Ayant exercé à Sainte-Anne, arrêtée cet été à Paris, elle passe à table
Pendant deux longues années, « la psy » de Guingamp (22) a tenu en échec les gendarmes lancés à ses trousses. Sans domicile, sans papiers, sans carte bancaire, persuadée que sa vie était menacée, elle menait une vie clandestine, au cœur de Paris.
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Pendant quatre ans, Marie-Annick B. a multiplié les courriers souvent infamants, envoyés de Guingamp où elle a vécu un temps (ci-contre), puis de Paris où la psy avait pris le maquis.
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23 juillet 2008, fin d’après-midi, rue Villedo, Paris 1. Malgré sa perruque noire, ils l’ont tout de suite repérée. Cette petite femme, quinquagénaire, à l’allure soignée qui presse le pas vers les jardins du Palais Royal, c’est Marie-Annick B. La « psy de Guingamp ». Celle qui, depuis quatre ans, inonde sa ville natale de courriers orduriers. Des milliers de lettres dénonçant coucheries, « complots », « assassinats », « affaires de pédophilie » et autres « magouilles ». Toute la France est au courant. Il faut dire que cette psychiatre reconnue, qui avait ouvert un cabinet avenue des Champs-Élysées, a aussi arrosé tout le pays : élus, ministres, journaux, avocats, évêques...
Un défi pour la gendarmerie
La psy avait pourtant bien été interpellée, en 2006, et placée d’office en hôpital psychiatrique, à Bégard (22), « au pays ». Mais elle s’était évadée trois semaines plus tard. En sautant par une fenêtre ! La psy avait repris la plume. De plus belle. La France, amusée par cette histoire, avait le sourire aux lèvres.
Pas les victimes, notables ou simples quidams, ulcérées, parfois au bord de la crise de nerf. Ni la gendarmerie, qui ne voyait pas d’un bon œil cette petite bonne femme tourner ses troupes en ridicule. La retrouver allait devenir une obsession. Un défi. Pour le relever, la direction allait mettre le paquet. Des moyens dignes d’une grande enquête criminelle. Mars 2008. La direction de la gendarmerie mobilise la vingtaine de limiers de la brigade de recherche de Paris. Cinq sont exclusivement affectés à la traque de la psy… qui s’est tout bonnement volatilisée ! Aucune trace du côté de la famille, dans la région de Guingamp. Aucune trace à Paris, à son domicile ou à son cabinet. Pas d’utilisation de carte bancaire, aucun mouvement sur les autres comptes, téléphone portable muet… Les gendarmes n’ont rien. Pas même une description récente de la fugitive. Ils ont, en revanche, acquis une conviction : la psy est forcément aidée. Sans cela, comment pourrait-elle vivre sans argent et sans toit ? Comment pourrait-elle financer les incroyables quantités de timbres, de papier, de photocopies qu’elle adresse à toute la France ? Les enquêteurs travaillent donc sur son entourage : anciens patients et confrères. Une vingtaine de personnes sont « ciblées ».
Filmée par une caméra de surveillance
Autre piste explorée : les sites d’où sont postées les lettres. La plupart sont expédiées de la grande poste du Louvre. En fait, les cinq arrondissements de l’hypercentre parisien sont concernés. Mission impossible : comment repérer la fugitive dans ce périmètre où transitent, chaque jour, près de dix millions de personnes ? Les enquêteurs effectuent un vrai travail de fourmi. Qui finit par payer. Une conversation téléphonique est interceptée. L’appel a été passé depuis un taxiphone situé derrière la gare de l’Est. Coup de chance : une caméra de vidéosurveillance a saisi le visage de la psy. Cette photo, les enquêteurs vont la montrer partout. Flics de quartier, éboueurs, contractuelles, agents de circulation en faction devant les écoles, commerçants... Les petits secrets de la psy vont tomber un à un. Son comportement, tout d’abord : elle s’est glissée dans la peau d’un agent secret ! Dans ses lettres, elle l’a dit à de nombreuses reprises : on en veut à sa vie. Elle détient un secret d’État, « une bombe ». Cela explique pourquoi elle ne dort jamais deux fois au même endroit. Dans la rue, elle se retourne tout le temps. Entre dans des magasins d’où elle ressort complètement transformée. Nouvelles fringues, nouveaux postiches ! Et cela, plusieurs fois par jour. Le petit sac à dos qui ne la quitte jamais est toujours rempli de vêtements de rechange…
Face aux gendarmes une femme amaigrie
Petit à petit, les enquêteurs identifient ses lieux de passage. La psy, adepte du trekking, marche beaucoup. Mais elle semble régulièrement utiliser la ligne 9 du métro. Celle qui traverse Paris d’Ouest en Est. Tous les matins, des binômes planquent. En vain. Jusqu’au 23 juillet. Les deux gendarmes en civil qui arpentaient son quartier l’ont interpellée. En douceur. La petite femme qu’ils ramènent à la brigade est « amaigrie », mais « physiquement très tonique ». « Ces deux années ne l’avaient pas tranformée en clocharde. Elle présentait même très bien, se rappelle un gendarme. Mais je pense qu’elle était soulagée que tout soit fini ». À ceux qui la pressent de questions, la psy donne le change. « Elle s’exprimait très correctement. Malgré ses délires évidents, sa manière de présenter les choses était très cohérente ». Comment a-t-elle fait pour vivre dans la clandestinité pendant deux ans ? Elle n’a rien voulu dévoiler. « Elle a probablement fait des petits boulots. Elle a peut-être continué à exercer un peu. Ses patients l’adoraient », avance un enquêteur. Quelle était donc « la bombe » qu’elle disait détenir ? Silence de l’intéressée. Ses secrets, Marie-Annick B. les a emportés avec elle, à l’hôpital psychiatrique.
Hervé Chambonnière, pour Le Télégramme de Brest (TGB)
« J'attends les barbouzes. Ceux qui tuent »
« J’attends les barbouzes. Ceux qui tuent ». Marie-Annick B., la psy de Guingamp, baptisée à tort « le corbeau » (*), se savait « très recherchée » et en bout de course. Se disant en danger de mort, l’ancienne interne des hôpitaux de Paris redoutait que sa fuite ne s’achève en « corvée de bois vert ». Sous-entendu, en assassinat. Dans un courrier adressé à la rédaction du TGB le 5 juillet, soit dix-huit jours avant son interpellation (lire ci-dessous), la praticienne « diplômée en expertise et criminologie » attendait « un imprévu de cavale ». « J’ai un don », écrivait-elle. En fait de don, Marie-Annick B., qui invitait à lui adresser toute correspondance chez une consœur parisienne, a surtout eu celui d’exaspérer. Sa petite écriture fine, resserrée, elliptique, était connue de centaines de Guingampais. Pendant près de quatre ans, l’enfant du pays issue du milieu rural a alimenté les gorges chaudes, noyant la boîte aux lettres de la mairie de plus de 500 courriers infamants. Jusqu’au clergé essuyant, lui aussi, ses bouffées délirantes marquées par de multiples références au satanisme, pratique qu’elle prétendait dénoncer. Parmi ses victimes, un ancien employé municipal et une ancienne patronne de bistrot ont été durement éprouvés par ce flot épistolaire nauséabond.
« Au secours »
Avant de prendre le maquis, à Paris, la psy suspendue tardivement par l’ordre des médecins avait acquis une ancienne mercerie, en centre-ville de Guingamp. Dans la vitrine de la boutique transformée en résidence secondaire, elle placardait toute sorte de panneaux vengeurs. Des écrits désormais pudiquement recouverts d’un voile de peinture blanche. À Guingamp, nombreux sont ceux qui se souviennent de ses nuits passées dans sa voiture blanche, barrée d’un panneau « Au secours ». Vêtue d’une chasuble fluo, on l’apercevait aussi épiant et prenant des notes. Jugée dangereuse « pour elle-même et autrui », celle qui, dans sa jeunesse, était appréciée pour sa discrétion et sa simplicité, a fait l’objet d’une hospitalisation d’office décidée par le préfet des Côtes-d’Armor. « Cette affaire pourrait être éditée, voire filmée », écrivait la psy trois semaines avant d’être rattrapée. Un scénario digne alors d’un Chabrol ou d’un Clouzot.
(*) Jamais l’intéressée n’a caché son identité. La plupart de ses courriers étaient dûment signés, l’auteur utilisant même un temps son papier à en-tête de médecin.
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