“CIA guerres secrètes”, mais aussi la série “Corpus Christi” ou la fameuse collection “Palettes” n’auraient sans doute jamais existé sans lui. Ancien de l’ORTF, de l’INA et véritable pilier de la politique documentaire de la chaîne franco-allemande depuis sa naissance, Thierry Garrel le perfectionniste ambitieux part… étudier les baleines. Tant mieux pour lui, cruel pour les amateurs d’une télé qui donne à penser.
Arte perd un de ses piliers. Thierry Garrel, qui dirigeait l'unité documentaires de la chaîne franco-allemande depuis sa création en 1992 (1), quitte le navire pour de nouvelles aventures : la conception d'« une cyber plateforme documentaire internationale » et… un grand projet multimédia sur la préservation des baleines blanches au large de l'île de Vancouver.
Si la nomination de celle qui lui succède, Pierrette Ominetti, son adjointe pendant treize ans, écarte a priori tout risque de rupture dans la politique documentaire d'Arte, le départ de Thierry Garrel n'en est pas moins une mauvaise nouvelle pour les producteurs et les réalisateurs attachés au documentaire de création qui perdent là l'un de leurs plus farouches défenseurs.
Les œuvres soutenues financièrement par l'équipe de Garrel composent en effet un véritable panthéon international du documentaire : S21, la machine de mort Khmer rouge, de Rithy Panh, CIA guerres secrètes, de William Karel, Massoud l'Afghan, de Christophe de Ponfilly, Un dragon dans les eaux pures du Caucase, de Nino Kirtadze, mais aussi la série Corpus Christi, de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, ou encore la collection Palettes, d'Alain Jaubert… Un éclectisme qu'a toujours revendiqué Garrel, ancien du Service de la recherche de l'ORTF puis de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) dans les années 70, persuadé qu'« il n'y a aucun domaine qui échappe à la curiosité du documentaire, aucune limite aux formes qu'il emprunte, ni aux tonalités qu'il adopte ».
La « marque Garrel », c'est « une grande attention à la forme cinématographique, parfois à la limite du maniérisme », selon la présidente de l'association Documentaires sur grand écran, Annick Peigne-Giuly : « Il a beaucoup fait pour redonner ses lettres de noblesse au documentaire en le sortant de l'orbite trop réductrice du reportage. Avant l'engouement récent pour les sorties en salles, la diffusion sur Arte a longtemps été l'unique débouché pour les documentaires d'auteurs. Thierry Garrel a souvent été très interventionnniste sur les projets, notamment lors du montage. Devant les œuvres qu'il a coproduit pour Arte, on se dit souvent : ce sont des films qui donnent à penser. »
Au-delà du documentaire, c'est l'un des représentants les plus crédibles d'une télévision ambitieuse – « une forme nouvelle de la pensée, où ne seraient plus séparées émotion, imagination et intelligence », dixit Thierry Garrel – qui s'en va. Pas vraiment de bon augure en période de crise du service public.
Samuel Douhaire, pour Telerama.fr
(1) Il dirigeait déjà l'unité documentaire de La Sept, l’ancêtre d'Arte, en 1987.
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