« C'est off. » Ministres ou conseillers, ils ne veulent pas être cités. Mais le constat est sur toutes les lèvres : le système de gouvernance de Nicolas Sarkozy s'essouffle. L'hyperprésidence atteint ses limites. La méthode devait permettre d'aller plus vite, en menant de front toutes les réformes à partir de l'Elysée. Au bout de deux ans, la machine semble se gripper. En attestent la multiplication des reculs (réforme des lycées, enseignement supérieur, travail du dimanche) et la chute de la cote du président dans les sondages.
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Nicolas Sarkozy avec Valérie Pécresse et Xavier Darcos, le 2 juin 2008, à Paris
Photo : Francois Mori (Pool/Reuters)
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L'Elysée ne parvient pas à assurer la mise en œuvre effective des mille et une réformes annoncées à grand renfort médiatique. L'intendance ne suit pas. « Une fois qu'on a décidé, on n'est pas capable de suivre les réformes. C'est humainement, administrativement, impossible », affirme un conseiller de l'Elysée.
Enfin, l'équipe gouvernementale est laminée, inaudible. Plusieurs ministres appellent à un changement d'équipe et de méthode, alors que le chef de l'Etat s'expose à tout propos, sans parvenir à montrer un cap. « Il faut reconstituer un gouvernement, un vrai, et placer un écran entre le président et les événements », exhorte un ministre. « Nicolas Sarkozy doit faire ce qu'il ne sait pas faire : travailler en équipe et valoriser ses ministres. La question est de savoir s'il est capable de se remettre en question après deux ans de pouvoir », estime un second. « Il faut accepter d'avoir des ministres qui soient des personnalités et qui peuvent dans une certaine limite mener une politique autonome », demande une troisième.
Le chef de l'Etat, qui attribue son impopularité et sa prudence accrue à la seule crise économique, dit ne rien vouloir changer. « Il est d'une sérénité absolue », estime un conseiller. Tout juste ce dernier concède-t-il qu'« il lui manque un Dominique Strauss-Kahn, qui occuperait le ministère de la parole économique avec talent ». Il lui manque aussi une Martine Aubry, une Elisabeth Guigou, un Jean-Pierre Chevènement, bref l'équipe qui avait fait le succès des débuts du gouvernement de Lionel Jospin. Mais à écouter l'entourage du président, aucune personnalité de poids ne serait à l'extérieur. Jean-Pierre Raffarin ? Il ne s'entend pas avec le président. Alain Juppé ? C'est un « vieux monsieur », ose-t-on.
Le manque de personnalités s'explique en partie par l'évolution des institutions. M. Jospin gouvernait sous un régime parlementaire, celui de la cohabitation, tandis que M. Sarkozy tire les conséquences d'institutions devenues quasi présidentielles avec l'introduction du quinquennat. « Un ministre m'a dit : "si tu revenais au gouvernement, tu ne reconnaîtrais par le job" », raconte Jean-François Copé, président du groupe UMP de l'Assemblée nationale.
Le système est déséquilibré par la faiblesse des contre-pouvoirs : les ministres sont en bail précaire alors que la désignation des secrétaires américains est confirmée par le Sénat, en général pour quatre ans, tandis que le Parlement n'exerce pas encore les pouvoirs dévolus par la Constitution révisée. « Le défi, c'est d'avoir en face de l'"hyperprésident" un "hyperparlement" sur lequel les ministres doivent s'appuyer », estime M. Copé.
M. Sarkozy bloque le système par son activisme et sa propension à s'entourer de personnalités qui lui doivent tout, comme l'analyse l'eurodéputé UMP Alain Lamassoure, grand déçu du sarkozysme : les fidèles historiques (Patrick Devedjian, Brice Hortefeux), ceux qu'il a tirés de l'anonymat (Rachida Dati, Rama Yade) et les transfuges, qui n'ont pas de possibilité de retour en arrière (Eric Besson, Bernard Kouchner). « Le seul type non humilié, c'est l'"ami" du président, Brice Hortefeux. Sinon, vous n'êtes rien. Ce système détruit l'idée de gouvernement », tranche l'ancien eurodéputé centriste Jean-Louis Bourlanges.
M. Sarkozy malmène ses ministres, les fait recadrer par Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée : la ministre des finances, Christine Lagarde, en a fait les frais à l'automne 2007, puis ce fut le tour, fin 2008, de la secrétaire d'Etat aux droits l'homme, Rama Yade. Mais la colère présidentielle vaut thérapie. « Sarkozy ne vire pas », constate une ministre.
Les remaniements au fil de l'eau sont anxiogènes et ne permettent pas de se débarrasser des maillons faibles. « Ce n'est pas très bon pour l'ambiance gouvernementale. On attend toujours le coup d'après », confie un secrétaire d'Etat qui, comme tous les secrétaires d'Etat, rêve de devenir ministre. « Ce ne sont pas les gens qui sont faibles, c'est l'organisation », résume-t-il.
Les membres du gouvernement sont soumis aux grands féodaux que sont les conseillers de l'Elysée (Raymond Soubie pour le social ; François Pérol, hier, Xavier Musca demain pour les finances ; Jean-David Levitte pour les affaires étrangères). « Les conseillers sont infiniment plus importants que les ministres », poursuit M. Copé.
La situation est compliquée pour Michèle Alliot-Marie (intérieur), Bernard Kouchner (affaires étrangères), Rachida Dati (justice), dont la mésentente avec leurs interlocuteurs respectifs (Claude Guéant, Jean-David Levitte, Patrick Ouart) est de notoriété publique. Quant aux ministres dont le "référent" n'est pas présent à la réunion décisive de 8h30, présidée par M. Guéant, ils se retrouvent sans relais fiable à l'Elysée. C'est le cas des pôles environnement (Jean-Louis Borloo, Chantal Jouanno) et éducation (Xavier Darcos, Valérie Pécresse). Leur seul recours est le lien direct avec M. Sarkozy, vers qui tout ramène.
Les annonces incessantes du président donnent l'illusion d'une équipe de choc qui ferait bouger la France. Mais l'administration résiste. Plutôt que de repenser leur propre organisation, l'Elysée mais aussi Matignon s'en prennent au conservatisme de la haute fonction publique. « Elle a du mal à changer rapidement de politique, suivre le train des réformes qu'on lui impose. Régulièrement, il faut rappeler à l'ensemble des structures que la volonté politique doit primer », déclarait le premier ministre François Fillon dans un entretien au Monde du 3 février.
Les esprits critiques n'osent pas aborder ces sujets avec le chef de l'Etat. « Les ministres ne disent rien, ils s'occupent de rester ministre », affirme un conseiller mécontent de la situation. On chuchote, on fait passer un message, en espérant que l'information remontera. Les réunions dites du G7, qui rassemblaient les ministres les mieux à même de vendre l'action du gouvernement, ne sont plus ce qu'elles étaient. « La dernière fois, nous avons été reçus par Claude Guéant », pour accorder la communication sur le sommet social, se lamente un participant. Et les réunions de travail ne prêtent pas à la critique. « Sarkozy ne s'exprime pas sur ses difficultés, confie une ministre. Les débats sont assez francs, mais tournés vers l'action. »
Arnaud Leparmentier, pour Le Monde du 28 février
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