Des interpellations un peu trop mouvementées, des policiers ivres qui font usage de leurs armes à feu... A plusieurs reprises, ces derniers mois, ce type d'incidents a alimenté la chronique policière. Le 29 mai, sortant d'une soirée arrosée, un policier qui n'était pas en service a blessé par balles trois jeunes gens après une altercation dans le 10e arrondissement de Paris. A peine trois mois plus tôt, dans des circonstances proches, hors service - mais d'astreinte - et sous l'emprise de l'alcool, un autre policier avait grièvement blessé un homme dans le restaurant où il se trouvait, à Franconville (Val-d'Oise).
Le 13 mai, à Grasse (Alpes-Maritimes), un homme décède après une interpellation au cours de laquelle il se serait violemment débattu. L'enquête est en cours. Mais le syndicat UNSA-police a écrit à la ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, pour lui faire part des « invectives et insultes » dont seraient depuis victimes les policiers, et du « climat délétère, voire de haine » qui régnerait sur place. Dix jours plus tard, à Draguignan (Var), un gendarme cette fois abattait un gardé à vue âgé de 27 ans qui tentait de s'enfuir. « Ça commence à faire beaucoup ! », s'impatientait alors l'entourage de Mme Alliot-Marie. Le 31 mai, une marche silencieuse a eu lieu à Villepinte (Seine-Saint-Denis) pour protester contre les « violences policières » après qu'un jeune handicapé s'est plaint d'avoir été frappé par des policiers.
Malencontreuse série ? Ou bien cela traduit-il un malaise plus profond ? La question est délicate, car la France est l'un des rares pays d'Europe à ne pas publier systématiquement de bilan sur son activité et ses manques. Les dernières statistiques rendues publiques remontent à 2005. Des chiffres existent pourtant, consignés dans des plaquettes mais à usage interne.
En 2007, selon la direction générale de la gendarmerie nationale, les gendarmes ont fait usage de leurs armes à 80 reprises, dont 20 fois en situation de non légitime défense, provoquant deux décès.
Qu'en est-il des policiers ? Le volume des violences qui leur sont reprochées reste stable, voire régresse. Sur un peu moins de 1 500 dossiers traités dans l'ensemble du territoire, d'après des indications fournies oralement par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », un peu plus de 600 concernaient des violences « alléguées ». Des chiffres « à rapporter aux 4 millions d'interventions de la police enregistrées chaque année, hors maintien de l'ordre et passage aux frontières », souligne Dominique Boyajean, directeur de l'IGPN.
Dans tous les cas, les policiers font l'objet d'une enquête administrative et, s'il y a lieu, judiciaire (45 % des situations). Alors qu'ils ne représentent que 8 % des fonctionnaires, les policiers totalisent 40 % des sanctions. C'est aujourd'hui l'une des professions les plus contrôlées.
Ainsi, l'inspection générale des services (IGS), qui couvre le territoire de la préfecture de police, Paris et les départements de la petite couronne (92, 93, 94), est avertie de tous les coups de feu tirés par la police dans sa zone de compétence. A 3 heures du matin, le 29 mai, après les tirs du policier rue du Faubourg-Saint-Denis (10e), elle était déjà saisie…
En 2007, toutefois, les coups de feu ont été peu nombreux, moins d'une vingtaine, contre 26 en 2006. Et l'IGPN multiplie les actions de prévention. Après l'incident de Franconville, c'est elle qui a inspiré la note de la direction générale de la police nationale datée du 14 mars sur les conditions d'utilisation des armes, appelant la hiérarchie à la vigilance. Des contrôles inopinés vont être menés sur l'armement comme, depuis un an, d'autres ont été mis en place sur les conditions de garde à vue. « Les interventions dans les écoles des gardiens de la paix et des officiers ont été renforcées », affirme Christophe Fichot, chef du cabinet des études de l'IGPN.
Longtemps considéré comme un fléau, l'alcool représente aujourd'hui à peine un peu plus de 3 % des affaires traitées, souvent hors service. Surtout, les « bœufs-carottes » constatent une décroissance continue depuis 2004 des faits de violence les plus graves reprochés à la police, mesurés par les incapacités temporaires de travail (ITT) de plus de 8 jours.
« La bavure, typique des années 1980, on en a très peu aujourd'hui, et l'effet Sarkozy est plutôt contraire à ce que l'on croit », assure Fabien Jobard, chargé de recherches au CNRS et auteur du livre Bavures policières ? La force publique et ses usages (La Découverte, 2002). « Si cela se passe mal, ajoute l'universitaire, les policiers savent qu'ils vont devoir rendre des comptes. A qui ? A leur commissaire. Or, ces derniers sont jugés sur leurs résultats et leurs capacités à ne pas faire de vagues. La vigilance de la population, en raison même de la présence de Sarkozy à la tête de l'Etat, est énorme. Résultat, la pression sur le policier de base s'accroît. » Les sanctions aussi.
Car les petites violences physiques, la gifle, les secousses, qui n'entraînent pas d'ITT, ont, elles, subitement augmenté. Selon nos informations, cette hausse dépasse 10 % entre 2006 et 2007. Montée des tensions ? Plaintes plus nombreuses ? Aucune explication n'est donnée à ce sujet.
Seule certitude : les saisines directes augmentent bien. Seule l'IGS, née en 1854 - quasiment un siècle avant l'IGPN ! - dispose d'un accueil, dans ses locaux rue Hénard, dans le 12e arrondissement de Paris, pour recevoir les plaintes des particuliers sur la police. Consignées à la main dans un gros cahier, elles sont vérifiées et peuvent déclencher des enquêtes administratives. En 2007, 6 939 personnes - près de 20 par jour - ont ainsi été reçues, des hommes en très grande majorité mais aussi une petite part de mineurs. « Je suis frappé par la connaissance des gamins sur la justice et la police », souligne M. Jobard, qui reconnaît, dans ce domaine aussi, un « mouvement de judiciarisation ».
Réparties en quatre niveaux, quelque 3 300 sanctions ont été prononcées en 2007, sur proposition de l'IGPN et de l'IGS. Il y a tout d'abord l'avertissement et le blâme (lorsqu'un policier perd sa carte par exemple) ; la radiation du tableau d'avancement, peu utilisée (un blâme induit trois ans sans avancement). Puis la rétrogradation et la suspension temporaire ; enfin, la révocation ou la mise en retraite anticipée. Ce dernier niveau de sanction concerne quelque 150 cas par an. Mais ce tableau ne comprend pas les « mutations dans l'intérêt du service », qui correspondent parfois à des sanctions déguisées.
Isabelle Mandraud, pour Le Monde daté du 14 juin, dessin de Faujour, pour Que fait le police (février 2007)
⇒ Pour ce qui concerne la Police Nationale, il est possible de se rendre à l’Inspection Générale des services, 30 rue Hénard (Métro Montgallet, 12e) Tél. : 01 56 95 11 00, ou d’écrire en recommandé avec avis de réception pour une saisine directe.
⇒ Le site du RAIDH a une rubrique « Obligations de la police » et met régulièrement à jour ces renseignements, ainsi que son Kit Keuf (qui, en version diaporama, donne des renseignements difficiles à trouver ailleurs).
⇒ « J’ai perdu mon sang-froid, je l’ai traité de grosse merde »
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