Objectif : - 2 millions de pauvres
Il est des taux qui, loin du CAC 40, n'intéressent personne. L'évolution du taux de pauvreté est de ceux-là. Publié par l'Insee en juillet, il est encore passé inaperçu. Pourtant, il n'aurait pas dû laisser insensible : au cours de la dernière année connue, 2005, le taux de pauvreté s'est sensiblement aggravé passant de 11,7 % à 12,1 %. La hausse la plus significative depuis que ses statistiques existent. Pour être clair, 260 000 personnes sont devenues pauvres.
Le silence qui accompagne la publication de ces données est toujours surprenant. Pas un journal ne les a reprises. Pas un acteur social ne s'en est saisi. Pas un responsable politique ne s'en est ému. Ce n'est pas la première fois que ces chiffres sont rendus publics dans l'indifférence. Quel contraste avec d'autres statistiques, comme celles du chômage ou du commerce extérieur, qui suscitent commentaires et polémiques. On s'intéresse aux cours de la Bourse au jour le jour et même pas une fois l'an, quand elles paraissent, aux statistiques de la pauvreté.
Ce silence est malheureusement éloquent. Comme si la pauvreté n'était pas un paramètre digne d'intérêt. Or, une variable qu'on ignore est aussi une variable sur laquelle on refuse d'agir et a fortiori de rendre des comptes. C'est d'autant plus troublant que plus nombreux sont ceux qui désormais préconisent que les indicateurs sociaux soient portés au même rang de priorité que les indicateurs économiques ou financiers classiques. En France, comme en Europe.
Prenons date pour que cette année constitue une dernière année de silence. En 2008, il sera peut-être impossible de s'abstenir de commenter l'évolution de la pauvreté. Pourquoi ? Parce que pour la première fois, un objectif de réduction de la pauvreté au cours d'une législature a été officiellement et publiquement retenu par le président de la République et le premier ministre. Fixé à - 30 % sur cinq ans, il correspond à 2 millions de personnes sorties de la pauvreté. Soit combien d'enfants ? Combien de travailleurs pauvres ? Combien de familles monoparentales ? Ce sont toutes ces données, les mesures prises, leurs effets qui pourront être analysés, jugés à l'aune de cet objectif assumé...
Fixer un objectif, cela force à le suivre. Cela permet aussi aux acteurs ou observateurs - pour peu qu'ils s'y intéressent - de mesurer le chemin parcouru ou de déplorer les écarts constatés et de suggérer les mesures correctrices. L'enjeu social, trop négligé, devient alors enjeu politique.
Fixer un objectif, cela oblige à voir au grand jour où la pauvreté sévit le plus. Dans quelles tranches d'âge. Dans quelles catégories, et donc de débusquer les mécanismes qui la créent pour mettre en place ceux qui la combattent. C'est ce que nous avons entrepris. Avec une attention particulière portée aux travailleurs pauvres. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'une population charnière. Laisser croître la pauvreté au travail, c'est aussi rendre illusoire tout volontarisme en faveur du retour à l'emploi de ceux qui en sont éloignés et c'est laisser augmenter les clivages organisés autour de protections de plus en plus fragiles.
C'est à ces clivages que le revenu de solidarité active doit contribuer à répondre. Il a été conçu pour supprimer les trappes à pauvreté, faire en sorte que, pour ceux qui sont à l'âge actif, le travail constitue le socle des revenus auquel la solidarité nationale n'a pas à se substituer, mais qu'elle doit compléter. C'est le sens de la réforme qui vient d'être engagée et qui concernera les minima sociaux, la prime pour l'emploi et de multiples aides qui s'enchevêtrent aujourd'hui. Notamment celles qui sont liées à ce qu'on a du mal à se résoudre à qualifier de statut - chômeur, allocataire du RMI, bénéficiaire de l'allocation parent isolé - et qui empêchent souvent d'en sortir. En témoigne cette personne qui m'écrivait récemment être prête à rembourser les 11 euros d'augmentation de son revenu mensuel qui lui avaient fait perdre le bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire.
La première étape est volontairement expérimentale. La loi ouvre à un quart des départements de notre pays la possibilité de conduire ces expérimentations. On a raillé les 25 millions d'euros consacrés par l'Etat à ces programmes la première année. J'assume le choix de cette méthode. En me demandant d'entrer au gouvernement, le président de la République m'avait interrogé sur le calendrier, suggérant que le revenu de solidarité active entre en vigueur dès le 1er janvier 2008.
J'avais plaidé pour une première phase d'expérimentation : réduire la pauvreté en privilégiant le retour au travail suppose des changements profonds dans la conception des prestations sociales, dans les politiques d'accompagnement des personnes en difficulté, dans l'approche des entreprises, dans le fonctionnement des politiques publiques, dans les habitudes. Un allocataire du RMI qui recherche un emploi peut être dépendant de dix organismes différents : conseil général, caisse d'allocations familiales, caisse primaire d'assurance maladie, ANPE, Assedic, centre communal d'action sociale, organisme d'accompagnement, centre de formation et quelques autres...
Chacun détient une clé parmi les dix serrures qui cadenassent une porte, verrouillée par des règlements et des préjugés. Nous recevons d'ailleurs chaque jour des témoignages qui l'illustrent. Telle allocation retirée à une personne handicapée reprenant du travail. Telle aide au logement qui diminue quand les revenus baissent ! Telle autre qui disparaît quand on franchit de 1 euro un seuil de ressources. Il faut d'abord prendre les mesures d'assainissement avant d'injecter des ressources nouvelles pour qu'elles soient vraiment utiles.
La phase d'expérimentation ne sera pas du temps perdu. Pendant toute cette période, les acteurs de terrain, y compris les bénéficiaires de ces politiques, seront les co-concepteurs d'une nouvelle réforme : les premières expérimentations montrent que ceux qui subissent les « effets de seuil » dans leurs efforts quotidiens pour s'en sortir sont ceux qui voient le mieux et le plus vite pourquoi il faut remettre à l'endroit le système de solidarité. Si les programmes menés montrent une tendance favorable, confirmée par les évaluateurs indépendants qui supervisent leur mise en œuvre, nous aurons alors des arguments forts pour enclencher une réforme d'ensemble qui concernera des millions de personnes, pour lesquelles le seuil de pauvreté est devenu un plafond, les minima sociaux des maxima.
Nous n'avons jamais prétendu que le revenu de solidarité active suffirait à lui seul à combattre les différentes formes de pauvreté. Nous estimons tout de même que, bien conçu, il devrait faire franchir ce seuil à environ 700 000 personnes. Soit un tiers de l'objectif fixé pour le quinquennat. Il faudra également un effort particulièrement marqué pour les jeunes de 18 à 24 ans - tranche d'âge dans laquelle la pauvreté est désormais de loin la plus marquée -, pour les familles les plus vulnérables et pour les personnes les plus âgées. D'où l'importance de favoriser le travail, et donc la création de richesses, et, simultanément, d'ajuster les mécanismes de redistribution en fonction de priorités dictées par la réduction de la pauvreté. Notre pays en a les moyens, dès lors qu'il en a la volonté.
C'est pourquoi, parallèlement au lancement des programmes expérimentaux dans les départements, nous commençons dès maintenant les discussions avec les partenaires sociaux, collectivités territoriales, acteurs économiques, réseaux associatifs pour que l'objectif de réduction de la pauvreté devienne un objectif commun avec une méthode et des actions partagées. Pas pour diluer la responsabilité de l'Etat, désormais assumée politiquement, mais pour élaborer une démarche concertée entre ceux qui détiennent les clés de la lutte contre la pauvreté.
Avec l'année prochaine, l'espoir que de vraies critiques, analyses et propositions accueillent la publication des chiffres de la pauvreté... et la conviction que nous pourrons alors les améliorer sensiblement.
Martin Hirsch, dans Le Monde daté du 1er septembre (Photo © Sipa)
A lire :
• « Peser à 100 % pour que le RSA devienne une réalité » dans Témoignages du 22 mai 2007
• Le rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale 2005-2006 (La Documentation française)
• La France en faits et chiffres (Insee)
• Taux de pauvreté (Insee)
même didactique, je trouve ce texte très beau ...merci de nous en avoir fait profiter...
Rédigé par : valérie | 01/09/2007 à 15h25
@valérie,
Martin Hirsch, bien que n’ayant pas encore 44 ans, n’est pas né de la dernière pluie et a notamment, voici dix ans, travaillé avec Martine Aubry et Bernard Kouchner…
http://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Hirsch
Personnellement, je ne pense pas que, en publiant cette tribune dans Le Monde, il ait cherché particulièrement à sensibiliser les lecteurs de ce journal, mais plutôt Alain Minc, proche du président de la République, afin de lui signaler qu’il n’y a pas que le patronat et le CAC 40 dans la vie.
Même s’il est en sommeil depuis le 19 mai dernier, je t’invite à jeter un œil sur son blogue personnel qui se trouve ici :
http://martinhirsch.blogs.nouvelobs.com/
… et te remercie pour ton commentaire.
Je n’ai pas pour habitude de passer de façon « brute » des messages gouvernementaux ou émanant d’un quelconque membre du gouvernement. Mais celui-ci m’a paru suffisamment important pour être signalé et publié dans son intégralité et dans son intégrité.
Martin Hirsch ayant un titre bizarroïde de « Haut commissaire », il serait bon, j’estime, qu’il soit au moins aussi entendu que le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU.
Rédigé par : Le ouaibemaître | 01/09/2007 à 16h33