Congédié par Nicolas Sarkozy, le directeur de la police générale à Paris, Yannick Blanc, s'explique
Alerté par un simple coup de téléphone du ministère de l'intérieur, Yannick Blanc, directeur de la police générale de la préfecture de police de Paris (DPGPP), a été brutalement débarqué de ses fonctions « avec quelques jours de préavis » par un décret signé du président de la République, Nicolas Sarkozy, le 16 janvier. Nommé en octobre 2005 à la tête de la DPGPP, composée de 450 fonctionnaires et chargée de la délivrance des titres de séjour aux étrangers résidant à Paris et des reconduites à la frontière, M. Blanc ne s'est vu proposer aucune autre affectation crédible. Autant dire que ce haut fonctionnaire de 53 ans, administrateur civil, et non policier, a été sanctionné.
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Portrait du directeur de la police générale, Yannick Blanc, le 1er juillet 2006 devant la prefecture de Paris.
Photo : AFP-Jean Ayassi
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En juillet 2006, M. Blanc avait évoqué, dans un entretien au Monde, la perspective de milliers de régularisations de sans-papiers après la mise en œuvre de la circulaire du 13 juin qui proposait, sous certaines conditions, d'accorder des titres de séjours aux parents d'enfants scolarisés. A l'époque, cette circulaire avait provoqué un afflux de personnes devant les services de la DPGPP et son directeur affirme alors avoir reçu pour instruction du cabinet de M. Sarkozy, ministre de l'intérieur, de s'exprimer dans les médias avec Me Klarsfeld. « J'avais répercuté, comme pour les autres, la demande du Monde sans obstacle, raconte M. Blanc. Mais l'information n'a pas dû remonter comme il le fallait jusqu'au cabinet du ministre. » A la lecture de l'article du Monde, M. Sarkozy pique une colère. « Il l'a découvert à un moment particulièrement inopportun puisqu'il allait à un meeting politique, concède le haut fonctionnaire. Cet incident m'a été évidemment reproché mais s'il avait dû y avoir une sanction, elle aurait eu lieu à ce moment-là. »
Un an plus tard, M. Blanc est entendu par l'inspection générale des services (IGS) et placé quarante-huit heures en garde à vue dans une affaire de trafic présumé de titres de séjour. Une procédure assez exceptionnelle à son niveau mais que M. Blanc, contre lequel aucune charge ne sera retenue, se refuse à lier à ses relations dégradées avec le pouvoir.
« Effets pervers »
Alors pourquoi son éviction aujourd'hui ? « L'enjeu de cette affaire, dit-il au Monde, n'est pas une interview un peu ancienne mais la conduite de la politique d'immigration à Paris et la tension qu'il y a sur la question des reconduites à la frontière. C'est là-dessus que s'exerce une pression sur le préfet, sur les services et la police. C'est ça le sujet, le terrain critique. »
Lors d'un déplacement à Marseille, le 14 janvier, François Fillon avait rappelé l'objectif du gouvernement en fixant de nouveau à « au moins » 25 000 le nombre d'expulsions d'étrangers en situation irrégulière en 2008. Or, ce chiffre n'a pas été atteint en 2007. Pour la seule préfecture de police de Paris, environ 120 000 titres de séjour ont été délivrés, dont un tiers pour des étudiants, et il y a eu 2 800 reconduites à la frontière contre 2 950 en 2006. « Les difficultés se sont multipliées, il a donc pu être jugé nécessaire de changer de pilote, déclare M. Blanc. C'est peut-être ça que l'on appelle la culture du résultat. » Mais, ajoute-t-il, l'intensification des procédures « a eu des effets pervers, parfaitement connus de tout le monde. L'importance politique donnée aux objectifs a suscité des crispations et des résistances, et pas seulement de la part des associations de défense des sans-papiers qui se sont mobilisées ».
Pour lui, « les deux facteurs majeurs d'échec de reconduites à la frontière sont l'annulation des procédures par le tribunal de grande instance et la cour d'appel de Paris, le refus de délivrance par les autorités consulaires de laissez-passer et, dans une moindre mesure, l'augmentation du nombre d'annulations par le tribunal administratif ». Des situations provoquées par la visibilité politique donnée à l'enjeu. « Plus l'activité de reconduites à la frontière augmente, plus l'institution judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, peut s'estimer contestée sur son propre terrain. »
Si fixer des objectifs chiffrés lui semble « normal », M. Blanc estime que le niveau affiché aujourd'hui est peu crédible. « J'ai très nettement le sentiment qu'en matière de volume et d'intensité de l'activité, on a atteint une limite, affirme-t-il. Les services sont extrêmement tendus et la modestie du résultat final est un facteur de démotivation qui finira par poser des problèmes. » L'expérience lui a appris que le migrant est d'abord « un entrepreneur qui investit sa vie, qui se comporte en stratège. De ce point de vue, il est beaucoup plus fort que l'administration ».
M. Blanc paie sans doute sa liberté de parole, et peut-être aussi sa présence dans le cabinet de Jean-Pierre Chevènement dont il fut le conseiller pour la Corse. « Lorsque j'ai rencontré Jean-Pierre Chevènement pour la première fois, dit-il dans une pirouette, il m'a demandé si j'avais ma carte dans un parti politique. Je lui ai répondu que, depuis que je suis fonctionnaire au ministère de l'intérieur, je milite surtout pour l'impartialité de l'Etat. Ce à quoi il m'avait rétorqué que cela n'était pas la plus mauvaise façon d'être républicain. Je garde de cet échange un vif souvenir et je le considère, en quelque sorte, comme une feuille de route. »
Isabelle Mandraud, pour Le Monde
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