Imaginez qu'un gouvernement légifère dans l'urgence pour obliger des salariés grévistes du secteur privé à retourner au travail dès le lendemain... Vous en réviez, un gouvernement dit de gauche vient de le faire, avec l'appui de ses opposants.
Depuis le 17 juin, les employés de l'industrie de la construction (terminologie locale du secteur du bâtiment) étaient en grève au Québec. Outre qu'ils ne voulaient pas qu'on touche à leurs conditions de travail, les syndicalistes réclamaient une augmentation de salaire de 3% la première année, de 2,75% ensuite. A titre indicatif, le coût de la vie a augmenté de 1,9% en un an au Québec. Par ailleurs, une étude montre que les salariés québécois ont bénéficié de moins de 27% d'augmentation salariale entre 2000 et 2010 lorsque les ontariens ont eu plus de 28% et que les canadiens en moyenne ont dépassé les 40% dans le secteur de la construction.
Devant l'échec des négociations, au premier jour de grève, la ministre en charge du Travail, Agnès Maltais, avait déclaré: «Il n'y a pas de loi spéciale. Il n'y en a pas en préparation, il n'y en a pas dans ma vision, il n'y en a pas dans ma tête. Il faut que ça se règle par la négociation». A l'attention du patronat et des syndicats, elle avait ajouté: «S'ils s'en vont dans le mur, c'est eux qui sont au volant».
Mme Maltais, tout comme la Première ministre Pauline Marois, est issue des rangs du Parti Québécois (PQ), au pouvoir depuis les élections de septembre 2012. Le PQ se définit comme social-démocrate, et peut à juste titre se considérer comme proche du PS en France. Mais pour gouverner, ils n'ont que 54 députés alors que l'Assemblée nationale compte 125 membres. Pour une meilleure compréhension, la composition de l'Assemblée depuis le 21 mai 2013 est détaillée ici.
Au bout d'une semaine de grève, les 41.000 travailleurs de la voirie et du génie civil trouvaient un accord: ils reprenaient le travail le mardi 25 juin. Ce même mardi, les 57.000 salariés du secteur résidentiel tombaient d'accord avec le patronat à leur tour: ils reprenaient le travail le mercredi 26 juin. Les 77.000 travailleurs du secteur institutionnel, eux, restaient en grève, sans aucun accord. En voyage au Mexique, la Première ministre indiquait le 28 juin vouloir toujours éviter une loi spéciale, que le Conseil du Patronat du Québec (CPQ) souhaitait.
Et le lendemain, samedi 29 juin, un communiqué destiné aux médias annonçait l'imminence d'une déclaration de Mme Maltais. C'est ainsi que fut confirmée la volonté gouvernementale de faire voter dans l'urgence une loi spéciale. L'Assemblée nationale, en vacances depuis quelques jours avant la Fête nationale du Québec (le 24 juin) fut convoquée pour le dimanche 30 juin, qui précédait le "Canada day" (la Fête du Canada a lieu le 1er juillet).
La loi, débattue et votée en une douzaine d'heures dans la nuit de dimanche à lundi à 00h34, prolonge d'un an la convention collective dans l'industrie de la construction -donc les employeurs ne peuvent pour l'instant pas, comme ils le souhaitaient, modifier les conditions de travail-, pose le principe d'une augmentation salariale de l'ordre du coût de la vie (2%) et inflige des amendes aux salariés, aux syndicats et aux employeurs qui ne respecteraient pas la loi. Cette loi spéciale est un compromis avec les partis d'opposition, tandis que les deux députés les plus à gauche de l'Assemblée nationale (Françoise David et Amir Kadir, de Québec Solidaire) se sont opposés à ce retour forcé au travail.
Les patrons sont satisfaits, les travailleurs beaucoup moins.
Fabien Abitbol
Il est quand même difficile de transposer les paramètres de la vie politique française au Québec.
Dans notre histoire française du droit du travail, comme tu le sais, le droit de grève est constitutionnel. Il ne peut être mis fin à une grève que par un protocole de fin de conflit signé entre l'employeur et les salariés grévistes ou leurs représentants.
Une décision judiciaire ne peut pas mettre fin à une grève, mais seulement à des expressions illégales du droit de grève (grève perlée, occupation de locaux, entrave à la liberté du travail, voies de fait diverses et variées).
Le pouvoir exécutif ne peut en aucun cas intervenir dans un conflit collectif du travail qui a lieu entre personnes de droit privé : ici, il y a un bémol qu'illustrent les péripéties des grèves dans les grands bassins d'emploi. En effet, comme tu le sais, l'Etat et ses collectivités territoriales ont des pouvoirs d'interventions économiques afin de préserver les bassins d'emploi - ces interventions économiques sont d'ailleurs placées sous le contrôle de la Commission européenne s'agissant de la compatibilité de ces interventions fondées sur l'intérêt général dont l'un des critères européens est le maintien de la cohésion sociale, avec l'interdiction générale des aides d'Etat et de toute procédure qui entraverait les règles de concurrence -
Voili-voilou ! J'espère que ça va s'arranger dans ton nouveau chez toi.
Plein de bises à Titam et toi.
Rédigé par : Ladyapolline.wordpress.com | 02/07/2013 à 13h10
Quelle gauche ? Quelle est encore la définition en politique du mot "de gauche" ?
Rédigé par : Anne-Marie | 02/07/2013 à 13h54
@Apolline,
je n'ai aucunement prétendu transposer le modèle québécois à la France, et je ne dispose pas de mandat pour cela. je me contente d'expliquer ce qui s'est passé ici en deux semaines, et en y mettant du vocabulaire français pour que ce soit compréhensible et des sources pour que ce soit crédible, car il ne me semble pas que les médias français s'en soient fait l'écho.
@Anne-Marie,
j'attise la question...
Rédigé par : Ménilmuche | 03/07/2013 à 01h21
"La gauche" ? J'ai une définition assez précise, et simple, mais amère.
C'est la part de la population qui n'est représentée nulle part, sauf un peu au niveau syndical.
Rédigé par : babelouest | 05/07/2013 à 09h59