Enfant de La Bastille, découverte au lendemain du Front
populaire à Belleville, la chanteuse Renée Lebas, créatrice de La Mer (rendue populaire par Charles Trenet) et interprète des années 40 à 60
de nombreux succès, est décédée ce vendredi 18 décembre à Paris à l'âge de 92
ans, à l’hôpital de la rue Michel-Ange, dans le 16e arrondissement.
Ses obsèques auront lieu lundi 21 décembre à 14h30 au cimetière du
Montparnasse.
Née à Paris le 23 avril 1917 de parents juifs roumains
réfugiés en France (père tailleur, mère couturière, précise la SACEM dans son hommage), Renée Lebas fait ses premiers pas artistiques avec "L'écho
du douzième". Cette antenne de la fédération des théâtres ouvriers de
France donne des petits concerts dans les cafés.
C’est d’ailleurs dans un cinéma de Belleville qu’elle chante
pour la toute première fois, alors inspirée par le modèle de Lucienne Boyer. Comme le rappelle Hélène Hazéra (lire Renée Lebas, velours du cœur, L’Humanité, 27 août 2004), dans les années
trente, « chaque parti de gauche se devait en effet d’avoir ses groupes
culturels, chorales, orphéons, groupes de théâtre ou de poésie ».
Entourée de Nathan Korb (qui deviendra Francis Lemarque), elle remporte en 1937 un radio-crochet organisé par Radio
Cité. Elle rencontre ainsi le parolier Raymond Asso, collaborateur d'Edith Piaf.
Renée Lebas enregistre son
premier disque en 1939 et signe un contrat avec Pathé en mai 1940. Avec
l'arrivée des troupes allemandes à Paris, sa carrière se trouve est chamboulée.
Les métiers artistiques sont interdits aux juifs. Elle se rend en zone non
occupée. A Marseille, elle croisera Ivo Livi (Yves Montand). Elle se produira à
Cannes en 1941, accompagnée au piano par… Michel Emer. Ce dernier (plus connu du grand public
pour ses collaborations avec Piaf) écrira et composera pour Renée Lebas
D'l'autre côté de la rue, en trois jours, suite à une anecdote vécue qu'elle
lui raconte. Des années plus tard, Aznavour dira que Piaf est « la
meilleure ennemie » de Lebas…
Folklore juif et souvenir de la Shoah
La chanteuse se réfugie en Suisse, où elle enregistrera
quelques titres et chantera régulièrement à la Radio suisse romande. Son père
et sa sœur disparaissent à Paris dans la rafle du Vel' d'hiv' en juillet 1942.
Après la Seconde Guerre mondiale, Renée Lebas abordera
dans diverses chansons le thème de la Shoah. A commencer par La Fontaine
endormie (1956), écrite en hommage à sa sœur, jamais revenue d’Auschwitz.
Diverses chansons sont inspirées du folklore juif ashkénaze, comme Tire, tire
l'aguille (à écouter ici) et Mammy.
Elle chantera aussi Garde l'Espérance (dont un extrait se trouve ici sur le CD Où es-tu mon amour ?, réédité en 1999).
Garde l’Espérance est connu comme étant la Hatikva, l’hymne de l'Etat d'Israël. En 1981, Radio J en avait fait son
générique d'ouverture d'antenne, rappelle desInfos.com.
Les paroles chantées par Renée Lebas dans Garde
l’Espérance sont : « Garde l'espérance, Un autre temps viendra, Et ta
chance, Demain sourira, Garde l'espérance, Ne crains jamais le sort, En
silence, Résiste et sois fort, Une étoile dirait le retour, De tes rêves des
anciens beaux jours, Et ta peine alors sera vaine, Car le monde chantera
l'amour ! ». La traduction française de la Hatikva (l’Espoir) est : « Tant
qu’au fond du cœur,
l’âme juive vibre,
et dirigé vers les confins de
l'Orient,
un œil sur Sion observe,
Notre espoir n’est pas encore perdu,
cet
espoir vieux de deux mille ans,
de vivre en peuple libre sur notre terre,
terre de Sion et de Jérusalem,
de vivre en peuple libre sur notre terre,
terre de Sion et de Jérusalem ».
Charles Trenet… et tant d'autres
Renée Lebas était aussi surnommée par Charles Trenet
« la mère de La Mer ». C’est elle qui, fin 1945, avait créé sur scène
La Mer, qui allait par la suite être « rôdée » par Roland Gerbeau, un ami du « fou chantant » qui l’accompagnait dans beaucoup
de ses tournées et -souvent- le précédait en matière d’interprétation.
« Seule une archive de la
radio suisse garde une trace de cette interprétation jamais gravée en 78
tours », selon la Sacem. De Trenet, elle chantera aussi Revoir Paris,
Fleur bleue, Madame la pluie, ou Seule depuis toujours.
Vient 1948 avec l’enregistrement de Elle tourne la Terre,
d'un auteur-compositeur encore inconnu : Léo Ferré ; elle en est la
première interprète. Elle chantera de lui, par la suite, Paris Canaille et
L'île Saint-Louis. Renée Lebas, a aussi chanté Eddie Barclay, Boris Vian,
Charles Aznavour, Pierre Delanoë et Francis Lemarque. Brel disait qu’il
préférait sa version de La Valse à mille temps à celles par lui enregistrées…
En 1963, à l’âge de 46 ans, Renée Lebas mettait un point
final à sa carrière de chanteuse, s’estimant « trop vieille pour chanter
des chansons d'amour ». Elle choisit alors de se consacrer à la découverte
et à la promotion d'artistes, comme Régine ou Serge Lama.
Elle faisait partie des soutiens de l’association des artistes aveugles (AAA), créée en 1984.
Fabien Abitbol
è Une courte biographie sur Le Hall de la chanson
• Reprise sur Rue89 le 19 à 18h10 • Reprise le 20 décembre à 19h02 sur DesInfos.com • Reprise le 19 décembre à 15h16 sur Dazibaoueb • Reprise le 20 décembre à 06h32 par Quinquabelle (avec vidéo)
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