Vingt-sept ans après l'explosion qui avait tué quatre personnes en plein Paris, la justice est sur la piste d'un Palestinien vivant au Canada. Le chef du commando ayant perpétré l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic, le 3 octobre 1980, vit paisiblement au Canada après de longues années passées aux États-Unis. Et les services antiterroristes français, qui n'ont jamais clos l'enquête, ont bien l'intention de troubler sa retraite.
Une commission rogatoire internationale a été délivrée le mois dernier aux services enquêteurs (DST et brigade criminelle) pour recueillir des informations sur son séjour aux États-Unis. Les policiers s'efforcent aussi de rassembler des éléments permettant de le confondre (empreintes digitales, spécimens d'écritures, traces ADN). Un exercice ingrat qui prendra des mois.
Le suspect, d'origine palestinienne, âgé aujourd'hui de 55 ans, possède la double nationalité libanaise et canadienne. Il y a 27 ans, il militait dans les rangs d'un groupuscule terroriste palestinien né dans les années 1970, le Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales (FPLP-OS), hostile à Yasser Arafat. En septembre-octobre 1980, il a confectionné l'engin explosif déposé à quelques mètres de la synagogue de l'Union libérale israélite. Ce vendredi 3 octobre 1980, vers 18h40, la bombe, déposée dans la sacoche d'une moto, avait tué 4 personnes (3 Français, Jean-Philippe Bouissou, Jean-Ernest Barbé, Ilario Lopez-Fernandez, et une jeune Israélienne, Aliza Shagrir) et en avait blessé une vingtaine. Quelques minutes plus tard, le carnage aurait été bien pire avec la sortie de la synagogue des 320 fidèles, dont de nombreux enfants, réunis en cette veille de Shabbat.
Chaussée ensanglantée, vitrines en miettes, voitures se consumant dans des nuages de fumée : c'est une vraie scène de guerre en plein coeur du 16e arrondissement que les policiers découvrent. L'explosif, de la penthrite, semble indiquer qu'il s'agit d'un travail de professionnel. L'émotion est grande devant cet attentat antisémite. Le premier ministre, Raymond Barre, prononce sa fameuse phrase sur les « Français innocents » qui lui sera reprochée un quart de siècle durant. Le 4 octobre 1980, 200 000 personnes défilent dans les rues de la capitale. Un appel anonyme a revendiqué l'action au nom des faisceaux nationalistes européens, groupuscule néonazi issu de la fédération anarchiste nationaliste européenne (FANE) dissoute depuis peu.
Un suspect pas très discret
La thèse d'une action d'extrême droite, écartée en dépit de multiples « révélations », compliquera longtemps une enquête empoisonnée par l'élection présidentielle de 1981. Les enquêteurs sont très vite convaincus que la bonne piste est celle du terrorisme palestinien. Ils se fondent sur des renseignements de services « amis », sur la nature de l'explosif utilisé et sur le mode opératoire digne de terroristes professionnels. L'enquête permet surtout de dresser le portrait-robot d'un homme d'un mètre soixante-dix, d'origine arabe. Le suspect n'a pas été très discret. Il a été vu déposer la moto avant l'explosion. Dans les jours qui ont précédé, il se paie les services d'une prostituée et se fait appréhender par un vigile pour avoir tenté de voler une pince coupante d'électricien ! Il a surtout acheté la moto de l'attentat sous le nom d'Alexander Panadriyu, citoyen chypriote et loue une voiture sous celui de Joseph Matthias, toujours chypriote. Dans le Beyrouth de l'époque, les terroristes de tout poil sont friands de ces faux passeports chypriotes.
En ce mois d'octobre 1980, Alexander-Joseph s'évanouit dans la nature. Mais les services ont de la mémoire. L'Allemagne « achète », dans des circonstances encore inconnues, un document de grande valeur, le fichier du FPLP-OS, et le met à disposition des pays amis (États-Unis, Royaume-Uni, France, Israël...). La justice française semble avoir tardé à exploiter ces informations. Y figurent les noms du commando de la rue Copernic. Certains sont morts aujourd'hui, d'autres résident dans des pays peu hospitaliers. Mais son chef Alexander-Joseph n'est autre que notre Libano-Canadien. L'Italie fournit aussi à Paris une copie d'un passeport utilisé en 1980 par ce dernier : la photo correspond trait pour trait au portrait-robot de la rue Copernic, et des visas établissent qu'il était bien présent en France au moment des faits. Ironie de l'histoire : l'homme, soupçonné également d'avoir participé à l'attentat perpétré en 1981 contre la bourse de diamant d'Anvers, a de bonnes chances de continuer sa paisible existence.
Jean Chichizola, pour Le Figaro
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⇒ Pour écouter les explications juridiques et techniques de Jean-Alphonse Richard (RTL) cliquer ici, puis en haut à droite de l’écran, là où est écrit « Explications : La police française sur la piste d'un suspect au Canada.- J-A.Richard). »
⇒ Pour visionner le JT de 20heures de TF1 du 3 octobre 1980, présenté par Dominique Baudis, cliquer ICI.
⇒ L’attentat du 3 octobre 1980 était certes un vendredi soir (début de Shabbat), mais, dans le calendrier hébraïque,il correspondait aussi à la fête de Simh’at Torah, à savoir la lecture de la dernière section du Pentateuque, …et le recommencement de la première. Fête qui, cette année, tombait la semaine dernière, le 5 octobre 2007.
⇒ Premier ministre à l’époque des faits, le défunt Raymond Barre avait évoqué sur TF1 «… un attentat odieux qui voulait frapper les Juifs se trouvant dans cette synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ». Pour, le 8 octobre devant l’Assemblée nationale, assurer ses « compatriotes juifs » de la « sympathie de l'ensemble de la nation ». Dans un entretien du 20 février dernier, diffusé sur France Culture le 1er mars, il avait tenté d’expliquer : « C’était des Français qui circulaient dans la rue et qui se trouvent fauchés parce qu’on veut faire sauter une synagogue. Alors, ceux qui voulaient s’en prendre aux Juifs, ils auraient pu faire sauter la synagogue et les Juifs. Mais pas du tout, ils font un attentat aveugle et y a trois Français, non juifs, c’est une réalité, non juifs. Et cela ne veut pas dire que les Juifs, eux ne sont pas Français ». Diverses dérives douteuses sont relevées ici.
⇒ A lire, sur le site du CRIF, un entretien du 2 mars 2003 intitulé Raymond Barre et « les Français innocents » de l’attentat de la rue Copernic.
⇒ Pour en savoir davantage sur les mouvances de l’extrême droite française de 1972 à nos jours, qui avait été mise en cause à l'époque, cliquer ici.
⇒ En décembre 1985, un autre attentat dans la même rue a été déjoué.
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