Deux ouvrages sur ceux qui nous gouvernent
Alors que le président de la république se rendait à Cannes pour présider le 24e sommet France-Afrique, était disponible en librairie le livre-entretien de Pierre Péan « Chirac, l’inconnu de l’Elysée » (Fayard, 23,00 €). Deux semaines plus tôt se trouvait en librairie un ouvrage sur la fille la plus connue de Jacques Chirac, Claude, « L’égérie : l’énigme Claude Chirac » de Renaud Revel (Lattès, 16,00 €).
Déjà, en septembre 2000, était paru chez Grasset « Chirac père & fille », de Claude Angeli et Stéphanie Mesnier, dont voici le début.
Le film de John-Paul Lepers sur Bernadette Chirac (« Madâme »), projeté depuis le 10 janvier dans un seul cinéma en France, devrait durer jusqu'à fin février au moins. Au cinéma L'Entrepôt, 7 rue de Pressensé (14e arrondissement, 01 45 40 60 70, Métro Pernéty). Davantage de renseignements sur le blogue de John-Paul Lepers.
N’ayant pas lu ces deux sommes, je vous laisse le soin de lire d’une part les réflexions de Jacques Julliard dans le « Nouvel Observateur » de ce jeudi sur le livre consacré au Président, d’autre part le sujet publié en exclusivité par Christophe Barbier dans « L’Express » du 31 janvier, à l’occasion du livre sur la fille, l’auteur de l’ouvrage étant un rédacteur en chef du journal dirigé par Chistophe Barbier. Deux points de vue, intéressants, forcément opposés… De la lecture en ce 15 février, jour de fête des Claude.
F.A.
Dessin © Placide
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A propos du livre de Pierre Péan sur Jacques Chirac
Chirac en homme de l'art
Du cul des vaches corréziennes jusqu’au "Manyo-shu", recueil de poésies de cour japonaises, l’écart est grand. Et on retrouve le même dans sa politique.
JACQUES CHIRAC est un passionné d’art et de civilisations qui cultive avec soin, pour avoir la paix, la réputation d’inculture que des journalistes ignares lui ont faite ; c’est aussi un homme de gauche contrarié, comme il y a des gauchers contrariés, qui, après avoir secoué la tutelle des Juillet, des Garaud, des Balladur, est revenu à ses anciennes amours. Voilà, résumé en peu de mots, le plaidoyer –car c’est un plaidoye – que Pierre Péan, connu pour être un enquêteur impitoyable et talentueux, vient de consacrer à Jacques Chirac sous le titre "l’Inconnu de l’Elysée".
J’ai envie de dire: enfin ! Car il est peu d’hommes politiques dans l’histoire récente, à l’exception peut-être de François Mitterrand, qui aient été à ce point victimes de la verve mesquine des chroniqueurs et de leur tropisme vers les arrière-cuisines. Pour ma part, je le confesse, je ne goûte guère cette littérature du "comme si vous y étiez". Car soyez sûrs que vous n’y serez jamais ! J’ajoute que, bien qu’appartenant au camp opposé, je n’ai jamais caché la sympathie que m’inspirait un homme à la générosité véritable, doté d’un anticonformisme plus difficile à pratiquer quand on campe à droite que lorsque l’on est installé à gauche. Je ne participerai donc pas à l’hallali.
La partie la plus originale de l’enquête de Pierre Péan, appuyée sur douze entretiens avec le président, est la première, consacrée à ses goûts culturels, dont l’achèvement du Musée du Quai-Branly, couronné par le succès public, est l’ultime manifeste.
La culture de Jacques Chirac se déploie en dehors du champ traditionnel défini par les humanités occidentales. De ce point de vue, c’est l’anti-Mitterrand. Pas de goût marqué pour la peinture et la littérature classiques. Encore moins pour la musique du même nom (Mitterrand non plus d’ailleurs ; à ma connaissance, nous n’avons jamais eu de président mélomane). Mais une incroyable passion pour l’Extrême-Orient, Chine et surtout Japon, ainsi que pour les civilisations dites primitives, des Dogons du Mali aux Inuits de l’Arctique et aux Taïnos de l’arc caraïbe. Sans parler de son goût pour la paléontologie, de ses relations avec Yves Coppens et Michel Brunet, l’inventeur de Toumaï. Du cul des vaches corréziennes jusqu’au "Manyo-shu", recueil de poésies de cour japonaises des VIIe et VIIIe siècles, l’écart est grand. Comme chez Claudel, en somme. C’est le même écart que l’on retrouve dans sa politique, écartelée entre l’infiniment petit (la cuisine politicienne) et l’envolée lyrique vers l’Ailleurs, pas très loin de Malraux… Je note encore que ce catholique est plus attiré par les arcanes du bouddhisme, du judaïsme et de l’islam que par les mystères de sa foi.
A travers le prisme bienveillant de Pierre Péan, la politique de Jacques Chirac est à l’image de sa culture. L’auteur ne nie pas – comment le ferait-il ? – le côté sabreur (samouraï ?) du personnage, se frayant d’estoc et de taille un chemin jusqu’à l’Elysée, culbutant tout ce qui lui fait obstacle. S’il avait été maréchal d’Empire, c’est à Murat qu’il eût ressemblé.
Arrivé là, c’est bien vite à la politique étrangère qu’il s’adonne avec le plus de plaisir. Faute d’une politique économique cohérente, il ne réduit pas la "fracture sociale". Il ne l’accroît pas non plus. Mais, avec les moyens du bord, il intervient dans les affaires du monde avec pour mots d’ordre la tolérance, le dialogue des cultures et, par conséquent, le multilatéralisme. C’est lui qui donne le déclic qui met fin à l’affreuse guerre de Bosnie et qui appuie, avec l’aide des Américains, le sursaut indépendantiste du Liban. Surtout, il a évité à la France de s’embourber en Irak avec les Américains. Quel autre président aurait eu ce courage ? Au moment où la meute des chiens couchants s’apprête à l’assaut final, j’ai voulu, en suivant Péan, lui rendre hommage : l’histoire le traitera mieux que ses contemporains.
Jacques Julliard
Lire également ICI.
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Claude Chirac jeune fille au père
Que fera-t-elle après mai? Vivre enfin? Dans L'Egérie (Lattès) - dont L'Express publie des extraits - Renaud Revel retrace le parcours, chaotique et acharné, de celle qui fit les succès du président. « Pygmalionne », sa vie, son œuvre.
Au soir de sa vie, au bout de son destin, Jacques Chirac, peut-être, ne s'explique bien que par ses filles. Plus que tout autre politique, cet homme, dont la vie publique a dévoré chaque minute d'existence, fut un chef de clan. Depuis quarante ans, les chiraquiens ont chassé en meute, mais les Chirac ont résisté en famille. Or l'on ne connaît pas les filles Chirac. On ne voit jamais Laurence, parce qu'elle est toujours absente. Mais on ne voit guère plus Claude, parce qu'elle est omniprésente.
Frappée d'anorexie à l'adolescence, Laurence Chirac traverse la vie de son père comme un fantôme. Il en éprouve à la fois une douleur, une angoisse et un remords. Pour les Français, les victoires et les défaites électorales ont rythmé la carrière du président; mais lui compte sans doute les hauts et les bas de sa vie aux rémissions fragiles et aux suicides ratés de sa fille aînée. «C'est elle qui ressemblait à son père», confie Bernadette. Le président n'a jamais parlé d'elle publiquement, mais s'en est toujours occupé, et si le patrimoine familial fut un peu écorné entre 1995 et 2002, c'est parce que le suivi de Laurence avait entraîné de lourds frais.
Laurence est la preuve que Chirac n'a pas été heureux, Claude est la preuve qu'il n'a jamais renoncé. A partir de 1988, après le fiasco de la présidentielle, la cadette prend en main le sort politique de son père, le reconstruit, le réforme, le relooke, en fait un produit moderne et consommable. En 1995, la mue est accomplie et la victoire, au rendez-vous. Claude Chirac est devenue la mère de son père, muse élyséenne: c'est le triomphe de « Pygmalionne ».
Dans L'Egérie. L'énigme Claude Chirac (Lattès), Renaud Revel, rédacteur en chef à L'Express, retrace l'étrange et sinueux parcours de la fille du président. Elle y apparaît dure, entière et passionnée, capable de s'enflammer pour le dalaï-lama et de jeter un soupirant avec brutalité. Ses amis sont de la jet-set et de la nuit. Sa vraie jeunesse, elle la consume à Los Angeles, dans les années 1980. Line Renaud la chaperonne en douceur. Elle y vit les torpeurs amoureuses et fêtardes de son âge dans les boîtes à la mode, avec Stéphanie de Monaco et Christophe Lambert, en des relations passionnées, avec Anthony Delon, Paul Belmondo, un designer sur le retour, un ancien mannequin devenu restaurateur ou le fils de Gregory Peck. Elle découvre aussi, aux Etats-Unis, une vie politique en couleurs, loin des raideurs cravatées de Paris. D'une convention républicaine qui la fascine à un stage dans l'équipe californienne de Ronald Reagan, elle apprend le job. Jacques Chirac sera son cobaye et son chef-d'œuvre.
Car L'Egérie montre bien comment Claude a pris l'ascendant sur son père. Les Guignols de Canal virent juste, qui la campèrent en gouvernante autocrate du nourrisson Chirac. Lors d'un voyage officiel à Tokyo, elle le tance par portables interposés, elle le téléguide: «Tiens-toi, tu veux. Ne déconne pas. Evite d'aller te vautrer avec je ne sais qui. Avec toutes ces traînées qui te courent aux fesses!»
Claude Chirac n'est pas une femme d'idées, mais d'imagesLibre de ses choix stratégiques, Jacques Chirac ne l'est pas pour sa communication. Or Claude n'est pas une femme d'idées, c'est une femme d'images. Elle a chassé de l'expression présidentielle toutes les figures spontanées, toutes les prises de risque. La période 1995-2007 demeurera comme une ère glaciaire de la communication élyséenne. Le président n'a pas rédigé de livre, il a donné à la presse écrite une poignée d'interviews retouchées jusqu'à la moindre virgule et s'est contenté à la télévision des vœux du 31 décembre, de l'interview du 14 Juillet et d'apparitions exceptionnelles, chaque fois mises en scène, mais pas toujours réussies.
Non que le président soit muet - les discours sont légion - c'est le débat qu'il fuit, protégé par sa fille. Au grand congélateur des idées et des arguments, ce sont douze années de controverses et de disputes, de démocratie en fait, qui auront été enfermées. Aujourd'hui, il s'agit de faire une fin: la belle allocution sur les Justes, le 18 janvier, la conférence réussie, le 25, sur le Liban, celle de cette semaine sur l'environnement, un dernier sommet franco-africain le 15 février et un ultime Congrès le 19 ou le 26 pour bricoler la Constitution; ensuite et enfin, les mots pour dire qu'il ne serait pas raisonnable de briguer un troisième mandat.
A moins que... Mais déjà l' «égérie» songe à la vie d'après, où elle retrouvera sans doute cette côte Ouest des States. C'est là, à coup sûr, qu'elle fut le plus heureuse - ou le moins seule. Après avoir construit la vie de son père, peut-être alors aura-t-elle le temps de songer à la sienne.
Dès l'élection de Jacques Chirac en 1995, le ton est donné: Bernadette regagne la coulisse. De concert avec Dominique de Villepin, Claude impose que sa mère ne soit pas du déjeuner organisé avec les jeunes, le 14 Juillet: pas question de transformer cette opération de communication en un jamboree scout. C'est l'un des sbires de Claude Chirac qui se chargea de transmettre le message en expliquant, avec moult circonlocutions, à la première dame de France que sa présence, jugée inopportune, donnerait aux jeunes le sentiment d'avoir en face d'eux «papa, maman et les enfants». Bernadette supporte de moins en moins les échanges interminables entre Claude et son père, à l'abri des portes capitonnées. Le soir venu, à l'heure du dîner, elle s'agace de leurs sourires en coin et de leurs apartés: «Mais qu'avez-vous donc à pouffer comme des idiots?» Combien de fois Claude s'est-elle amusée, sous le regard complice de son père, à essayer de faire dire à sa mère un mot incongru, glissé dans le flot de la conversation: bidet, pognon, courgette... [...]
Lors de la garden-party du 14 juillet 1998, Jacques Chirac semble sincèrement surpris par l'absence remarquée de Bernadette, qui a disparu depuis le matin. Une absence d'autant plus surprenante que les cartons d'invitation avaient été adressés, comme de coutume, aux noms du président de la République et de Madame. Quelques heures auparavant, Bernadette Chirac avait également boudé le défilé militaire, place de la Concorde. Que s'était-il donc passé? L'épouse du président de la République n'avait pas digéré d'avoir été interdite de Stade de France, quatre jours plus tôt, lors de la finale de la Coupe du monde de football. Un événement trop festif, trop glamour, et donc trop décalé pour Bernadette et son «look mémère», avait jugé Claude. Bernadette avait décidé, du coup, de boycotter le raout élyséen, prétextant un saut de puce en Corrèze, où se déroulait alors une épreuve contre la montre du Tour de France cycliste.
Claude contre le mariage
Caser Claude! Très tôt, Bernadette a cherché à marier sa cadette. Ah, un mariage avec une illustre famille! Un capitaine d'industrie, un ténor de la haute finance... Et pourquoi pas l'un des héritiers d'une grande couronne européenne? Rien qui enthousiasme Claude. Un jour, elle explose devant sa mère, assise à côté d'elle sur la banquette arrière de la voiture qui les ramène au domicile familial. L'échange est si vif que Claude claque la portière, en larmes, à un feu rouge, après que sa mère lui a fait la leçon, une nouvelle fois. «J'ai bien réfléchi, Claude...» Et de lui souffler dans le creux de l'oreille le nom d'un éventuel prétendant: Jean-François Decaux, le fils aîné du magnat de l'affichage, un «beau parti, tu sais». «C'est cela, vous voulez absolument me vendre, toi et papa!» hurle la jeune fille, avant que sa mère, dans une ultime maladresse, tente de l'amadouer, ajoutant dans un murmure: «Il y a aussi le petit Pinault, tu sais...» - le fils de l'industriel François Pinault, un ami des Chirac. [...] A cette époque, Bernadette tente même de la convaincre de regarder «d'un peu plus près» le jeune prince Albert de Monaco. Et d'imaginer les couvertures de Match ou de Point de vue: «Un Grimaldi épousant une Courcel...» On peut rêver.
Claude contre Edouard Stern
[...] Invitée un soir à dîner par le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, en compagnie d'un groupe d'intellectuels et de quelques personnalités du monde de l'industrie et de la haute finance, Claude se retrouve assise à côté de l'illustre banquier Edouard Stern. Lequel se lance, durant le repas et sous le regard embarrassé d'une bonne partie des convives, dans une longue diatribe contre son père. Claude, qui ne s'est pas présentée et dont le visage reste peu connu, non seulement du grand public, mais également d'une large partie de l'establishment, n'ouvre pas la bouche. Mais c'est blanche comme un linge qu'elle se dirige vers son voisin à la fin de la soirée pour lui lancer en pleine figure, avant de tourner les talons et de quitter le ministère: «Je suis Claude, vous savez, la fille de l'autre, dont vous avez si élégamment parlé toute la soirée!»
Christophe Barbier
A lire également, le dossier de « L'Express » du 14 février 2005 intitulé Le secret des Chirac, qui aurait pu s'appeler "Les secrets…", puisqu'il évoque aussi la mort de l'époux de Claude Chirac, un an après leur mariage (où Nicolas Sarkozy était le témoin de la fille du futur Président).
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