Lago Charles, qui s’était évadé en juillet 2009 après une visite médicale, a de nouveau été rattrapé par la justice ivoirienne et est de nouveau emprisonné. Cette fois aussi pour évasion. Ce ressortissant ivoirien est emprisonné depuis fin 2007, officiellement pour « faux témoignage », sans pour l’instant avoir été jugé, dans le cadre de l’enlèvement du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, le 16 avril 2004 à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire.
« Affaire Kieffer : Le principal témoin retrouvé
au Ghana ». Tel est le titre du quotidien Nord-Sud du samedi 3 juillet 2010 qui, avec le terme de « principal
témoin », emboîte le pas (quasiment un an après) au Nouveau Réveil, qui
titrait le vendredi 17 juillet 2009 « Incarcéré à la MACA, le principal
témoin de l’affaire Kieffer s’est évadé ». Depuis, peu de choses dans la
presse ivoirienne sur l’évasion de Lago Charles, à part, dans le populaire Soir Info — dès le 21
juillet — un dossier sur les conditions de son évasion, puis en août un entretien, où il explique notamment qui il est et pourquoi il se fait
discret (« Je suis né le 20 décembre 1977 à Tabou. Je suis collaborateur
extérieur des services secrets ivoiriens »).
Et rien dans les médias français, sauf sur ce blogue,
avec ce résumé des conditions de l’évasion, l’évasion elle-même ayant été relatée dès le 19, dans ses deux versions.
Et pour cause : avant de s’évader, cet homme
était, depuis deux ans et demi déjà, en attente d’être jugé pour le simple fait
de « faux témoignage ». Il dit avoir assisté à l’enlèvement du
journaliste français Guy-André Kieffer (GAK). Par surcroît, aux yeux de la
justice française, il n’existe pas. Ou, pour être plus précis, il n’est pas
directement impliqué. Car il semble qu’il soit à l’origine des fouilles entreprises dans la forêt du Banco par la juge Brigitte Jolivet en octobre 2009 pour
retrouver le corps de GAK. En vain.
En fait, Lago Charles est l'une des pièces du volet ivoirien de l'affaire Kieffer. Et sans nul doute un homme embarrassant, au point de n'être toujours pas jugé alors qu'il a été emprisonné de décembre 2007 à juillet 2009 (date de son évasion), poursuivi uniquement sur le chef d'inculpation de faux témoignage, car ce ”collaborateur extérieur des services secrets” dit avoir assisté à l'enlèvement et à la séquestration de GAK, dit savoir qu'il a été exécuté et où il a été enterré… seule ombre : le lieu où la justice française est allé fouiller n'est pas le bon. « Toutes les pistes sont bonnes à exploiter, y compris pour les fermer », disait encore en avril dernier Bernard Kieffer, frère cadet de notre voisin disparu.
Lago Charles a donc été présenté, tant l’été dernier par
Soir Info qu’en ce début juillet par Nord-Sud, comme un agent des services de
la présidence. Le récit de Nord-Sud du 3 juillet (à lire ici) n'en est pas moins truffé d’erreurs de dates et il comporte au moins une erreur de
patronyme. A la décharge de ce quotidien, on peut dire qu'il n’est pas réputé pour tenir à jour le dossier
Kieffer, et n’avait jusqu’à présent rien publié sur l’évasion de Lago Charles.
Il appelle donc cet important élément du dossier ivoirien «Lago Gossé
Charles» alors qu’en toute logique il devrait l’appeler «Lago
Charles Rosaire», et fait remonter l’évasion à février 2010 au lieu de
juillet 2010. Vraisemblablement «Gossé» vient-il d'un autre personnage, du dossier français lui, connu sous le nom de « major Gossé » ou Alain Gossé, dont la justice ivoirienne doute de la crédibilité. Sinon, le reste de l’histoire est cohérent, et le fait qu’il ait
été interpellé au Ghana correspond à deux renseignements distincts et
concordants obtenus début 2010 par le blogue de Ménilmontant.
Lago Charles et les deux gardiens qui l’ont aidé à
prendre la poudre d’escampette ont été jugés, et le délibéré sera rendu le 30
juillet prochain. « Le procureur a requis 12 mois de prison pour les deux
geôliers et 6 mois fermes pour le principal témoin de la disparition de
Kieffer », précise Nord-Sud.
Une promesse élyséenne non tenue ?
Journaliste économique spécialisé dans les matières
premières, Guy-André Kieffer (biographie ici) a disparu le 16 avril 2004 sur le parking d’un supermarché d’Abidjan.
Depuis 1980, il vivait dans le 20e arrondissement de Paris. Nous sommes sans
nouvelles de lui depuis 2270 jours.
Voici trois ans bientôt, le 23 août 2007, le président Sarkozy recevait la famille Kieffer à l’Elysée. Il avait donné
l’assurance à Osange Silou-Kieffer (son épouse) que « ce dossier était une priorité pour l’Etat français » et promis d’en
parler au président ivoirien Laurent Gbagbo. Deux quotidiens en avaient fait
état : Le Patriote et Le Nouveau réveil (Pour les compte-rendus de l'époque, un brin ironiques à l'endroit du pouvoir, cliquer ici).
La parole présidentielle étant ce qu’elle est, le
dossier s’est enlisé, et le juge parisien Patrick Ramaël, du jour au lendemain,
a été privé des enquêteurs de la crim’. Sans explication officielle. Il a
repris l’enquête avec les gendarmes de la brigade de recherches de Paris. Puis a saisi la Cour pénale internationale de La Haye d’une demande d’entraide
judiciaire.
Tout semble réuni pour une “normalisation” entre la France et cette ancienne colonie d’Afrique de l’Ouest. Au point que, dans le cadre de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), la dette de la Côte d’Ivoire a été partiellement épongée, partiellement renégociée. A la veille d’un sixième Noël sans son frère, Bernard Kieffer posait « La question à 200 milliards », regrettant qu’aucune « contrepartie judiciaire » n’ait été négociée.
Fabien Abitbol
è Le dossier Kieffer sur le blogue de Ménilmontant, le site de soutien tenu par son frère Bernard, la pétition de soutien, la page Cause de Facebook, la page d’information de Facebook (toutes deux administrées par sa fille Canelle)
è En Une de Nuit & Jour du
5 juillet : « Simone Gbagbo n’est pas impliquée dans l’affaire Kieffer », déclare
Koffi Koffi Jean-Etienne, président de l’Union fraternelle des populations de l’Afrique
de l’Ouest (UFRAPAO)
• Reprise le 5 juillet à 16h02 sur Rue89 • Relais sur Globalvoices en français et sur Globalvoices en anglais, par Anna Guèye
Les silences et les comportements inhabituels ou ostensiblement lents, voire bloquants, laissent une impression de volonté, de complicité et de culpabilité.
L'impression est d'autant plus grande qu'il y a refus de la dissiper.
Rédigé par : Tita | 06/07/2010 à 09h54