Les « marcheuses » faisaient bien tourner la boutique…
Plusieurs « marcheuses », comme les ont appelées les présentatrices d’Envoyé spécial en janvier 2006, d’après un sujet du Monde de novembre 2005, à lire ci-dessous, (en fait le surnom donné par la police aux prostituées chinoises qui font le trottoir, au sens strict du terme) ont été attrapées à Belleville sur leur « lieu de travail », en l’occurrence un appartement.
Un modeste appartement de la rue du Faubourg-Saint-Martin, dans le 10e, qui était devenue une véritable maison de passe. Mercredi soir, la policiers de la brigade de répression du proxénétisme y ont fait une descente, après avoir entendu plusieurs clients. Un travail en profondeur.
Deux prostituées chinoises (et leurs « logeuses ») ont été interpellées. Occupantes en titre de l'appartement, ces deux sœurs, de 42 et 45 ans, de nationalité chinoise, louaient l'appartement à leurs compatriotes qui se prostituaient. A 20 € la passe, il y avait du monde pour faire le compte ! Car la police s’est aperçu que les « logeuses » (sans revenu officiel) avaient envoyé en Chine environ 16 000 € depuis le début de l’année, soit l’équivalent de trois passes par jour ! Elles ont été présentées au parquet pour proxénétisme aggravé.
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Depuis début 2004, Médecins du Monde a instauré le Lotus Bus (ici à Belleville), qui tourne trois fois par smaine sur les 10e, 12e et 20e arondissements. Une mission qui vise les prostituées chinoises.
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Les discrètes « marcheuses » de Belleville ou de la porte Dorée
N les appelle les « marcheuses » : soucieuses de ne pas attirer l'attention de la police, elles font le trottoir mine de rien, avec l'air de se promener. Parfois à deux, bras dessus, bras dessous, mais souvent seules, elles arpentent les rues de Paris en se faisant le plus discrètes possible, sans rien de sexy dans le vêtement, ni de racoleur dans l'allure. Les prostituées chinoises sont les dernières arrivées, parmi les milliers de migrants, victimes ou bénéficiaires de l'immense vague déclenchée depuis la politique d'ouverture - commerciale et frontalière - de l'ancienne République maoïste. Les premières prostituées chinoises sont apparues dans le quartier de Belleville (20e arrondissement), il y a sept ou huit ans. En 2003, elles n'étaient pas plus de 100, selon les estimations des services de la préfecture de police. Mais aujourd'hui, « on pense qu'elles sont plusieurs centaines mais c'est très difficile à dire car le turn-over est important. Il y a toujours des nouvelles têtes et d'autres qu'on ne revoit plus », souligne Marie Debrus, responsable à Médecins du monde (MDM) de la mission dite « Lotus bus », lancée en janvier 2004. Trois fois par semaine, l'autobus en question fait le tour des quartiers de Belleville, mais aussi de la République (10e arrondissement) et de la Porte Dorée (12e arrondissement). « Au début, elles viennent pour avoir des préservatifs. Mais on les informe aussi de leurs droits, comme la couverture maladie universelle (CMU) ou l'aide médicale Etat (AME) », explique la responsable de MDM. Dans leur étude, publiée en mars par le Bureau international du travail (BIT), sur Le trafic et l'exploitation des immigrants chinois en France, Gao Yun et Véronique Poisson notent que c'est à partir de 1997 que le phénomène s'est développé, avec l'arrivée en France des émigrées du Dongbei (ex-Mandchourie). Dans cette région de la Chine du Nord, des millions de salariés des usines d'Etat, des femmes le plus souvent, se sont retrouvés au chômage, victimes de la restructuration de l'industrie. Parmi les arpenteuses de Belleville, beaucoup, dans une autre vie, ont été cadres ou employées. La plupart ont laissé en Chine leurs enfants - dont elles veulent payer les études. Méprisées par la communauté chinoise, en particulier par les commerçants du Zhejiang, elles font sans doute partie de la catégorie la plus vulnérable des immigrants de l'Empire céleste. Ne parlant pas le français et venant d'un pays où tout se monnaye et s'achète, elles sont une proie facile pour les arnaqueurs aux petits pieds comme pour les mafieux patentés. « Elles ont du mal à comprendre qu'on puisse les aider gratuitement et, plus encore, qu'elles ont des droits », ajoute Marie Debrus. Le droit, par exemple, de refuser de signer le procès-verbal qu'a rédigé le policier, les accusant de racolage - parfois sous le simple prétexte « d'avoir trouvé des capotes » dans le sac à main de l'interpellée. « Elles ignorent presque tout, y compris la durée légale d'une garde à vue », précise la responsable, qui dénonce ce qu'elle juge relever du « harcèlement policier » et face à quoi ces jeunes femmes, totalement démunies, ne savent pas se défendre. Dans leur étude pour le BIT, Gao Yun et Véronique Poisson citent le cas d'une prostituée de Belleville qui a accepté d'habiter chez un de ses clients, « d'origine turque, mais de nationalité française », dans l'espoir d'un mariage qui lui permettrait de régulariser sa situation. « En réalité, concluent les deux chercheuses, elle n'a pas d'autre souhait qu'obtenir au plus tôt une carte de séjour, afin de pouvoir travailler comme tout le monde. »
© Le Monde daté du 18 novembre 2005, photo Médecins du Monde.
A lire :
⇒ Belleville à l'heure chinoise
⇒ Le rapport du BIT (140 pages)
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