Deux personnes, dont un conseiller de l’Elysée, auraient dissuadé un témoin
La famille de notre voisin, le journaliste Guy-André Kieffer (GAK), disparu à Abidjan en 2004, a demandé hier l'ouverture d'une enquête sur d'éventuelles pressions exercées sur un témoin, notamment de la part du conseiller à l'Elysée pour les affaires judiciaires, Patrick Ouart, a indiqué une dépêche de l’AFP hier peu avant 19h. Patrick Ouart a été secrétaire général du Groupe Suez qui, dans son conseil d’administration, compte Paul Desmarais fils, l’ami canadien de Nicolas Sarkozy, qui l’a fait Grand-Croix de la Légion d’Honneur en février dernier, en présence du Premier ministre du Québec. Le genre de coïncidences qui auraient pour le moins mis la puce à l'oreille de GAK, et l'auraient poussé à mener une enquête… M. Ouart a par ailleurs été inculpé par la justice belge, qui le soupçonne d'avoir piraté le système informatique du Groupe.
Son épouse, Osange Silou-Kieffer, son frère, Bernard Kieffer, et Reporters sans frontières (RSF) ont rencontré hier le juge d’instruction parisien Patrick Ramaël, chargé de l'enquête, qui a évoqué des « faits nouveaux dans le dossier », a indiqué Osange Silou-Kieffer. Le magistrat aurait ainsi été contacté le 21 juillet dernier par un témoin, qui se disait prêt à évoquer sous couvert d'anonymat la disparition du journaliste, a-t-elle expliqué à la sortie du cabinet du juge.
Le 28 juillet, « le jour de l'audition de ce témoin, il a dit au juge qu'il ne pouvait pas venir car deux personnes avaient fait pression sur lui, dont le conseiller aux affaires judiciaires du président de la République, Patrick Ouart », a ajouté Osange Silou-Kieffer, disant ne pas connaître l'identité de l’autre personne. Les pressions subies par ce témoins l’auraient été les 25 et 26 juillet par téléphone.
Sollicités par l'AFP, ni M. Ouart, ni son avocat, Me Thierry Herzog, n'ont souhaité réagir.
Ancien magistrat (il a quitté la magistrature début 2008), Patrick Ouart a été secrétaire général du Groupe Suez (où siège présentement Paul Desmarais Jr, un ami du président Sarkozy) et est conseiller à la Présidence de la République depuis le 1er jour de l’arrivée de M. Sarkozy à l’Elysée (16 mai 2007, dix jours après son élection).
Patrick Ouart avait été entendu comme témoin par les juges Ramaël et Blot le 23 septembre. Cette audition avait été révélée par La Lettre A (de Indigo Publications, pour qui Guy-André Kieffer travaillait lors de sa disparition), dans son édition N°1382 du 3 octobre, sous le titre « Ramaël ne lâche plus l’Elysée ». En septembre, l’ancien dirigeant de Suez avait déposé plainte contre X… pour « dénonciation calomnieuse », selon une source judiciaire. Il avait assuré n'être « pas au courant » d'éventuelles instructions données pour dissuader des personnes de témoigner, selon le procès-verbal que l'AFP a pu consulter. « L'idée qu'on puisse m'imaginer en nervi est assez surréaliste », s'est-t-il indigné.
Pour sa part, Bernard Kieffer souhaite que « le ministère public se saisisse officiellement et surtout saisisse les juges Ramaël et Nicolas Blot d'une information complémentaire pour savoir quelle est la réalité de ces affirmations ».
Du côté de Reporters sans frontières, Jean-François Julliard (qui suit le dossier depuis le début) estime que la décision du parquet « sera lourde de conséquences ». « Si le ministère public confie au juge Ramaël cette enquête sur ces pressions sur un témoin, on en saura certainement plus, si le ministère public ne répond pas ou mène juste une enquête préliminaire, ce sera aussi significatif de la réelle volonté de l'Elysée de faire la lumière sur cette affaire ou pas », a-t-il expliqué.
Dans son enquête, le juge Ramaël s'est déjà rendu à l'Elysée (le 22 juillet) pour se faire remettre le dossier de la cellule Afrique de la présidence sur cette affaire. Il a également cherché (en vain) à interroger Simone Gbagbo, l'épouse du président ivoirien, et Paul-Antoine Bouhoun Bouabré, ministre ivoirien du Plan, tous deux convoqués à Paris. S’exprimant la semaine dernière, l’avocat de Simone Gbagbo avait déclaré : « la Côte d’Ivoire n’est pas un arrondissement de Paris pour relever de la compétence territoriale du juge Ramaël, mais un Etat souverain », pour expliquer une fois de plus cette absence.
Une partie de la famille Kieffer avait été reçue à sa demande fin août 2007 par le président Nicolas Sarkozy. Qui avait assuré que l'enquête sur la disparition du journaliste était « une priorité de son quinquennat », a rappelé hier Osange Silou-Kieffer.
Fabien Abitbol, d’après agences, photo DR
⇒ Le père était de la fête de Sarkozy : L'Express consacre sa Une à Paul Desmarais Jr (La Presse canadienne, sur les liens entre les Desmarais père et fils, la France et Nicolas Sarkozy)
⇒ Affaire Kieffer: la famille demande une enquête sur d'éventuelles pressions exercées sur un témoin (Associated Press, via Nouvel Obs)
⇒ Un juge entend un conseiller de Sarkozy dans le dossier Kieffer (Reuters, via Abidjan.net)
⇒ La famille Kieffer veut une enquête sur d'éventuelles pressions sur un témoin (AFP, 6 octobre)
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