, dès lors que les gens se retrouvent confrontés à des gens dans des situations concrètes. Parce que ça concerne des enfants qui sont dans les mêmes écoles que des Français en situation régulière, tout d'un coup quelqu'un qui pourrait adhérer à un discours dur sur l'immigration se dit : "Oui, mais là, ce n'est pas pareil, lui, je le connais, c'est un copain de mon fils, etc." Le film entend donc prolonger le sentiment général d'un arbitraire complètement dingue qui s'est abattu sur ces gens. »
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La course aux expulsions de Sarkozy se poursuit
RESF n'a pu éviter le renvoi de « quelques dizaines des parents » d'enfants scolarisés.
Par Catherine COROLLER
Champagne ! Les parents de Mélanie Ortiz, 4 ans, élève de maternelle parrainée en juin par Libération, ont été régularisés en février. Jonathan Ortiz, son père, de nationalité colombienne, Gabriela, sa mère, équatorienne, ainsi que son grand-père Dario et son oncle Bryan, ont obtenu un titre de séjour. Pour les militants du Réseau éducation sans frontières (RESF), qui défendent les parents sans-papiers d'enfants scolarisés, c'est une victoire. Tous les étrangers en situation irrégulière n'ont pas cette chance. Le 28 février, Diallo Sarra, Malien vivant en France depuis dix-huit ans et père de quatre enfants nés ici, a été expulsé sans sa famille. Tout comme, le 16 février, Saïd Mouhcine, lycéen arlésien dont le père travaille légalement en France depuis 1974.
Chat. Entre Nicolas Sarkozy et les militants du RESF, le jeu du chat et de la souris se poursuit. RESF s'est structuré sur la base de mobilisations spontanées de parents d'élèves et d'enseignants, en réaction à des expulsions de familles en situation irrégulière. Une résistance si forte qu'en juin 2006, le ministre de l'Intérieur a dû faire un geste d'apaisementen autorisant la régularisation exceptionnelle de parents sans-papiers d'enfants scolarisés. 33 538 clandestins ont déposé un dossier, 6 924 ont été régularisés, 26 614 déboutés. Depuis, la traque se poursuit. Avec quels résultats ? « Il y a eu quelques dizaines d'expulsions de parents mais pas plus que ça », calcule Richard Moyon, porte-parole du RESF. Il s'agit essentiellement des pères, comme Jiechi Wang de Pantin, qui laisse en France sa femme enceinte et ses deux jeunes enfants. Mais aussi des familles, comme les Raba, expulsés le 6 décembre avec leurs trois enfants vers le Kosovo. Aux coups de force du ministère de l'Intérieur, répond inlassablement la mobilisation des militants. « La semaine dernière, une Chinoise a été interpellée, raconte Richard Moyon. Elle vit seule avec son fils de 17 ans. Elle a passé la nuit au poste. Le lendemain, une dizaine de personnes se sont rassemblées devant le commissariat pour exiger avec succès sa libération. Ce type de mobilisation se produit quasi quotidiennement. »
« Il y a une tendance contradictoire, poursuit Richard Moyon. Une course aux expulsions et dans le même temps, et dans la discrétion, un nombre significatif de régularisations à titre humanitaire. »
Roumains. Concernant tous les sans-papiers, pas seulement ceux défendus par RESF, les préfectures peinent à atteindre les quotas d'expulsion fixés par le ministère. Fin 2005, Nicolas Sarkozy avait promis 25 000 expulsions pour 2006. Il en a certes réalisé 24 000, mais dont un bon nombre de Roumains qui sont peut-être revenus en France depuis l'entrée, le 1er janvier, de la Roumanie dans l'Union européenne. Pour 2007, le ministre de l'Intérieur a réaffirmé que « 25 000 étrangers en situation irrégulière seront raccompagnés dans leur pays d'origine ».
A savoir
En 1997
Paru le 11 février 1997 dans Libération et le Monde, l'appel des cinéastes à la désobéissance civile pour protester contre la nouvelle loi Debré réagissait par l'absurde au verdict du procès de Jacqueline Deltombe, jugée « coupable » le 4 février 97 d'avoir hébergé un ami zaïrois en situation irrégulière et de ne pas l'avoir dénoncé. Deux jours plus tard, l'appel recueillait le soutien de 200 personnalités du monde de la culture.
RESF
Créé en 2004, le Réseau éducation sans frontières s'est fait connaître pendant l'automne 2005 lors de l'« affaire Rachel et Jonathan ». Le 9 août 2005, ces frère et soeur de 14 et 15 ans originaires de la République démocratique du Congo, sous le coup d'un arrêté d'expulsion, prennent le maquis. Ils sont récupérés par des militants du RESF, qui organisent leurs déplacements, leurs planques et leur scolarisation.
6 924 régularisés
Le 31 octobre 2005, Sarkozy publie une circulaire suspendant l'expulsion de parents sans-papiers d'enfants scolarisés. Le 13 juin 2006, une deuxième circulaire autorise la régularisation de certaines de ces familles. Sur les 33 538 demandes, 6 924 adultes ont reçu une réponse positive, 26 614, négative.
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